Hormis le fait d’être situés en Asie du Sud, le Sri Lanka, le Pakistan et le Bangladesh ont comme point en commun d’être très vulnérables aux chocs exogènes, notamment ceux liés au cycle des matières premières et au changement climatique. L’épidémie de Covid-19 et la très forte hausse des prix des matières premières en 2021 et 2022 ont ainsi aggravé les déséquilibres macroéconomiques de ces pays, dont les finances publiques et les comptes extérieurs étaient déjà fragiles. Ainsi, le Sri Lanka a fait défaut sur sa dette extérieure en 2022. Ce n’est pas encore le cas du Pakistan, même si le risque est très élevé. Quant au Bangladesh, il a beaucoup mieux résisté aux chocs que ses deux voisins et devrait échapper au défaut.
Les causes de la crise : des fragilités structurelles accentuées par des chocs extérieurs
Les finances publiques et les comptes extérieurs sont structurellement fragiles au Sri Lanka et au Pakistan, et dans une moindre mesure au Bangladesh. Ils bénéficient tous les trois d’un soutien financier international.
De la dégradation accélérée des finances publiques …
Les finances publiques des pays d’Asie du Sud sont fragiles, et en particulier celles du Sri Lanka et du Pakistan. La situation budgétaire du Bangladesh est beaucoup plus confortable, même si elle s’est dégradée à partir de 2018 en raison de la hausse de ses dépenses d’investissement.
Au cours des cinq dernières années, le déficit budgétaire moyen a atteint 9,3% du PIB au Sri Lanka, 7,7% du PIB au Pakistan et 4,5% du PIB au Bangladesh. La dette du gouvernement du Bangladesh reste modérée (33,1% du PIB), en revanche elle est élevée au Pakistan (71,4% du PIB) et plus encore au Sri Lanka (113,8% du PIB). De plus, les garanties sur la dette des entreprises publiques représentent 11% du PIB au Sri Lanka contre 5% du PIB au Bangladesh et 2,6% au Pakistan.
Structurellement, les gouvernements de ces trois pays ont une marge de manœuvre budgétaire très limitée pour faire face aux chocs domestiques et extérieurs. Leur base fiscale est faible : les recettes budgétaires sont comprises entre 8,4% du PIB (au Bangladesh) et 12% du PIB (au Pakistan), et la part des dépenses rigides est élevée (l’ensemble des dépenses incompressibles constituent a minima 58,2% des dépenses totales au Bangladesh et jusqu’à 86,7% du total au Pakistan), en raison notamment de charges d’intérêts très importantes.
La dette du Pakistan est particulièrement vulnérable à un choc de taux d’intérêt car 64% de la dette domestique est constituée de titres à taux variables (27% dans le cas du Sri Lanka et moins de 10% dans le cas de la dette du Bangladesh).
Par ailleurs, la dette du Sri Lanka et celle du Pakistan sont particulièrement vulnérables à un choc de change, car la part de leur dette libellée en devises s’élève à 45% et 37% contre moins de 20% au Bangladesh. Avant le début des fortes tensions politiques en 2022, le Pakistan bénéficiait d’un avantage sur ses voisins : son marché financier était suffisamment développé pour financer son déficit budgétaire. Depuis 2022, la forte hausse des primes de risque sur les obligations souveraines et l’instabilité politique ont rendu les émissions de dette sur le marché domestique plus difficiles et plus coûteuses.
Structurellement fragiles, les finances publiques du Bangladesh et du Sri Lanka se sont par ailleurs dégradées avant même la crise induite par la COVID19.
Des politiques budgétaires expansionnistes à l’origine de la dégradation des finances publiques
Les finances publiques du Bangladesh et du Sri Lanka s’étaient dégradées avant même de début de la pandémie de Covid-19.
