En zone euro, les écarts de taux entre pays dépendent de variables fondamentales qui évoluent lentement et qui sont liées aux questions de viabilité de la dette mais également du niveau de l’aversion pour le risque, une variable très fluctuante. Tout cela complique l’évaluation du caractère justifié ou non de l’élargissement du spread observé.
Du point de vue de la théorie financière, on s’attendrait de fait à un bêta positif entre les taux allemands et les spreads souverains. Lorsque le taux sans risque augmente, on est en mesure de limiter l’investissement dans des actifs à risque pour atteindre le rendement visé. La relation est également positive selon la théorie macroéconomique mais pour une tout autre raison : la hausse des taux d’intérêt influence les paramètres de viabilité de la dette.
En effet, dans l’hypothèse où le ratio de la dette serait initialement stable, une hausse permanente du coût d’emprunt moyen nécessiterait, toutes choses égales par ailleurs, une réduction du déficit primaire des administrations publiques ou une augmentation de l’excédent primaire pour que le ratio de la dette reste stable[2]. En particulier, dans le cas d’une augmentation significative et durable des taux d’intérêt, on peut craindre que les mesures prises pour stabiliser le ratio de la dette prennent du temps ou soient insuffisantes. De telles craintes se traduiraient par une remontée des spreads.
La recherche menée par la BCE[3] sur la période 1999-2010 montre que, dans la zone euro[4], le solde des administrations publiques et le ratio de la dette jouent un rôle statistiquement significatif pour expliquer le comportement des spreads souverains. Ce dernier est positivement corrélé au risque financier, représenté par l’indice VIX. Un ralentissement de la croissance, une appréciation du taux de change réel ou une baisse de la liquidité du marché obligataire sont associés à un élargissement des spreads. Les notations de crédit jouent également un rôle mais leur influence est limitée. Il convient de noter que, pendant la crise de la dette souveraine, la sensibilité des cours des obligations aux fondamentaux a augmenté.
Des travaux de recherche plus récents aboutissent à des conclusions similaires et identifient également le rôle des mesures d’assouplissement quantitatif et leur influence sur les spreads[5]. Jordi Paniaguaa et al[6] soulignent que le sentiment du marché et, par conséquent, les spreads dépendent également des différences, en termes de croissance, de la production entre pays du noyau dur et pays périphériques, ce qui milite en faveur d’une coordination des politiques macroéconomiques afin d’arriver à une convergence des performances économiques. Des études menées par le FMI[7] mettent en évidence le rôle de l’aversion mondiale pour le risque dans le comportement des spreads. Entre juillet 2007 et septembre 2008 – ou « l’avant-crise financière » selon les auteurs - l’Allemagne et d’autres pays du noyau dur ont bénéficié des mouvements de fuite tandis que les pays périphériques ont pâti de l’aversion pour le risque.
Pour illustrer le rôle de l’aversion pour le risque, les graphiques 2 et 3 comparent l’évolution du spread BTP-Bund et, respectivement, l’écart de taux entre obligations à haut rendement dans la zone euro et l’indice boursier Euro Stoxx 50. Depuis une date récente, la corrélation entre le spread souverain et l’écart de taux entre obligations à haut rendement est forte et il en va de même pour la corrélation entre le spread souverain et les évolutions du marché boursier. Cela laisse penser que l’aversion pour le risque a augmenté dans les derniers mois, probablement du fait de la perspective de relèvements des taux par la BCE et d’une croissance plus incertaine, liée à la hausse de l’inflation et à la guerre en Ukraine.