Alors même que la reprise post-pandémique reste fragile, les pays émergents sont maintenant confrontés à une autre crise majeure : le conflit en Ukraine et ses effets globalement négatifs sur le commerce extérieur, les flux de capitaux et, surtout, l’inflation. L’effet indirect de la hausse des prix des matières premières sur l’inflation et le pouvoir d’achat des populations pourrait être particulièrement sévère, et toucher en premier lieu les pays à faible revenu d’Afrique, d’Europe centrale et des Balkans. En dépit de cet environnement, nous n’anticipons pas de dégradation généralisée de la solvabilité publique et externe des pays émergents à court terme
Les perspectives économiques de l’Égypte se sont brusquement dégradées avec le déclenchement de la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les prix des matières premières. Leur hausse généralisée va entraîner une chute du pouvoir d’achat des ménages et donc gripper le principal moteur de l’activité. L’érosion de la liquidité en devises s’est accélérée depuis un mois avec des sorties massives de capitaux. En outre, le déficit courant devrait se creuser en raison de la difficile compression des importations, la fréquentation touristique pourrait baisser et l’effet de la dépréciation de la livre sur les exportations devrait être limité. Ces difficultés soulignent la persistance de la vulnérabilité de l’économie aux chocs externes et la nécessité de soutiens extérieurs
En raison de sa forte dépendance aux importations de pétrole et de blé, le Maroc va souffrir des conséquences de la guerre en Ukraine. Néanmoins, des réserves de change confortables vont permettre d’absorber le choc commercial. De plus, l’orientation expansionniste de la politique budgétaire n’est pas remise en cause par la hausse des subventions énergétiques et alimentaires et la banque centrale compte maintenir son biais accommodant en dépit de pressions inflationnistes fortes. Le soutien de la puissance publique demeure en effet crucial au moment où l’économie doit aussi faire face à une chute significative de la production agricole, et donc de sa croissance. À court terme, la solvabilité budgétaire et la liquidité extérieure ne sont pas menacées
Les finances publiques de la Colombie ont été sous le feu des projecteurs ces dernières années. Alors que la fréquence des chocs externes et les pressions pour accroître les dépenses sociales se multiplient, le pays continue de rencontrer des difficultés à augmenter ses recettes budgétaires. La suspension du processus de consolidation budgétaire consécutive au choc de la Covid-19, les fréquents biais (optimistes) en matière de planification budgétaire, la progression rapide du ratio d’endettement public et les doutes quant aux capacités futures d’ajustement de l’action politique sont autant de motifs d’inquiétude qui ont mené à la perte du statut d’ « investment grade » à l’été 2021
Après une contraction historique de l’activité en 2020, la croissance annuelle du PIB de l’Afrique du Sud s’est établie à 4,9% en 2021. Il s’agit du plus haut taux de croissance enregistré depuis 2007. La forte reprise du S1 2021 a été pénalisée par les émeutes qui ont eu lieu au cours de l’été et le retour des restrictions sanitaires face au variant Omicron au T4 2021. Le dynamisme de la reprise devrait continuer à s’essouffler pour atteindre 1,3% en 2022, selon nos prévisions. L’activité continuera en effet d’être structurellement contrainte par un faible potentiel de croissance. La hausse des prix continue d’accélérer
Les comptes extérieurs indonésiens se sont, à première vue, consolidés en 2021. Les réserves de change ont atteint 131 milliards de dollars (l’équivalent de 8,3 mois d’importations de biens et services) et la dette extérieure a atteint seulement 35% du PIB (un niveau inférieur à ce qui prévalait avant l’épidémie de Covid-19). Par ailleurs, le compte courant a enregistré un léger excédent (de 0,3% du PIB), ce qui n’était pas arrivé depuis 2011. Cette bonne performance du compte courant reflète la très forte hausse du surplus commercial. Il a atteint 4,1% du PIB contre seulement 1,3% en moyenne au cours des cinq dernières années
Malgré une amélioration significative des indicateurs macroéconomiques depuis cinq ans, la liquidité en devises reste une source de vulnérabilité importante pour l’économie égyptienne. La position extérieure nette des banques commerciales est en détérioration continue depuis un an ; elle était négative de plus de USD 10 mds en décembre dernier, de loin le plus bas niveau atteint depuis dix ans. Parallèlement, les réserves de change brutes de la banque centrale n’ont que très légèrement progressé sur un an. Cette détérioration de la position extérieure de l’ensemble du système bancaire est le reflet de celle des comptes extérieurs. Le déficit du compte courant se creuse avec le fort rebond des importations
Les pays émergents terminent l’année 2021 avec une détérioration de la balance perspectives/risques. Pour 2022, le ralentissement de la croissance sera plus important que prévu avec éventuellement un risque d’instabilité sociale à l’image des soubresauts au Kazakhstan. Au cours des trois derniers mois, la Turquie s’est illustrée par une mini-crise financière. La politique monétaire et de change mise sur les exportations et l’investissement pour soutenir la croissance et rétablir les grands équilibres à moyen terme mais au prix d’une forte instabilité financière à court terme. C’est un pari osé qui pourrait contraindre les autorités à recourir à un véritable contrôle des changes au lieu des mesures incitatives prises jusqu’à présent.
