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Espagne : l’emploi résiste, mais le contexte social se durcit

14/04/2022
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Même si l’Espagne n’est pas l’économie européenne la plus exposée « structurellement » à la guerre en Ukraine, le choc sur les prix énergétiques s’avère très important. L’inflation dépassera certainement les 10% sur un an au cours du printemps. Les manifestations qui ont émaillé le pays, en réponse à la hausse du prix des carburants, ont perturbé l’activité, mais la croissance devrait être peu impactée. Les créations d’emplois ont résisté au T1. La confiance des ménages et les anticipations de commandes des entreprises ont toutefois chuté fortement, ce qui aura des répercussions sur les dynamiques d’embauches. Le rétablissement de l’activité touristique, qui sera plus important qu’en 2021, compensera une partie de la perte en consommation, liée à l’érosion du pouvoir d’achat des ménages espagnols.

L’Espagne subit de plein fouet le choc énergétique, bien que le pays soit peu dépendant des importations de pétrole et de gaz russes.1 L’inflation a atteint 9,8% en mars et elle devrait progresser. Les prix à la production ont fait un bond spectaculaire (+40,7% en g.a. en février), que les entreprises pourront difficilement absorber dans sa totalité. L’inflation sous-jacente enregistre elle aussi une poussée plus importante (+2,5% en février), ce qui indique que la hausse des prix se diffuse progressivement à l’ensemble de l’économie. La convergence des revendications entre plusieurs professions, très largement impactées par la hausse du prix des carburants, illustre les risques sociaux qui accompagnent cette période de forte inflation. La confiance des ménages en atteste aussi : elle a enregistré en mars la chute la plus importante de son histoire, supérieure à celle d’avril 2020 lors du premier confinement.

CROISSANCE ET INFLATION

En réponse aux mouvements sociaux, et pour faire face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine, le gouvernement a mis en place, fin mars, un plan d’aide temporaire de EUR 16 mds. Ce soutien est prévu, pour l’heure, jusqu'au 30 juin 2022 et comprend deux volets : d’une part, une enveloppe de EUR 6 mds destinée à des aides directes aux ménages et aux entreprises (elle inclut notamment une subvention de EUR 0,20 par litre d’essence), ainsi que des réductions d'impôts; d’autres part, de nouvelles lignes de crédit, à hauteur de EUR 10 mds, ont été débloquées. Ces mesures font suite à deux réformes structurelles introduites cet hiver par le Parlement et qui seront favorables à la croissance : la loi sur le logement (qui renforce l’encadrement des loyers) et celle portant sur le marché du travail (qui durcit le recours aux contrats temporaires).

Le marché du travail reste dynamique

Le marché du travail a continué de surprendre favorablement au premier trimestre 2022. Le nombre de nouvelles affiliations à la sécurité sociale a progressé de 0,9% (+171716) au T1. La croissance de l'emploi est soutenue dans certains secteurs à forte valeur ajoutée, comme l’information et la communication ou les professions scientifiques et techniques, tandis que les embauches dans la restauration et l’hôtellerie continuent de reprendre des couleurs avec le relâchement des contraintes sanitaires. Les embauches en CDI se sont accrues notablement au cours du T1, les entreprises ayant anticipé les changements des règles de recrutement, qui sont entrées officiellement en vigueur le 1er avril. Le taux de chômage est retombé à 12,6% en février, un niveau qui n’avait plus été atteint depuis 2008.

Au regard de la détérioration des enquêtes PMI et de la Commission européenne, cette amélioration sur le front de l’emploi pourrait néanmoins connaître une halte au printemps. Des revendications salariales plus importantes en raison de l’inflation pourraient aussi constituer un frein aux embauches. La Banque d’Espagne ne considère pas ce risque comme élevé en 2022, mais elle pointe la possibilité de hausses de salaires plus conséquentes en 2023, à mesure que davantage de travailleurs intègreront dans leur contrat des clauses d’ajustement des salaires à l’inflation.2

Le début d’année a été mouvementé sur la scène politique. Il a été marqué notamment par la percée du parti d’extrême droite Vox aux élections régionales de Castille et Leon et le remplacement du chef du parti conservateur3. Les relations restent également tendues au sein de la coalition au pouvoir, et entre le gouvernement et les partis nationalistes catalans (ERC) et basques (PNV) dont le ralliement (ou l’abstention) est souvent nécessaire pour dégager une majorité au Parlement. Le ralliement très tardif de l’ERC à la loi sur le logement a constitué le dernier exemple marquant. Le climat risque de se tendre davantage au cours des douze prochains mois avec le contexte social difficile et les élections législatives de décembre 2023 qui se rapprochent et dont l’issue, selon les sondages actuels, reste très incertaine.

1 Les sources principales d’approvisionnement de l’Espagne se situent, pour le gaz, en Algérie et aux États-Unis, et pour le pétrole au Nigéria et au Mexique.

2 Mario Izquierdo et Isabel Soler, An initial analysis of the impact of inflation on collective bargaining in 2022, Banque d’Espagne, avril 2022.

3 Démission de Pablo Casado, remplacé par l’actuel président de la région autonome de Galice, Alberto Núñez Feijóo.

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