Au Sri Lanka, la dégradation a commencé dès 2019. En effet, le déficit budgétaire a augmenté de 4 points de PIB passant de 5% du PIB en 2018 à 9% du PIB en 2019 en raison, d’une part, de la baisse des recettes induite par la contraction de l’activité économique consécutive aux attentats survenus en avril et, d’autre part, de la hausse des investissements du gouvernement. De plus, la politique budgétaire adoptée par le gouvernement élu fin 2019 (abaissement du taux de la TVA et réduction de l’imposition sur les revenus des ménages et des profits des sociétés) a généré une diminution très significative des recettes budgétaires en 2020 déjà fragilisées par l’épidémie de Covid-19 (-3,5 points de PIB). La dégradation de la note souveraine qui a suivi et la dépréciation de la roupie ont alourdi le coût du service de la dette et accentué les difficultés de l’Etat à se financer. Dès 2020, le gouvernement sri-lankais ne pouvait plus émettre de dette sur les marchés internationaux. Fin 2022, le déficit budgétaire atteignait 10,2% du PIB.
Les finances publiques du Bangladesh, bien que beaucoup plus solides que celles du Sri Lanka, se sont détériorées à partir de 2018 en raison de la hausse des dépenses d’investissement du gouvernement alors même que ses recettes n’augmentaient pas. En cinq ans, le déficit budgétaire a ainsi augmenté de 2,2 points de PIB pour atteindre 5,2% du PIB en 2022. Par ailleurs, pour diminuer le coût du service de sa dette, le gouvernement a réduit la part des certificats d’émission national (« National Savings Certificate ») au profit de prêts internationaux en devises, dont les taux d’intérêt étaient moins élevés. Ce faisant, sa dette est désormais plus vulnérable à un choc de change. La part de la dette en devises a atteint 36,5% de la dette totale fin 2022, soit 20 points de pourcentage (pp) de plus que cinq ans plus tôt.
Enfin, au Pakistan, le déficit était déjà très élevé avant la pandémie (7,9% du PIB).
Aggravation des déséquilibres budgétaires due à l’épidémie de Covid-19 et à la hausse des prix des matières premières
Les deux chocs, qu’ont constitué la pandémie en 2020-2021 et la hausse des coûts des matières premières en 2021-2022, ont fragilisé encore davantage les finances publiques des trois pays.
L’épidémie de la Covid-19 a entraîné une hausse des dépenses publiques sous la forme, notamment, de subventions financières aux ménages les plus défavorisés et de prêts subventionnés (en sus des dépenses de santé). Ces coûts supplémentaires sont estimés à 5% du PIB au Bangladesh et 2,1% du PIB au Sri Lanka (sur 2020 et 2021). Au Pakistan, le coût a, en revanche, été limité, la hausse du déficit budgétaire n’ayant été que de 0,8 pp du PIB sur l’exercice budgétaire 2021/2022. Le gouvernement a, en effet, rapidement suspendu les mesures d’augmentation des salaires des fonctionnaires et les exemptions fiscales qu’il avait introduites début 2022, afin d’obtenir la facilité élargie de crédit (« Extended Fund Facility ») du FMI.
À la hausse des dépenses de soutien à l’activité et au revenu des populations s’est ajouté une baisse des recettes due à la fois au ralentissement économique, à la baisse des taxes à l’international induite par la contraction des échanges commerciaux, et à l’effondrement des recettes touristiques. À ce titre, le Sri Lanka a été particulier touché. Entre 2019 et 2021, son déficit budgétaire a augmenté de 2,7 points de PIB même si les données publiées ne nous permettent pas de dissocier l’impact induit par la politique budgétaire expansionniste, adoptée par le gouvernement fin 2019, de l’effet négatif de l’absence de touristes.
La forte hausse des prix des matières premières (+65% entre le niveau enregistré fin 2019 et celui atteint mi-2022), conjointement à la reprise économique mondiale en 2021, et accentuée par le conflit en Ukraine en février 2022, a constitué le second choc exogène. Elle a entraîné i) une augmentation (temporaire) des dépenses publiques, ii) une hausse du coût des intérêts sur la dette (en raison du durcissement monétaire qui a suivi) et iii) un renchérissement de la valeur de la dette extérieure (induite par la dépréciation des devises).