La croissance économique reste vulnérable à une nouvelle vague épidémique alors que moins de 50% de la population indienne est vaccinée. Déjà en perte de vitesse au mois de décembre, l’activité pourrait être à nouveau freinée par la vague qui touche le pays depuis janvier, alors même que les conditions sur le marché de l’emploi restent dégradées. L’inflation constitue un autre risque pour la reprise. En plus de réduire le pouvoir d’achat des ménages, elle pourrait contraindre les autorités monétaires à relever leurs taux d’intérêt
Alors que le Vietnam a traversé la crise sanitaire de 2020 sans forte vague d’infections, sans contraction du PIB ni dégradation notable des fondamentaux macroéconomiques, la situation a été plus compliquée en 2021. Au T3, la flambée du nombre de cas de Covid-19 et le confinement strict ont conduit à un arrêt de l’activité. Au T4, la courbe épidémique s’est encore dégradée, mais l’activité a redémarré grâce au progrès de la vaccination et à l’ajustement de la stratégie « zéro Covid ». La production et les exportations du secteur manufacturier ont rebondi et leurs perspectives de croissance restent solides. En revanche, la consommation privée et les services sont affaiblis. Le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre pour renforcer son soutien budgétaire.
Les perspectives de croissance à court et moyen terme sont limitées en Thaïlande. La consommation privée et le secteur du tourisme, principaux moteurs de la croissance du PIB, resteront durablement affaiblis. Dans le secteur du tourisme particulièrement, il est peu probable que le niveau d’activité enregistré en 2019 soit atteint avant 2024. Par ailleurs, les faiblesses structurelles de l’économie (manque d’investissement, d’infrastructures) ont été exacerbées par la crise et pèseront sur la reprise, notamment des exportations. Cela dit, la vulnérabilité extérieure du pays a augmenté au cours des deux dernières années, mais reste pour le moment très modérée.
Malgré l’accélération de la campagne de vaccination, le raffermissement attendu de la croissance au S2 2021 n’a pas eu lieu. L’économie est tombée en récession technique au T3 et les indicateurs disponibles pour le T4 montrent toujours des signes d’essoufflement. Dans le même temps, le contournement du plafond des dépenses, dans le budget 2022, a accentué la défiance des marchés. Alors que les élections générales se profilent à l’horizon, les perspectives économiques s’assombrissent. L’évolution de l’épidémie, le cycle électoral, les incertitudes sur le plan budgétaire, la permanence de l’inflation et le durcissement des conditions financières sont autant de freins potentiels à la reprise.
