L’économie du Nigéria est fragile. Malgré la remontée des cours du pétrole en 2021 et 2022, la stabilité macroéconomique a continué de se détériorer. En cause : le niveau trop faible de la production pétrolière, un taux de change artificiellement surévalué et l’envolée des subventions sur l’énergie. Sans une inflexion de la politique économique, la situation ne pouvait donc que se dégrader. Le nouveau président, Bola Tinubu, a décidé d’agir vite et fort. Juste après sa prise de fonction en mai dernier, il a annoncé l’assouplissement du système de change et la fin des subventions sur l’énergie. Sans surprise, la première mesure a attisé l’inflation, qui devrait approcher les 30% d’ici à la fin de l’année. Plus problématique, l’écart entre les taux de change officiel et parallèle est de retour. La seconde mesure devrait permettre des gains budgétaires significatifs. Mais l’État a dû prendre des mesures pour compenser le choc inflationniste et les coûts de financement de la dette augmentent. La situation des finances publiques reste donc préoccupante. Pour autant, maintenir le cap sera crucial pour restaurer la confiance des investisseurs.
Un nouvel exécutif au chevet d’une économie malade
Des décisions fortes et quelques hésitations
Le début de l’année 2023 a été marqué par la tenue d‘élections présidentielles. Déclaré vainqueur au premier tour (en dépit d’une abstention record), Bola Tinubu, n’a pas attendu longtemps pour se démarquer de son prédécesseur, Muhammadu Buhari, pourtant membre du même parti. Dans le mois qui a suivi sa prise de fonction fin mai, il a remplacé le gouverneur de la banque centrale et remanié en profondeur l’appareil sécuritaire. Son cabinet, qui a aussi été formé en très peu de temps, se compose de 45 ministres, certains postes clés, comme celui de ministre des Finances, étant alloués à des technocrates. Surtout, le président Tinubu a surpris les investisseurs en annonçant la fin des subventions sur l’énergie et l’assouplissement du régime de change avec l’instauration d’un guichet unique pour toutes les transactions à un cours censé être déterminé par les forces du marché. Depuis, le prix de l’essence a plus que doublé et le naira a perdu 40% de sa valeur contre le dollar US.
Pour le gouvernement et les autorités monétaires, ces mesures chocs doivent permettre de restaurer la stabilité macroéconomique à moyen terme. Néanmoins, les conséquences à court terme seront sévères dans un pays où 40% de la population vit dans l’extrême pauvreté et où l’inflation est déjà très élevée.
Ces mesures seraient donc un mal pour un bien. Mais les récentes annonces du président ont jeté un doute. Il a, en effet, déclaré qu’il n’y aurait pas de nouvelles hausses des prix de l’essence jusqu’à la fin de l’année et que le cours du naira appliqué dans les bureaux de change devra désormais évoluer dans une bande de fluctuation de -/+ 2,5% par rapport à la cotation officielle de la veille.
Une surveillance accrue de l’activité des bureaux de change sera également effectuée, l’objectif étant de faire converger les taux de change parallèle et officiel dont l’écart atteint désormais 30%, après avoir été comblé au moment de la dévaluation de la monnaie (graphique 1). Si les difficultés rencontrées dans la mise en place de telles réformes étaient prévisibles, compte tenu de la forte pression sociale, elles n’en demeurent pas moins inquiétantes.
Une économie fragilisée
L’économie nigériane est affaiblie. De 6,1% par an entre 2010 et 2014, la croissance économique est tombée à 1,3% en moyenne depuis 2015, soit un niveau inférieur à celui de la population (+2,6%). En conséquence, le PIB réel par habitant s’est contracté de 9% sur les sept dernières années, ce qui constitue une véritable rupture dans le processus de développement du pays. Le PIB réel par habitant avait en effet plus que doublé entre 2000 et 2014. Plus inquiétant encore, l’économie a peu profité de la remontée des cours du pétrole depuis 2021. La reprise post-Covid s’est rapidement essoufflée (3,1% en 2022 après un rebond modéré de la croissance à 3,6% en 2021 contre une récession de 1,9% en 2020), faisant du Nigéria une exception parmi les grands pays producteurs de pétrole. De plus, la stabilité macrofinancière a continué de se détériorer.
Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par les contre-performances du secteur pétrolier. Tombée à 1,5 million de barils par jour (mb/j) en 2020 contre 1,9 mb/j en 2019, la production de pétrole brut n’a cessé de se contracter pour atteindre un niveau historiquement bas de 1,1 mb/j en 2022. L’envolée des subventions sur l’énergie a aussi grevé un peu plus des marges de manœuvre budgétaires déjà érodées par le fardeau de l’endettement, en forte progression depuis 2014, et l’augmentation du coût de financement. En 2022, la charge d’intérêts de la dette dépassait ainsi les investissements publics et les recettes budgétaires retrouvaient à peine leur niveau de 2019 malgré un cours du pétrole pourtant 60% plus élevé (graphique 2).
La perte d’attractivité financière, liée au maintien d’un taux de change artificiellement surévalué, a aussi entraîné une décorrélation entre le cours du pétrole et les réserves de change (graphique 3). Fin 2022, elles n’atteignaient que USD 35,6 mds contre USD 36,7 mds en 2020, malgré l’allocation de DTS du FMI en 2021 et l’émission de dettes euro-obligataires pour un montant cumulé de plus de USD 4 mds.
La contrainte, déjà forte, à l’accès au dollar s’est donc aggravée. Il en a résulté de fortes pressions sur le taux de change parallèle qui, combinées à une politique monétaire trop accommodante, ont contribué à une envolée de l’inflation déjà à l’œuvre avant le choc de la guerre en Ukraine.
Un choc inflationniste pèsera sur l’activité en 2023
Sans une inflexion de la politique économique, la situation macroéconomique ne pouvait que se détériorer davantage. Néanmoins, les mesures prises par le nouvel exécutif vont peser sur la croissance à court terme.
De fait, la décision prise fin 2022 par la banque centrale de remplacer les billets en circulation a provoqué une crise de liquidité au premier trimestre 2023. Démarrée le 15 décembre 2022, cette politique de refonte du naira devait s’achever fin janvier 2023. Mal préparée, elle s’est traduite par une chute de 60% de la monnaie en circulation en janvier et février avant que la banque centrale n’infléchisse sa position en mars, en autorisant de nouveau l’utilisation des anciens billets. Hors agriculture et secteur pétrolier, la croissance a ainsi fortement décéléré à 3,9% au T1 contre 6% en moyenne en 2022.
En 2023, avec la contraction de 0,9% du PIB agricole, l’économie a enregistré un taux de croissance de seulement 2,3% sur un an au premier trimestre (graphique 4), et la faiblesse de l’activité pétrolière a de nouveau déçu les espoirs de rebond au T2 (seulement 2,5%). À 1,1 mb/j en moyenne entre avril et juin, la production de pétrole brut a atteint un nouveau point bas en raison d’une grève qui a touché des installations d’Exxon Mobil en avril.
La production de pétrole devrait se redresser sur le reste de l’année et atteindre 1,250 mb/j en moyenne en 2023, sous réserve qu’il n’y ait pas de nouveaux incidents. Elle sera toutefois inférieure au quota alloué par l’OPEP au pays pourtant ramené à 1,380 mb/j contre 1,750 mb/j précédemment (graphique 5).
Dans tous les cas, le redressement sera limité et le reste de l’économie est à la peine. Le PIB non pétrolier et non agricole s’est très légèrement redressé au T2 (4,3%), tiré en grande partie par la bonne tenue du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) et des services financiers et de l’assurance (graphique 6) ; sans ces deux moteurs, il n’a progressé que de 0,6% au T2. Des pans entiers de l’économie sont en effet à l’arrêt, notamment le commerce de détail, avec une croissance inférieure à 2% depuis le début de l’année (contre 5,1% en 2022 et 8,6% en 2021). Cette atonie reflète celle de la consommation des ménages du fait des fortes pressions inflationnistes.