En effet, pour tenter de limiter l’impact de la hausse des prix internationaux des matières premières sur le pouvoir d’achat des ménages, déjà fragilisé par l’épidémie de Covid-19, les trois gouvernements ont cherché à contrôler l’évolution des prix de l’énergie et ceux de l’alimentation. Cette politique, trop coûteuse pour leurs finances publiques n’a pas pu être maintenue très longtemps ; elle a été abandonnée en avril 2022, mai et août 2022, respectivement au Sri Lanka, au Pakistan et au Bangladesh. Les hausses des prix alimentaires et de l’énergie qui ont suivi se sont transmises à l’ensemble des prix domestiques. Ceux-ci ont atteint des niveaux sans précédent, en particulier au Sri Lanka où la très forte dépréciation de la roupie a très sensiblement amplifié l’inflation importée (en 2022, la hausse des prix a atteint 7,7% au Bangladesh, 19,7% au Pakistan et 49,9% au Sri Lanka).
Pour lutter contre la hausse mondiale des prix des matières premières, les banques centrales ont durci leur politique monétaire entraînant de facto une forte hausse du paiement des intérêts sur la dette. Au Pakistan (plus exposé à un choc de taux compte tenu de la structure de sa dette domestique), la charge d’intérêt a augmenté de plus de 15 pp entre juillet et décembre 2022 pour représenter plus de 50% des recettes budgétaires. Au Sri Lanka, cette charge, déjà très élevée avant la pandémie, a atteint le niveau insoutenable de 77,8% des recettes budgétaires. À titre de comparaison, le paiement des intérêts ne représentait que 20,4% des recettes budgétaires au Bangladesh.
De plus, la hausse des prix des matières premières, en accentuant les déséquilibres extérieurs et les pressions à la baisse sur les cours de change a fortement alourdi la dette en devises. C’est en particulier le cas de la dette extérieure du gouvernement sri-lankais, dont la valeur en roupies a augmenté de plus de 91% en raison du seul effet change. Depuis fin 2019, la dette du Sri Lanka a ainsi augmenté de 31,9 points de PIB et celle du Bangladesh de 7,5 points de PIB, alors que la dette du Pakistan (rapportée au PIB) est restée relativement stable sur la même période.
… à l’érosion de la liquidité extérieure
Les comptes extérieurs de ces trois pays sont structurellement fragiles, même si ceux du Bangladesh sont plus solides.
Au Pakistan et au Sri Lanka, les besoins de financement en devises (somme du déficit du compte courant et amortissement de la dette extérieure) excèdent largement les réserves de change. Ces dernières ne permettent même pas d’assurer le seul paiement du service de la dette, y compris pour le Pakistan dont la dette est relativement modeste (elle s’élevait fin 2022 à 33,5% du PIB contre près de 64% du PIB au Sri Lanka). Par ailleurs, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) sont structurellement inférieurs au déficit du compte courant. La couverture de l’ensemble de leurs besoins de financement en devises reste donc conditionnée aux prêts internationaux privés (les prêts publics étant par nature moins volatils) et/ou aux investissements de portefeuille, beaucoup plus volatils que les flux d’IDE.
Les comptes extérieurs du Bangladesh sont a priori structurellement plus solides que ceux du Pakistan et du Sri Lanka car ses réserves de change suffisent à couvrir ses besoins de financement extérieurs à moins d’un an. Toutefois, le pays reste vulnérable aux chocs extérieurs car les IDE ne couvrent pas le déficit courant.
Par ailleurs, ces trois pays sont très dépendants des flux de revenus des travailleurs émigrés qui ont atteint, au cours des cinq dernières années, 5% du PIB au Bangladesh et 7,4% au Pakistan.
