Eco Perspectives

La Banque du Japon dans une position inconfortable

14/04/2022
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Tandis que la Réserve Fédérale américaine a entamé le relèvement de son taux directeur, la Banque du Japon poursuit sa politique très accommodante. Ses marges de manœuvre se resserrent néanmoins en raison de la dépréciation significative du yen qui complique sa politique de contrôle de la courbe des taux. Des ajustements sur ce mécanisme sont anticipés. Le soutien à l’économie devrait persister en 2022 tant sur le plan monétaire que budgétaire, dans un environnement particulièrement difficile pour les industriels japonais, durement affectés par les perturbations sur les chaînes de production mondiales et le ralentissement de l’économie chinoise.

La dernière enquête Tankan reflète les inquiétudes?des entreprises : si l’indice de diffusion global a enregistré une légère baisse (de 2 à 0, soit un niveau d’équilibre entre le nombre d’entreprises indiquant une détérioration de leur situation et celles indiquant une amélioration), les anticipations pour le prochain trimestre se sont dégradées significativement dans les secteurs particulièrement affectés par la hausse du cours des matières premières ou par leur pénurie. C’est le cas des grandes entreprises de la sidérurgie, de l’industrie du bois ou des fabricants des machines industrielles. La confiance est en recul également dans l’industrie papetière et celle de la céramique. En raison du poids important de l’industrie dans son économie (21% du PIB en 2019) et de sa forte imbrication dans les chaînes de production mondiales, le Japon est très affecté par les perturbations de ces dernières, en Chine notamment, pays qui constitue le premier débouché à ses exportations.

Par ailleurs, l’économie japonaise n’était toujours pas totalement sortie de la crise sanitaire cet hiver, le pays ayant subi une nouvelle vague de contaminations liée au variant Omicron. Après un début très poussif, la campagne vaccinale s’est accélérée. Le taux de vaccination désormais élevé (80%) devrait permettre à l’activité économique de subir moins d’à coups. Néanmoins, elle aura été freinée au premier trimestre par la pandémie et les premières répercussions économiques de la guerre en Ukraine. Le rebond d’activité avait été déjà peu marqué en 2021, à 1,7%, après une contraction de 4,5% en 2020.

La devise japonaise s’est affaiblie fin mars sous les 120 JPY/USD pour la première fois en sept ans (cf. graphique 2). Le soutien à l’activité par un affaiblissement de la devise a joué un rôle important dans le programme Abenomics de reflation entamé en 2012. Le yen a déjà connu une baisse importante, entre septembre 2012 et mai 2015 (cf. graphique 2). Si cela semble avoir soutenu la croissance économique (l’écart de production par rapport à son niveau potentiel s’est réduit au cours de ces années), cette stratégie trouve ses limites dans le contexte actuel. La divergence importante de politique monétaire entre les États-Unis et le Japon entraine aujourd’hui une baisse des achats de la devise japonaise. Or, un yen plus faible amplifie la hausse du prix des importations, déjà très importante, ce qui contribue à davantage d’inflation et d’érosion du pouvoir d’achat des ménages. La Banque du Japon est donc confrontée à un dilemme?: maintenir le statu quo de sa politique de contrôle des taux (très accommodante mais qui pourrait prolonger la chute du yen) ou procéder à un réajustement (ce qui permettrait d’enrayer la dépréciation de la devise, au prix de conditions de crédit moins avantageuses). Une hausse du plafond du corridor (actuellement à 0,25% sur les taux obligataires à 10 ans) est assez largement envisagée.

CROISSANCE ET INFLATION

TAUX DE CHANGE USD/JPY

L’inflation devrait accélérer sensiblement en avril pour se rapprocher de sa cible de 2%, elle pourrait même la dépasser. Les raisons sont triples : (i) Un effet de base important s’exercera sur les prix de la téléphonie (qui ont chuté de près de 40% en avril 2021) ; (ii) La hausse des coûts de l’énergie, qui aura un effet plus pérenne sur l’inflation tout au long de 2022 ; (iii) les pressions sur d’autres postes de dépenses (notamment les produits alimentaires) s’accentuent progressivement. La question est désormais de savoir jusqu’où les entreprises japonaises seront capables d’absorber cette hausse des coûts de production et d’en limiter la répercussion sur leurs prix de ventes. Les entreprises bénéficiaient encore de marges importantes en 20211, mais elles vont devoir les réduire cette année bien plus drastiquement.

1 Ce que révèlent à la fois l’enquête trimestrielle du ministère des finances (r3.10-12e.pdf (mof.go.jp)) et le Tankan (boj.or.jp)).

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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