Or, la situation ne va pas s’arranger dans les mois à venir en raison du double choc de la dévaluation du naira et de la fin des subventions sur le prix du pétrole, dont l’impact est déjà significatif.
De fait, la hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) a atteint 24,1% en juillet et 25,8% en août (graphique 7), un record en presque 20 ans. En rythme mensuel, la progression a également été inédite : +2,9% en juillet et +3,2% en août, soit 1 point de plus que la moyenne enregistrée depuis le début de l’année. L’inflation des produits alimentaires (+29,3%) en est le principal responsable, l’alimentation représentant 51% du panier de consommation. Mais la hausse des prix se généralise. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) a atteint 21,5% en glissement annuel en août contre 18,9% en début d’année, et elle restera forte au second semestre malgré la décision de geler les prix de l’essence avant la fin de l’année.
Avec une telle inflation (25% en moyenne annuelle et près de 30% en fin d’année), la croissance économique devrait encore ralentir cette année. À 2,5%, elle serait une nouvelle fois inférieure à celle de la population. Selon la Banque mondiale, elle pourrait réaccélérer au-dessus de 3% en 2024 et même dépasser les 4% à partir de 2025, ce qui rapprocherait le Nigéria de ses performances moyennes antérieures à 2014. Néanmoins, cela suppose un renforcement de la stabilité macroéconomique qui est encore loin d’être acquis, notamment sur le front de l’inflation.
Rien ne dit à ce stade si le choc actuel sur les prix sera temporaire compte tenu de la forte volatilité du taux de change. Une meilleure coordination des politiques budgétaire et monétaire sera également nécessaire pour faire baisser durablement l’inflation. Or, les signaux envoyés par les autorités monétaires sont pour l’instant mitigés. La hausse du taux directeur de seulement 25 points de base (pb) en juillet reste symbolique. Il s’agit du plus faible mouvement depuis l’enclenchement par la banque centrale du cycle de resserrement monétaire (en mai 2022).
À 18,75%, le taux directeur reste aussi trop bas au regard du niveau d’inflation observée (graphique 8).
De nouvelles hausses de taux seront probablement nécessaires. La banque centrale va sans doute aussi utiliser d’autres leviers, comme les opérations de stérilisation qui viennent d’être relancées.
Cependant, la taille du premier titre émis début août par la banque centrale a été considérée trop modeste par rapport à la forte croissance de la masse monétaire (+20% en moyenne depuis 2020 avant l’effet de réévaluation lié à l’ajustement du taux de change en juin) ; cette dernière est liée en grande partie à la monétisation répétée des déficits budgétaires.
De plus, le relèvement de la limite des avances de la banque centrale au Trésor, de 5% à 15% des revenus de l’année précédente, laisse penser que les autorités ne sont pas prêtes à abandonner la monétisation du déficit. Son ampleur dépendra en grande partie de la dynamique des finances publiques. Mais tant que la quantité de monnaie en circulation sera aussi abondante, le risque inflationniste demeurera élevé. Il en est de même du risque de change car actuellement la demande de dollars reste insatisfaite.
Des comptes extérieurs encore très fragiles
La dévaluation nominale de plus de 40% du naira a permis de corriger la surévaluation de la monnaie accumulée depuis 2021. Avec un taux de change effectif réel revenu au niveau de sa moyenne de longue période (graphique 9), le naira devrait, en théorie, être proche de son point d’équilibre.
Cependant, le cours officiel de la monnaie est toujours soumis à une forte volatilité, et l’écartement avec le marché parallèle pourrait même laisser penser que les autorités ne souhaitent pas d’un ajustement supplémentaire de la monnaie de peur de relancer l’inflation.
Quoi qu’il en soit, les taux à terme à 12 mois (NGN/USD 998 contre NGN/USD 759 pour le cours officiel) indiquent que la pression n’est pas près de retomber. De fait, que ce soit en termes de flux ou de stock, la position extérieure du Nigéria reste fragile.