Enfin, ces pays présentent des spécificités qui les rendent plus vulnérables aux chocs extérieurs : le Sri Lanka est très dépendant des recettes touristiques (4,6% du PIB en 2018) et les exportations du Pakistan (comme celles du Bangladesh) sont concentrées sur les produits textiles (le coton pour le Pakistan).
Aggravation des déséquilibres extérieurs en raison de chocs exogènes
Les comptes extérieurs du Sri Lanka ont commencé à se dégrader après les attaques terroristes d’avril 2019 qui ont provoqué une chute des recettes touristiques. La fermeture des frontières en 2020-2021 et l’effondrement consécutif du tourisme, la baisse des exportations (en 2020) et la forte hausse des prix des matières premières en 2021 (accentuée au premier semestre 2022) ont accentué les déséquilibres extérieurs dans ces trois pays.
Pour tenter de contenir la dégradation de leurs comptes extérieurs, les gouvernements du Sri Lanka (dès 2020), du Pakistan et du Bangladesh (en 2022) ont imposé des contrôles sur les mouvements de capitaux, sur les importations de biens non-essentiels et adopté des mesures restreignant l’activité des entreprises énergivores.
En dépit de ces mesures, le déficit du compte courant a atteint 5,2% du PIB au Sri Lanka au premier trimestre 2022 (soit une hausse de 3,2pp en un an) et 4,6% du PIB au Bangladesh et au Pakistan à la fin de l’exercice budgétaire 2021/2022 achevé au 30 juin 2022 (soit respectivement 3,6pp et 3pp de plus qu’un an plus tôt). Par ailleurs, les inondations survenues au Pakistan à l’automne 2022 ont réduit les exportations de coton et de produits textiles.
Pour contenir les risques de revalorisation de leur dette extérieure, les banques centrales de ces trois pays ont choisi d’ancrer leur taux de change au dollar américain (dès 2020 pour le Sri Lanka). Le maintien de la parité fixe a ainsi accéléré la chute de leurs réserves de change. En outre, l’adoption de cette politique n’a pas empêché in fine la dépréciation du cours du change officiel. Pire, elle a favorisé l’émergence de taux de change parallèles, ce qui a découragé l’afflux de revenus de la part des travailleurs émigrés.
Enfin, le durcissement monétaire aux États-Unis et en zone euro, adopté dès 2022 pour faire face à la forte hausse des pressions inflationnistes, a entraîné une baisse de la liquidité mondiale. Les flux d’investissements financiers (IDE et investissements de portefeuille) à destination des pays émergents ont ainsi été réduits, et en particulier pour les pays les plus fragiles dont font partie les trois pays sous revue.
Au total, la hausse des besoins de financement a entraîné une chute des réserves de change de 84,5% au Pakistan (entre août 2021 et février 2023), de 78,5% au Sri Lanka (entre février 2020 et octobre 2022) et de 35,6% au Bangladesh (entre août 2021 et aujourd’hui), ce qui n’a pas empêché les roupies sri lankaise et pakistanaise, et le taka bangladais de se déprécier respectivement de 44,4%, 21,6% et 13,2% en 2022. Finalement, le Sri Lanka a été contraint de faire défaut sur sa dette extérieure (annoncé en avril et concrétisé en mai 2022), le Pakistan a dû se soumettre aux exigences du FMI pour éviter de faire défaut sur sa dette et le Bangladesh a demandé l’aide du FMI pour consolider sa balance des paiements afin d’éviter une crise de la balance des paiements.
Des pays loin d’être sortis d’affaire
Le Sri Lanka, le Pakistan et le Bangladesh sont loin d’être sortis d’affaire, même si le premier négocie actuellement une restructuration de sa dette et s’ils bénéficient, tous les trois, de l’aide financière du FMI.