Au-delà du fort rebond de la croissance en 2021, l’économie argentine reste fragile. La production dans les secteurs primaire et secondaire a retrouvé son niveau d’avant la pandémie. Toutefois, l’économie reste contrainte par une inflation élevée, pourtant largement réprimée, qui pèse sur la consommation des ménages et les services. Depuis décembre dernier, la nouvelle vague de contaminations introduit une incertitude supplémentaire. Les élections de mi-mandat ont affaibli la coalition gouvernementale toujours en négociation avec le FMI. La politique monétaire va se durcir et la normalisation du financement du déficit budgétaire implique un tour de vis, même si la consolidation à marche forcée est peu probable. Mais le temps presse
Gabriel Boric a remporté le deuxième tour de l’élection présidentielle en décembre dernier. Il prendra ses fonctions à la mi-mars et les défis qu’il affrontera au cours de son mandat seront nombreux. Le nouveau gouvernement devra composer avec une assemblée fragmentée et des attentes populaires très fortes. La croissance économique devrait ralentir avec le retrait progressif des mesures exceptionnelles de soutien. Bien que la population soit très largement vaccinée, l’activité pourrait être fragilisée par de nouvelles vagues de contaminations et les restrictions qui y seraient associées. Enfin, consolider les finances publiques tout en répondant aux promesses de réforme des systèmes d’éducation, de soin et de retraite s’annonce comme la principale difficulté.
Après avoir plutôt bien résisté à la pandémie et à l’effondrement des prix mondiaux du pétrole en 2020, l’économie russe a fortement rebondi en 2021. À ce jour, deux risques majeurs pèsent toutefois sur la croissance : l’inflation et le durcissement des sanctions internationales. Ces dernières peuvent renforcer le risque inflationniste. Le gouvernement dispose toutefois des capacités financières pour soutenir son économie. Les finances publiques restent solides et les risques de refinancement sont faibles. En outre, même dans le cas où un durcissement des sanctions internationales empêcherait les investisseurs étrangers d’accéder au marché secondaire de la dette russe, le gouvernement pourrait se financer sur le marché domestique.
L’économie ukrainienne a subi une accumulation de chocs externes et domestiques : la pandémie (avec une population encore peu vaccinée), le risque géopolitique et les tensions politiques locales. À ces éléments s’ajoute l’accélération de l’inflation depuis un an. La crise de l’épidémie de Covid-19 a toutefois été nettement mieux absorbée que les crises de 2008 ou 2014. Le solde courant s’est temporairement redressé et les réserves de change se sont accrues grâce, notamment, à la hausse du cours des matières premières (céréales, métaux). Le versement de l’aide internationale (FMI, Union européenne principalement) a apporté le complément nécessaire pour financer, notamment, le soutien budgétaire à l’économie. Toutefois, le pays reste exposé à des arrêts brutaux des entrées de capitaux
L’économie israélienne aborde l’année 2022 dans une position favorable. Après un fort rebond en 2021, la croissance du PIB devrait rester soutenue par la consommation des ménages et les exportations. Bien qu’en hausse, l’inflation reste maîtrisée, ce qui devrait permettre la poursuite d’une politique monétaire accommodante. Les fondamentaux macroéconomiques sont toujours très favorables au shekel, mais le resserrement monétaire aux États-Unis et une éventuelle correction du marché boursier américain pourraient freiner son appréciation. La vulnérabilité des finances publiques à une hausse des taux d’intérêt demeure limitée. En effet, le financement du déficit budgétaire est essentiellement intérieur et le risque d’un resserrement monétaire important à court terme est faible.
Les signaux d’alarme se multiplient. Alors que la croissance résiste plutôt bien, la dégradation importante des finances publiques sur fond de forte poussée inflationniste inquiète les investisseurs et menace les perspectives. Si la Banque centrale a déjà réagi en relevant son taux directeur, les autorités devront avant tout rassurer sur leur capacité à réduire le déficit budgétaire. Pour l’instant, elles n’y sont pas parvenues. Mais la contrainte financière forte et une dette dangereusement élevée pourraient les pousser à faire des ajustements.