Un problème de flux…
Malgré le rebond des cours du pétrole en 2022, le Nigéria n’a dégagé qu’un maigre excédent courant de 0,2% du PIB en raison de facteurs qui prévalent en grande partie encore aujourd’hui. Le niveau trop bas des exportations de pétrole en est un. La légère hausse de la production pétrolière attendue cette année ne compensera pas la baisse des cours du brent en moyenne annuelle. À USD 50 mds, les exportations de pétrole brut retomberaient en dessous de leur niveau de 2018-2019. Du côté des importations, le démarrage de la méga-raffinerie Dangote est aussi censé donner un peu d’oxygène à une économie qui dépend de l’étranger pour approvisionner son marché domestique. En 2022, les importations de pétrole raffiné s’étaient en effet envolées pour représenter 35% des exportations totales du pays.
Mais la montée en puissance de la raffinerie pourrait prendre plus de temps que prévu. Le FMI table sur une production de 100 000 barils par jour en 2024, 200 000 en 2025 puis 300 000 en 2026-27. C’est nettement en deçà des 650 000 barils par jour annoncés pour fin 2024, soit un niveau suffisant pour couvrir l’intégralité des besoins du Nigéria. Au regard des incidents répétés qui touchent le secteur des hydrocarbures, la prudence reste donc de mise. Plus globalement, les incertitudes sur l’évolution de la production pétrolière constituent un facteur de risque central.
À hypothèse constante sur les cours du brent, chaque hausse de 100 000 barils par jour peut générer un gain de 0,8% de PIB des exportations pétrolières sur une année complète.
En outre, le rééquilibrage des comptes extérieurs par l’ajustement du taux de change devrait être modeste. Par le passé, cette stratégie avait plutôt bien fonctionné. Mais la situation actuelle diffère en raison du niveau déjà bas des importations non-pétrolières : 7,5% du PIB en 2022 contre 10,5% en 2019-2020. Comprimer encore plus la demande de biens importés risquerait donc de faire tomber l’économie en récession. Le fait que 90% des exportations soient composés de pétrole ou de gaz limite aussi le potentiel gain de compétitivité change.
Avec un excédent courant attendu autour de 0,5 point de PIB pour 2023 et 2024 (graphique 10), les tensions sur la liquidité extérieure risquent de perdurer. Depuis 3 ans, les flux nets de financements sont, au mieux, faibles, voire négatifs en 2020, malgré le succès des émissions euro-obligataires en 2021 et 2022.
Or, une nouvelle sortie du Nigéria sur les marchés financiers internationaux apparaît difficilement envisageable à court terme. Les primes de couverture du risque sur les obligations d’État en dollars ont nettement baissé depuis juin mais elles se situent encore au-dessus des 700 pb.
En outre, les effets de la réforme du système de change demeurent incertains. A priori, la mesure doit renforcer l’attractivité du pays.
Néanmoins, pour l’instant, c’est l’attentisme qui prédomine chez les investisseurs étrangers, en raison du manque de visibilité sur l’évolution de la politique économique et de taux d’intérêt jugés trop bas. Dans ce contexte, la consultation autour de la reclassification potentielle des indices MSCI Nigeria sera surveillée de près. La décision a été reportée à fin octobre afin de tenir compte des développements récents sur le marché des changes.
Si la liquidité extérieure s’améliore, le Nigéria conservera son statut de marché frontière. Néanmoins, la portée d’une telle décision est à nuancer car elle ne concerne que la Bourse, soit moins de 10% des flux entrants d’investissement de portefeuille depuis 2019. Le niveau très élevé du poste « erreurs et omissions » constitue également un facteur de fragilité. (graphique 11). En 2022, il a été négatif de USD 7,5 mds, soit plus que l’excédent courant et les flux nets de capitaux cumulés. Or, par définition, la visibilité de l’évolution de ce poste est nulle.
…et de stock
Les entrées de devises ne suffisent plus à faire face aux sorties. Sur les huit premiers mois de l’année, les réserves de change se sont encore contractées de presque USD 3 mds après une chute de USD 5 mds en 2022. Leur niveau pose également un problème.