La situation économique du Sri Lanka est particulièrement fragile. Le pays devrait enregistrer une nouvelle contraction de son activité économique en 2023 (-3% selon le FMI), son taux d’inflation reste très élevé (33,6% en avril 2023) et le taux de pauvreté (fixé sous le seuil de USD3,65 par jour) devrait atteindre 27,5% en 2023, selon la Banque mondiale, alors qu’il s’établissait à 13% en 2021. En outre, les négociations portant sur la restructuration de la dette extérieure du Sri Lanka (entamées en mai 2023) et l’obtention de nouveaux prêts internationaux par le Pakistan seront déterminants.
Par ailleurs, les secteurs bancaires de ces trois pays sont fortement exposés au risque souverain. En effet, la valeur de la dette a sensiblement diminué, réduisant de fait la valeur de leurs actifs. D’importants besoins de recapitalisation pourraient apparaître dans les prochains mois, fragilisant encore davantage les finances publiques alors que les marges de manœuvre budgétaires des gouvernements sont extrêmement contraintes.
Des comptes extérieurs toujours très fragiles
Depuis mi-2022, les besoins de financement extérieurs de ces trois pays sont en baisse. Les contraintes sur les importations de biens et services associées au ralentissement voire, à la contraction, de l’activité économique (-8,3% au Sri Lanka en 2022) ont permis de réduire sensiblement le déficit des comptes courants de ces trois économies ; au printemps 2023, le Pakistan et le Bangladesh ont même enregistré un surplus.
Dans le même temps, les ressources en devises du Pakistan et du Sri Lanka ont augmenté, reflet de la hausses des recettes touristiques, des revenus des travailleurs émigrés, et des prêts reçus des créanciers internationaux (bilatéraux, multilatéraux et de créanciers privés, notamment chinois).
Bien qu’en légère amélioration, la situation du Pakistan et du Sri Lanka reste cependant extrêmement fragile et vulnérable à tout nouveau choc extérieur. Leurs réserves de change, bien qu’en légère hausse depuis le début de l’année 2023, restent à un niveau particulièrement bas. En avril 2023, elles atteignaient l’équivalent de seulement 1 mois d’importations de biens et services. Ce n’est guère plus qu’au plus fort de la crise de la balance des paiements, qui a frappé ces deux pays quand leurs réserves de change avaient baissé jusqu’à seulement deux semaines et demie d’importations de biens et services. En outre, les réserves sont toujours très insuffisantes pour faire face aux besoins de financements en devises (sauf si le gouvernement du Sri Lanka parvenait à obtenir des arrangements très satisfaisants concernant la restructuration de sa dette extérieure).
La situation du Bangladesh reste elle aussi préoccupante car, contrairement aux deux pays voisins, elle ne cesse de se dégrader depuis un an même si les réserves de change restent comparativement un peu plus confortables. Ces dernières ne représentent plus que 3,9 mois d’importations de biens et services en avril 2023 contre 8,4 mois deux ans plus tôt.
Restructuration en cours de la dette du Sri Lanka
Depuis la fin de l’année 2022, les tensions sur les comptes extérieurs du Sri Lanka se sont allégées et la roupie s’est redressée face au dollar. Cette consolidation s’explique par la suspension du paiement du service de la dette extérieure depuis la déclaration du défaut en 2022 mais aussi par i) la baisse significative du déficit du compte courant, ii) un premier versement en mars 2023 de USD 333 millions de la part du FMI (dans le cadre de la facilité de crédit de USD3mds accordée au pays pour une période de 48 mois), iii) le début des discussions en mai 2023 avec les créanciers internationaux et domestiques pour la restructuration de la dette extérieure publique.
Les comptes extérieurs du pays restent cependant extrêmement fragiles, comme en témoigne la décision du FMI d’autoriser la banque centrale à maintenir les contrôles sur les mouvements de capitaux et sur les opérations de change (conversion de la roupie en devises). Cela même si la banque centrale a abandonné l’ancrage de la roupie face au dollar.
Selon les estimations du FMI, un allègement du service de la dette extérieure compris entre USD3,4 et USD3,6mds est indispensable pour permettre au pays de couvrir ses besoins de financement extérieurs au cours des trois prochaines années. En effet, sans restructuration de sa dette extérieure, le seul service de la dette est estimé entre USD3,7mds et USD4,3mds par an (2023-2025) alors que les réserves de change ne s’élevaient qu’à USD2,7mds fin avril.
