La conjoncture française est marquée, depuis début 2021, par une succession de vents porteurs et de vents contraires, qui lui confèrent un caractère plus incertain. La recrudescence de l’épidémie de Covid-19 a d’abord pesé sur les services, de décembre à janvier, avec le renforcement des restrictions sanitaires. Leur levée, à partir de février, a entraîné un rebond de l’indice de confiance dans les services, laissant présager d’un retour au rythme d’activité soutenu de l’automne 2021.
Toutefois, le choc lié au conflit russo-ukrainien est venu fragiliser cette dynamique, renforçant la tendance à l’accélération de l’inflation avec la hausse du coût du carburant dès mars. Un phénomène qui continuera à se matérialiser au 2e trimestre, et qui tient à des effets de second tour sur les biens manufacturés, les services et l’essentiel de l’alimentation.
Les ménages anticipent la poursuite de l'inflation
La confiance des ménages s’est repliée de 6 points au mois de mars 2022 par rapport à février selon l’Insee, une baisse d’une ampleur qui n’a été atteinte ou dépassée que lors de la récession de 1993 ou du confinement d’avril 2020. Le jugement des ménages sur l’inflation passée est dégradé en mars, mais évolue peu par rapport à février. A contrario, ils sont désormais nettement plus nombreux à anticiper une poursuite de la hausse des prix dans les 12 prochains mois, avec une balance de réponses qui se détériore de 50 points en mars pour atteindre son record historique. Un choc que les ménages espéraient ponctuel est remplacé dans leur esprit par un phénomène plus durable, avec un impact probable sur leurs dépenses. Selon nos estimations, le poids des dépenses en énergie (logement et transports) devrait ainsi atteindre en 2022 10,3% de la consommation des ménages (selon un scénario de maintien du prix du baril de pétrole au dessus de 100 USD/baril tout au long de 2022), une proportion plus atteinte depuis 1986.
Le soutien budgétaire est important pour atténuer le choc. Sans ce soutien, la part des dépenses en énergie s’approcherait ponctuellement du record absolu de 11,6% enregistré lors de la vague de froid du début 1985. Le gain de pouvoir d’achat de 0,8% t/t observé au 4e trimestre 2021 correspond aux trois-quart à l’indemnité inflation de 100 euros versée à près de 23 millions de Français fin 2021 (elle devait intervenir début 2022 pour les 15 autres millions d’entre eux concernés par la mesure).
Ce soutien aux ménages passe également par le gel des tarifs réglementés du gaz (depuis octobre 2021, récemment prolongé jusqu’à fin 2022) et de l’électricité (jusqu’à fin 2022, après une hausse limitée à 4% en février), ainsi que la réduction de 18 centimes par litre de carburant applicable du 1er avril au 31 juillet (avec un effort additionnel à la discrétion des détaillants). Sans ces mesures, l’inflation serait supérieure de près de 2 points de pourcentage (1,5 point selon un calcul au mois de février de l’Insee concernait le gaz et l’électricité, 0,5 point concerne selon nos estimations le carburant à partir d’avril) à ce qu’elle devrait être au mois d’avril (4,7% selon nos prévisions).
Cela réduit d’autant la ponction sur le pouvoir d’achat des ménages au prix d’un coût global net pour les finances publiques que nous estimons à EUR 21,5 mds (soit 26 mds de mesures supplémentaires compensées par des recettes additionnelles de 4,5 mds). Sont inclues les mesures destinées aux entreprises (prise en charge de la moitié du surcoût en énergie pour les entreprises dont les dépenses en énergie dépassent 3% du chiffre d’affaires (CA), plafond des prêts garantis par l’État relevé de 25% à 35% du CA, mesures sectorielles ciblées).
Les entreprises optent pour la prudence
L’enquête réalisée par l’AFTE et le Rexecode sur la trésorerie des entreprises montre que les tensions inflationnistes pèsent aussi sur ces dernières, avec une détérioration du solde d’opinion sur leur trésorerie d’exploitation de 12 points en mars. Les enquêtes de l’Insee sur le climat des affaires soulignent également que les entreprises sont de façon croissante contraintes de transmettre leurs hausses de coûts à leurs prix de vente, singulièrement dans les biens à destination des ménages (dont l’alimentation).
L’impact anticipé du choc d’inflation sur la consommation des ménages ajoute aux difficultés que les entreprises rencontrent, les conduisant à prévoir de revoir leur production à la baisse, singulièrement dans l’automobile, la chimie et l’informatique/électronique. L’incertitude sur la demande étrangère et sur la sécurité des approvisionnements industriels en énergie et en métaux ajoute à ces motifs de prudence.
La croissance devrait donc marquer le pas, à 0,3% t/t au T1 (après 0,7% t/t au T4 2021) et 0,1% t/t au T2 selon nos estimations, le soutien de la politique économique atténuant le choc de prix, ce qui permet d’éviter la récession à court terme. Notre prévision de croissance pour 2022 est revue à la baisse de 1 point de pourcentage, à 3,2% en moyenne annuelle.