Le taux de couverture est en apparence confortable. Fin 2022, les réserves de change atteignaient encore 5,5 mois d’importations de biens et services. Mais ce ratio masque une partie de la réalité. Il est notamment gonflé par la compression des importations due aux difficultés d’accès au dollar pour les opérateurs économiques, en raison des mesures de contrôle de capitaux ou du rationnement de la banque centrale. Officiellement, la demande en attente total serait environ USD 7 mds, soit 0,4 mois d’importations de biens et services.
De plus, une part importante des réserves de change de la banque centrale n’est pas complètement disponible. La publication récente des comptes financiers audités de la banque centrale sur la période 2016-2022 a, en effet, révélé d’importants engagements en devises de cette dernière d’un montant de USD 14,3 mds, dont USD 6,9 mds de contrats de change à terme et USD 7,5 mds de prêts de titres. La nature exacte de ces engagements n’est pas détaillée mais il semblerait qu’ils aient été contractés sur des maturités courtes, dans le but de soutenir les réserves de change. Ainsi, les réserves nettes de change seraient de USD 21,3 mds à fin 2022, soit de quoi couvrir seulement 3,3 mois d’importations de biens et services.
Plus troublant, un poste hors bilan pointe des engagements supérieurs (USD 31,7 mds à fin 2022) en incluant les contrats à terme de gré à gré (OTC) et les opérations de swap. Ici encore, il est impossible de déterminer auprès de qui ces contrats ont été contractés (investisseurs locaux ou étrangers), ni même leur utilisation.
Selon les différents rapports du FMI, les swaps de devises pourraient atteindre USD 10 à 12 mds, dont une grande partie auprès des banques domestiques, ce qui limiterait un peu le risque de liquidité. La capacité d’approvisionnement en devises de la banque centrale dépend malgré tout du renouvellement des opérations de swaps.
Par ailleurs, il convient également de prendre en compte les sorties potentielles de capitaux pour juger de la vulnérabilité extérieure d’un pays. Or, le stock de « hot money » (stock d’investissements de portefeuille en equity et dette de court terme) reste significatif à USD 28,3 mds à fin 2022, soit l’équivalent de 80% des réserves de change brutes (graphique 12) et 133% des réserves nettes. Le Nigéria est donc aussi fragile sur ce plan.
Finances publiques : les problèmes de fond demeurent
Une flexibilité budgétaire réduite
La situation des finances publiques est un autre sujet de préoccupation majeure. Malgré la décision de mettre fin aux subventions sur l’énergie et le surcroît de recettes pétrolières généré par la dépréciation du taux de change, le déficit budgétaire devrait encore atteindre 5% du PIB en 2023 et 4,7% en 2024, contre 5,7% en 2022 (graphique 13).
La très faible base fiscale du Nigéria compromet en effet la perspective d’une consolidation budgétaire rapide. Les revenus du gouvernement, qui étaient tombés à un point bas de 5,6% du PIB en 2016, se sont quelque peu redressés depuis, sans pour autant retrouver leur niveau pré-2014 ni rattrapé leur retard par rapport à d’autres économies comparables (graphique 14).
À 8,6% du PIB en 2022, ils demeuraient ainsi inférieurs de 9 points à la moyenne de l’Afrique subsaharienne et de 12,7 points aux autres producteurs de pétrole du sous-continent. Or, cette contre-performance ne peut s’expliquer seulement par les recettes pétrolières. Malgré quelques progrès ces dernières années, les revenus non pétroliers n’atteignaient toujours pas 5% du PIB en 2022. En conséquence, le Nigéria affiche non seulement un niveau structurellement bas de dépenses publiques (graphique 15), mais la flexibilité budgétaire s’est aussi considérablement réduite.