Pour atteindre la fourchette d’allègement du service de la dette, le gouvernement sri lankais a pour objectif d’obtenir une restructuration d’environ USD31mds du stock de dette (l’équivalent de 68% du total de la dette extérieure). La dette bilatérale et celle des créanciers privés (obligations internationales et obligations domestiques émises en monnaie étrangère, les « Sri Lanka Development bonds ») sont concernées par ces programmes de restructuration. La dette domestique en monnaie locale devrait aussi être restructurée, y compris les titres à court et long-terme détenus par la banque centrale et les banques commerciales. Sachant qu’environ ¾ des intérêts portent sur la dette domestique, inclure cette dernière dans le programme de restructuration permettrait d’accélérer la consolidation des finances publiques et d’éviter de faire supporter tout le poids de la restructuration sur les créanciers externes.
Le Pakistan : toujours en attente du déblocage de la ligne de financement du FMI
Mi-juin 2023, le gouvernement attendait toujours que se conclue la neuvième revue de la facilité élargie de crédit avec le FMI (Extended Fund Facility), laquelle a été suspendue depuis novembre 2022 car le gouvernement ne respectait pas les objectifs de consolidation budgétaire. Au début de l’année 2023, le FMI a demandé au gouvernement pakistanais d’apporter la preuve de l’engagement financier de ses prêteurs officiels bilatéraux (notamment la Chine et l’Arabie saoudite) pour lui permettre de couvrir l’intégralité de ses besoins de financement extérieurs d’ici la fin du mois de juin. Même si, à ce jour, le gouvernement semble avoir rempli les demandes du FMI, le déblocage de USD1,2md sur les USD2,6mds auxquels le pays pouvait encore prétendre d’ici la fin du programme en cours (initialement fixé à juin 2023) n’est toujours pas intervenu. La présentation, au début du mois de juin, du budget pour l’année 2023/2024 semble par ailleurs très loin des cibles définies par le FMI et pourrait constituer un nouvel obstacle à tout nouvel engagement du FMI. Il est aujourd’hui probable que le programme du FMI se termine le 30 juin sans accord sur les 9e et 10e revues, et par conséquent que le gouvernement ne reçoive pas les fonds attendus. Cependant, même sans l’aide financière du FMI, le Pakistan devrait être en mesure de faire face à ses besoins de financement jusqu’à la fin du mois de juin. En revanche, le risque d’un défaut reste très important, en particulier si le gouvernement ne parvient pas à convaincre le FMI. Les agences de notation et le FMI estiment les besoins de financement en devises proches de USD30mds par an au cours des trois prochaines années budgétaires (dont USD20-25mds au titre du seul service de la dette extérieure) alors que les réserves de change étaient de seulement USD4mds fin mai 2023. La couverture des de financement en devises à court et moyen-terme restera donc fortement conditionnée à l’obtention de nouveaux prêts étrangers. En effet, le gouvernement n’est pas en mesure d’émettre sur les marchés financiers internationaux compte tenu de la situation politique qui reste extrêmement conflictuelle, de la perspective de nouvelles élections en octobre 2023 et du niveau très élevé des taux d’intérêt. Les rendements à trois ans sur les obligations du gouvernement ont atteint 19,9% fin mai 2023 (contre 13,6% un an plus tôt).
Bangladesh : baisse continue des réserves de change
Face à la dégradation de ses comptes extérieurs, le gouvernement du Bangladesh a, lui aussi, fait appel au FMI dès la mi-2022. Le comité exécutif a approuvé fin janvier 2023 un plan ECF/EFF de 42 mois pour un total de USD3,3mds et un plan RSF (Resistence and Sustainability Facility) de USD1,4md (pour financer les investissements nécessaires pour lutter contre le risque climatique), donnant lieu au versement instantané de USD 476 millions.