La reprise économique devrait être forte en 2022 grâce à une consommation dynamique des ménages saoudiens et à la progression du PIB pétrolier. La réforme du marché du travail a un effet positif sur la demande intérieure avec notamment la hausse importante du taux de participation féminin. Le risque inflationniste reste modéré, même si la pression salariale a récemment accéléré. Avec l’augmentation des prix et de la production de pétrole, le solde budgétaire devrait à nouveau être en excédent dès cette année. Il se maintiendrait grâce notamment aux progrès de la diversification des revenus. Le niveau plus élevé des prix du pétrole sera un test de la volonté du gouvernement de poursuivre le processus de consolidation budgétaire
La reprise dans les pays émergents depuis la mi-2020 s’est accompagnée d’un durcissement monétaire en Amérique latine et en Europe mais pas en Asie jusqu’à présent (à l’exception de la Corée du Sud). Le niveau et la trajectoire de l’inflation en sont les principales raisons. Elle est forte et accélère en Amérique latine et en Europe, plus modérée et encore contenue en Asie
La fragilité de la reprise dans les pays émergents se confirme. Plusieurs économies, en Asie et en Amérique latine, ont connu un trou d’air au T2 2021. Les répliques de la pandémie liées à l’apparition de variants se traduisent par des arrêts de production jusqu’à présent transitoires mais qui entament la confiance des entreprises. Ces dernières subissent également des contraintes d’offre (goulets d’étranglement, pénurie d’énergie) qui contribuent à une accélération de l’inflation et pèsent indirectement sur la confiance des ménages. Enfin, l’économie chinoise inquiète avec une consommation des ménages en berne et des secteurs de la construction et de l’immobilier en grande difficulté
L’activité a marqué le pas au T2 2021 en dépit du dynamisme de la demande externe et de la normalisation de l’activité dans les services. Par ailleurs, l’industrie a souffert de contraintes d’approvisionnement. Le ralentissement de l’épidémie depuis l’été et l’accélération de la campagne de vaccination laissent toutefois augurer un rebond au deuxième semestre. Mais la croissance restera modérée en raison des contraintes d’offre persistantes dans l’industrie, du risque de rationnement de l’électricité, du resserrement monétaire agressif pour contrer une inflation galopante et du ralentissement en Chine. Dans ce contexte, le real peine toujours à s’apprécier en dépit de la hausse des taux et de la bonne tenue des comptes externes
Les perspectives à moyen terme continuent de se dégrader pour l’économie mexicaine. La dynamique de reprise semble déjà s’essouffler et les fragilités structurelles de l’économie (faiblesse de l’investissement et de la compétitivité) ont été exacerbées par la crise liée à la Covid19 – et par le manque de soutien des autorités. La politique économique devrait pourtant peu évoluer au cours des deux prochaines années. D’une part, les élections de mi-mandat ont permis à la coalition gouvernementale de conserver la majorité (simple) à l’Assemblée nationale. D’autre part, la lecture de la proposition de budget pour l’année 2022 confirme la volonté du gouvernement de maintenir une politique d’austérité jusqu’à la fin du mandat, en 2024
La Hongrie bénéficie à plein du redressement du commerce extérieur, qui tire actuellement sa croissance. Les tensions sur l’offre s’accentuent, avec une forte utilisation des capacités de production et la raréfaction de la main d’œuvre. Ces problématiques locales s’ajoutent à un contexte de pénuries mondiales dans l’industrie. Il en résulte une nette accélération de l’inflation, à laquelle la banque centrale a répondu par une première hausse des taux directeurs en 10 ans. La politique monétaire reste cependant relativement accommodante, car la banque centrale aura acheté pour près de 5 points de PIB de dette publique en 2021
La Turquie bénéficie d’une croissance élevée en 2021 qui fait suite à une relance par le crédit mise en œuvre en 2020. La performance cumulée de 2020-2021 aura permis de combler le retard de croissance lié à une succession de chocs entre 2018 et 2020. L’investissement et l’industrie retrouvent ainsi leurs poids antérieurs. Les réserves de change se sont reconstituées par rapport au faible niveau qu’elles avaient atteint en 2020. Cela a toutefois un prix : l’inflation atteint un niveau nettement supérieur aux autres pays émergents. Aux déterminants communs (remontée du prix du pétrole et des autres matières premières), s’ajoutent des déterminants propres à la Turquie (dépréciation de la livre, changements à contretemps de la politique monétaire)