Près d’un tiers des ressources du gouvernement étaient dédiés au paiement de la charge d’intérêts de la dette en 2022, contre moins de 10% en 2014. Au niveau du gouvernement fédéral, la situation est encore plus dégradée. Pour la première fois, en 2022, les intérêts ont en effet dépassé les ressources collectées, poussant le gouvernement fédéral à sacrifier les dépenses en capital qui sont retombées en dessous de 1% du PIB.
Les marges de manœuvre dégagées par la réforme des subventions sur l’énergie et celle du système de change sont pourtant significatives : elles devraient atteindre 1,7 point de PIB rien qu’en 2023 et probablement le double en 2024. En ce qui concerne les subventions sur l’énergie, elles ne représentaient plus que 1,4% du PIB de janvier à juin 2023 contre 2,2% du PIB en 2022.
Cependant, le gouvernement a été contraint d’introduire des compensations pour amortir le choc inflationniste. D’ores et déjà, les autorités ont prévu d’utiliser un prêt concessionnel de USD 800 millions de la Banque mondiale pour effectuer des transferts directs aux ménages les plus vulnérables. Cela représente moins de 10% du montant des subventions mais d’autres mesures devraient être mises en place. Par ailleurs, réduire les dépenses d’investissement est toujours possible mais cela n’est pas souhaitable. Selon la Banque mondiale, il faudrait 300 ans au Nigéria pour combler son déficit d’infrastructures au rythme actuel.
Un coût de financement élevé
La faiblesse des marges de manœuvre budgétaire résulte en grande partie de la difficulté des autorités à améliorer la collecte fiscale. Une autre explication est le coût élevé du financement. Ces dernières années, le gouvernement a largement sollicité la banque centrale pour couvrir ses déficits budgétaires. Les avances directes de cette dernière, en principe limitées et de nature temporaire, visant à compenser une baisse des recettes, se sont en grande partie substituées aux sources de financement traditionnelles. En 2022, les avances ont couvert près de 60% des besoins du gouvernement.
En termes de stock, elles représentent désormais 1/3 de la dette contre 6% en 2015 (graphique 16). Or, cette stratégie de financement est non seulement inflationniste mais elle est aussi très couteuse pour les finances publiques. Le taux d’intérêt des avances atteint 21,75% (taux directeur de la banque centrale plus 3%) alors que ceux des émissions sur le marché local n’excèdent pas 16% depuis le début de l’année.
Aussi, un accord de restructuration a-t-il été signé en début d’année par le ministère des Finances. Il porte sur la quasi-totalité du stock de dettes contractées auprès de la banque centrale à fin 2022. Il prévoit une conversion des avances à court terme en titres de dette d’une maturité de 40 ans, à un taux d’intérêt de 9% assorti d’un délai de grâce de trois ans pour le paiement du principal.
Selon les estimations, l’opération devrait réduire la charge d’intérêts de l’État de presque 1 point de PIB. Évidemment, cela ne concerne pas les opérations effectuées après la signature de cet accord. Or, la contrainte de financement reste forte. La capacité d’absorption des banques est limitée. Comme les conditions de financement extérieur sont dégradées, le gouvernement risque donc de recourir encore massivement aux avances de la banque centrale.
Au total, compte tenu des déficits budgétaires élevés attendus, le poids des charges d’intérêts devrait au mieux se stabiliser au cours des deux prochaines années.
La dette publique a fortement augmenté depuis 2015, de 14,1% du PIB à 36% fin 2022. Elle devrait croître de 3 points de PIB à 39% en 2023, avant de commencer à se stabiliser à partir de 2024. L’impact du choc de change sur l’endettement du gouvernement sera contenu. Seulement un quart du stock de dette publique est libellé en devise, et la part des créanciers officiels dans la dette extérieure du gouvernement reste prépondérante (61% à fin 2022), bien qu’en forte diminution (85% en 2015. Le prochain remboursement de la dette euro-obligataire aura lieu en 2025 et s’élèvera à USD 1,1 md, un montant que devraient largement couvrir les réserves de change. Au-delà de 2025, l’échéancier d’amortissement est lisse pour des montants similaires.