Depuis le mois de décembre 2022, le compte courant du pays s’est sensiblement redressé (-74,6% entre juillet 2022 et mars 2023 par rapport à la même période l’année dernière), reflet du ralentissement économique et des très fortes contraintes sur les importations. Pour autant, les réserves de change ont continué de diminuer, et ce en dépit des fonds reçus du FMI. En effet, la contraction des importations a entraîné, de facto, une baisse significative des prêts commerciaux en devises. Par ailleurs, compte tenu de la forte hausse des taux d’intérêt, le gouvernement a limité autant que faire se peut les emprunts à l’international à moyen et long terme. Sur les neuf premiers mois de l’année budgétaire en cours (juillet 2022-mars 2023), le compte financier a enregistré un déficit alors qu’il affichait un excédent à la même époque l’année dernière. Le déficit de la balance des paiements (hors variations de change) a ainsi été multiplié par 2,6 et les réserves de change ont baissé à USD29,9mds fin mai 2023.
L’une des conditions imposées par le FMI pour continuer à débourser les fonds dans le cadre de la facilité élargie de crédit est que les réserves de change nettes[1] du pays doivent avoir augmenté de USD1,5md entre janvier et juin 2023, pour atteindre USD24,4mds fin juin. Or, la banque centrale du Bangladesh ne publie pas de telles séries. Néanmoins, les réserves de change brutes ont baissé de USD2,3mds entre janvier et mai 2023.
En outre, même si le gouvernement a annoncé qu’il était parvenu à négocier l’obtention de nouveaux prêts auprès de prêteurs multilatéraux (Banque mondiale, Banque asiatique d’investissement, Agence japonaise de coopération internationale) pour un montant de USD1md, cela pourrait ne pas suffire pour atteindre l’objectif fixé par le FMI.
Cependant, les réserves de change brutes sont encore largement suffisantes pour couvrir le service de la dette extérieure de l’ensemble du pays, estimé à moins de USD5mds par an au cours des trois prochaines années (USD3,2mds pour le secteur public seul). En revanche, la dépréciation du taka face au dollar est plus préoccupante car elle accentue les pressions inflationnistes et augmente la contre-valeur de la dette extérieure en monnaie locale. Entre janvier 2023 et mai 2023, la monnaie a continué de se déprécier de 8,2% face au dollar, portant l’augmentation de la contre-valeur à plus de 20% depuis janvier 2022.
Des secteurs bancaires vulnérables
Les secteurs bancaires de ces trois pays sont structurellement fragiles. L’environnement institutionnel est défaillant et la politique monétaire peu efficace. Dans ces trois pays, la qualité des actifs bancaires est faible, en particulier ceux des banques publiques.
Au Sri Lanka, le ratio des créances douteuses rapportées à l’ensemble des crédits a augmenté de 6pp en deux ans pour atteindre 10,9% des crédits totaux fin 2022. Sur la même période, il a augmenté de seulement 0,5pp au Bangladesh (à 8,2%) et a baissé de près de 2pp au Pakistan à 7,3%. La qualité des actifs est cependant encore plus fragile dans les banques publiques où ces ratios ont atteint en fin d’année respectivement 13,2%, 20,3% et 14,7% au Sri Lanka, au Bangladesh et au Pakistan. Au Sri Lanka, la fin du moratoire sur les remboursements de prêts fin 2021, hors secteurs du tourisme et des transports, et six mois plus tard pour le tourisme et le secteur des transports explique aussi en partie cette forte dégradation de la qualité des actifs bancaires.
Officiellement, les ratios de solvabilité au Sri Lanka et au Pakistan restaient satisfaisants fin 2022 avec respectivement 15,3% et 17%, ce qui n’était pas le cas au Bangladesh (le ratio de solvabilité était de 11,8% dans l’ensemble du secteur et de seulement 6,8% dans les banques publiques, soit un niveau très inférieur au seuil réglementaire de 12,5%).
En outre, même si les banques pakistanaises apparaissent relativement plus solides que celles du Sri Lanka et du Bangladesh, elles sont beaucoup plus exposées au risque souverain. Fin 2022, la part des actifs bancaires sur l’État était estimée à 65,8% au Pakistan contre 40,1% au Sri Lanka (État et entreprises publiques) et seulement 21,5% au Bangladesh. Or, les pertes financières des banques, induites par la baisse de la valeur des obligations souveraines qu’elles détiennent, ont fait baisser la valeur de leurs actifs, laquelle devrait entrainer un important besoin de recapitalisation et peser sur la distribution du crédit à court et moyen terme. Le FMI estime les besoins de recapitalisation du secteur bancaire au Sri Lanka à 6% du PIB. Plus des deux tiers de l’exposition du secteur bancaire sri-lankais sur l’État porte sur de la dette libellée en monnaie domestique, laquelle n’a pas été provisionnée. De même, les sociétés financières non-bancaires sont, elles aussi, très exposées au souverain. Les fonds de pension sont les plus gros détenteurs de dette en monnaie locale. L'Employees’ Provident Fund (EPF) détient 29% de obligations d’État en monnaie locale, et investit 94% de ses fonds dans ces titres. De même, 43,5% des actifs des compagnies d’assurance sont constitués de dette du gouvernement. La restructuration de la dette publique du Sri Lanka (y compris de la dette domestique) pourrait ainsi avoir des conséquences lourdes sur le secteur bancaire et le secteur financier non bancaire, et par voie de conséquence sur sa capacité à financer l’économie.
Les banques publiques du Pakistan pourraient, elles aussi, avoir d’importants besoins de recapitalisation dans les mois à venir alors même que la capacité du gouvernement à les soutenir a sensiblement diminué. Or, les fragilités des banques publiques affectent particulièrement le financement de l’économie car la liquidité du secteur bancaire est concentrée au sein de ces établissements publics. Déjà confrontées à des problèmes importants de liquidités en devises, les banques ont été contraintes de limiter leurs crédits en devises, ce qui pénalise l’activité économique.
Les prêts du FMI conditionnés à des objectifs ambitieux
Le Sri Lanka et le Bangladesh doivent impérativement respecter les objectifs fixés par le FMI au risque de voir les aides, accordées dans le cadre des facilités élargies de crédit, gelées. Or, ces objectifs sont très ambitieux tant en matière de réduction du déficit du solde budgétaire primaire (déficit budgétaire hors paiement des intérêts sur la dette) que de réduction des déséquilibres extérieurs, qui devront se traduire au Sri Lanka comme au Bangladesh par une hausse des réserves de change. Le programme actuel d’aide financière du FMI au bénéfice du Pakistan devant s’achever fin juin, il ne fixe pas de tels objectifs.
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Soutenues financièrement par les organisations internationales, les économies du Sri Lanka, du Pakistan et, dans une moindre mesure, du Bangladesh restent très fragiles.
Au Sri Lanka, la restructuration de sa dette est indispensable pour éviter une nouvelle crise de la balance des paiements et affaiblir un peu plus un secteur bancaire, très exposé au risque souverain.
Le Pakistan reste, pour sa part, à la merci de ses créanciers internationaux dont les flux financiers lui sont indispensables pour couvrir ses besoins de financement extérieurs et, en particulier, les remboursements de dette en devises. Or, l’instabilité politique qui y règne, et qui pourrait se prolonger au-delà des élections prévues au plus tard en octobre 2023, pourrait compromettre l’adoption d’un nouveau programme d’aide du FMI.
Enfin, bien que la situation macroéconomique et financière du Bangladesh soit moins fragile que celle de ses voisins, la dégradation continue de ses comptes extérieurs est préoccupante. En outre, les objectifs imposés par le FMI en matière de consolidation budgétaire et extérieure sont très ambitieux et pourraient être difficiles à atteindre.
Johanna Melka