La stabilisation de la dette convient néanmoins d’être relativisée. Elle est désormais plus de quatre fois supérieure aux recettes budgétaires, faisant du Nigéria l’un des pays africains les plus endettés sur ce plan (graphique 18).
Secteur bancaire : mieux préparé pour faire face à la dégradation conjoncturelle
Le secteur bancaire du Nigéria est exposé à de nombreux facteurs cycliques en raison du poids élevé des créances sur le secteur pétrolier (1/4 des encours de crédit) et de ses engagements en devise.
En 2016, la matérialisation de ces deux risques (change et crédit) avait mis les banques sous pression. Le taux des prêts non-performants était ainsi passé de 4,8% fin 2015 à 12,8% fin 2016 avant d’atteindre un pic de 15% au T3 2017, puis de redescendre. Les niveaux de solvabilité et de liquidité s’étaient également fortement détériorés sans jamais descendre, néanmoins, en dessous des normes prudentielles. La situation actuelle est très différente car le secteur pétrolier bénéficie d’une conjoncture plutôt favorable. Un meilleur contrôle du risque de change par les banques pourrait également permettre de limiter les conséquences de la dépréciation du taux de change sur les bilans des banques.
Environ un tiers des crédits aux entreprises est libellé en devises étrangères. Cependant, en raison des contraintes d’accès aux dollars pour les ménages et les entreprises ces dernières années, les banques sont désormais plus sélectives concernant les emprunteurs et la nature des transactions. La plupart d’entre elles exigent, par exemple, qu’un client dispose d’un contrat de change à terme avec la banque centrale avant d’ouvrir une lettre de crédit.
En outre, le secteur bancaire avait une position longue en devises étrangères. À la demande de la banque centrale, les gains de change générés par la dépréciation du naira ont été mis de côté pour faire face à tout mouvement défavorable futur du taux de change.
Par ailleurs, le taux de créances non-performantes atteint seulement 4,2% (graphique 19) et le taux de capitalisation (13,8% à fin 2022) est a priori suffisamment élevé pour absorber une augmentation du risque de crédit induite par l’envolée de l’inflation et le choc de change.
La stabilité du système financier ne semble donc pas menacée à ce stade. Mais la dégradation conjoncturelle devrait déséquilibrer l’allocation de crédits bancaires à l’économie. Depuis le T3 2022, la croissance du crédit au secteur est négative en termes réels (graphique 20). Ainsi, le taux de couverture des encours de crédits par les dépôts devrait atteindre seulement 57%.
En revanche, les crédits et titres sur l’État progressaient de 19% sur un an en avril dernier en termes réels. Il s’agit plutôt d’une stratégie d’allocation dans des placements considérés comme plus sûrs et rémunérateurs, dans un contexte de durcissement monétaire.
L’exposition des banques à l’État est modérée (22,6% du total des crédits en avril 2023) mais en forte progression, ce qui a contribué à redresser les niveaux de rentabilité jusqu’à retrouver leurs niveaux pré-pandémie. Dans le contexte actuel, cet effet d’éviction risque donc de s’aggraver alors que le trop faible niveau d’inclusion financière demeure un problème structurel. À fin 2022, l’encours de crédit bancaire au secteur privé atteignait seulement 12,9% du PIB.
Conclusion
En actant la fin des subventions sur l’énergie et en réformant le système de change, le nouvel exécutif nigérian a pris des décisions fortes mais nécessaires pour redresser une économie fragilisée par une décennie de déconvenues. Pour autant, cette stratégie est risquée. À court terme, le Nigéria va faire face à un choc inflationniste qui affectera fortement l’économie et la population. La réaction des autorités sera donc scrutée de près. Par le passé, de telles mesures avaient été déjà mises en place avant d’être rapidement abandonnées. Maintenir le cap sera donc crucial pour restaurer la confiance des investisseurs. Il faudra aussi accélérer les réformes pour remédier aux nombreuses faiblesses de l’économie nigériane : insuffisance de devises, niveau trop faible des ressources budgétaires, incapacité à retrouver son potentiel de production pétrolière.