Le 10 octobre dernier, les régulateurs bancaires américains relevaient les seuils d’application des exigences de capital et de liquidité imposées aux grandes banques.
Si le nouveau cadre ne modifie pas les exigences prudentielles des huit principaux groupes bancaires, il allège en revanche celui des grandes banques régionales.
Le nombre de banques soumises à la contrainte de liquidité bâloise LCR va être réduit et la définition des fonds propres durs sera en partie assouplie.
De manière générale, les règles finalisées au cours des deux derniers mois vont sensiblement resserrer le périmètre d’application de Bâle 3 aux Etats-Unis.
Compte tenu des inquiétudes suscitées par la dynamique du crédit sur certains segments et de la poursuite du ralentissement américain, ce mouvement de déréglementation interpelle.
La loi Dodd-Frank, promulguée sous la présidence Obama en juillet 2010, avait pour ambition d’imposer à l’ensemble des établissements bancaires américains des exigences de fonds propres pondérées par les risques, quelle que soit la taille de leur bilan. Elle avait, toutefois, accordé aux régulateurs la faculté d’imposer des standards prudentiels renforcés (Enhanced Prudential Standards, EPS) aux institutions financières susceptibles de présenter un risque systémique[1]. Ces derniers avaient ainsi opté pour une application différenciée, selon la taille des établissements, de certaines règles prudentielles (mesure des risques par des modèles internes, ratios de levier et de liquidité bâlois…).
La « loi de soutien à la croissance économique, d’allègement réglementaire et de protection du consommateur » (EGRRCPA), promulguée par le président Trump en mai 2018, a écorné deux pans de la loi de 2010. Premièrement, elle a confié aux régulateurs le soin de calibrer une nouvelle exigence de levier, dans une fourchette de 8% à 10%, afin de permettre aux plus petits établissements de dépôts (ceux dont les actifs consolidés n’excèdent pas USD 10 mds, soit 97% du système bancaire en nombre d’établissements et 16% en termes d’actifs en juin 2019), s’appuyant sur un faible levier d’endettement, de s’affranchir intégralement de Bâle 3 (section 201 de la loi EGRRCPA). Le 17 septembre dernier, les régulateurs fixaient cette exigenceà hauteur de 9%[2].
Deuxièmement, la loi de 2018 a relevé le seuil de désignation des établissements bancaires susceptibles de poser un risque systémique et, à ce titre, soumis aux standards prudentiels renforcés, de USD 50 à 250 mds d’actifs pour les Bank Holding Companies américaines (BHC) et, en rupture avec le principe d’égalité de traitement, de USD 50 à 100 mds pour les Intermediate Holding Companies (IHC) américaines de banques étrangères[3] (section 401 de la loi EGRRCPA) tout en accordant à la Réserve fédérale (Fed) une grande latitude pour moduler ces seuils.
Le 10 octobre dernier, cette opportunité était pleinement saisie. Conformément aux propositions d’octobre 2018 et d’avril 2019, les trois régulateurs bancaires américains (Fed, FDIC, OCC) ont introduit une plus grande progressivité dans l’application des règles renforcées[4]. Le nouveau cadre discrimine les établissements non plus uniquement en fonction de leur taille mais également selon d’autres critères d’appréciation du risque (activités transfrontalières, recours à la dette de marché de court terme, activités non bancaires, expositions de hors bilan)[5].
S’agissant des modalités de calcul des critères de risque, les régulateurs ont en revanche dévié de leur proposition d’avril, laquelle était particulièrement défavorable aux filiales américaines de banques étrangères (IHC). Les contraintes de liquidité d’une IHC dépendront du profil de risque de l’établissement et non, comme initialement proposé, du profil de risque de l’ensemble des filiales et succursales américaines de sa maison mère (combined US operations). En harmonisant les modes de calcul des indicateurs de risque et les seuils d’application des exigences de liquidité des banques étrangères sur ceux des banques américaines, les régulateurs ont renoué, en partie, avec le principe d’égalité de traitement du Dodd-Frank Act, avec lequel la loi de mai 2018 avait rompu.
Si le nouveau cadre ne modifie pas les exigences de fonds propres ou de liquidité imposées aux huit plus grandes banques américaines (mais réduit la fréquence de mise à jour de leurs plans de résolution[6]), il allège en revanche celui des grandes banques régionales.
Des exigences adaptées en fonction du profil de risque des banques
Les banques dont la taille de bilan atteint ou excède USD 100 mds seront désormais réparties en quatre catégories selon leur profil de risque. Plus une banque est susceptible de présenter un risque systémique, plus les exigences imposées sont fortes (tableaux 1 et 2) :
- Catégorie IV : banques dont le bilan est compris entre USD 100 et 250 mds. Ces établissements demeureront soumis aux exigences de fonds propres pondérées des risques (méthode standard) et à une norme de levier simple[7]. Ils seront contraints de participer aux stress tests de la Fed tous les deux ans. Les banques de la catégorie IV dont le recours aux financements de marché de court terme excède USD 50 mds seront soumises à une version assouplie de la contrainte de liquidité à court terme LCR (voir encadré) et de la contrainte de liquidité à long terme NSFR (dès lors que cette dernière sera introduite dans le corpus réglementaire) ; les autres en seront dispensées.
- Catégorie III : banques dont le bilan est compris entre USD 250 et 700 mds ou ayant au moins USD 75 mds d’actifs non bancaires, de dette de marché de court terme ou d’expositions de hors bilan. Ces banques se verront imposer le coussin contracyclique de conservation des fonds propres[8] (actuellement fixé à 0%) et l’exigence de levier bâloise SLR[9]. Elles seront en revanche dispensées de l’approche avancée Bâle 3 pour le calcul des actifs pondérés des risques et pourront exclure la plupart des gains et pertes latents ou différés sur instruments financiers (Accumulated Other Comprehensive Income) de leurs fonds propres réglementaires. Elles bénéficieront en outre de la règle de « simplification » des exigences de capital, finalisée le 9 juillet dernier[10], qui réduit les déductions appliquées aux fonds propres[11]. Les établissements de cette catégorie devront participer aux stress tests de la Fed tous les ans ; les résultats des stress tests internes ne seront en revanche publiés que tous les deux ans. Les banques de catégorie III, dont le recours aux financements de marché de court terme excède USD 75 mds, seront soumises aux exigences de liquidité LCR et NSFR, à une version assouplie dans le cas contraire (voir encadré).
- Catégorie II : au-delà de USD 700 mds d’actifs ou USD 75 mds d’expositions transfrontalières, les exigences de liquidité s’appliqueront pleinement (quelle que soit l’ampleur du recours aux financements de marché de court terme).
- Catégorie I : le cadre spécifique aux huit banques d’importance systémique au niveau mondial (G-SIB) demeure inchangé. En sus des contraintes imposées aux banques de catégorie II, elles seront soumises à des exigences de fonds propres renforcées (surcharge G-SIB et norme de levier bâloise SLR renforcée à 5%).
L’incidence des nouveaux seuils
Globalement, les assouplissements et dispenses annoncés pourraient accroître les revenus nets d’intérêts (substitution d’actifs plus rentables aux actifs liquides de haute qualité, peu rémunérateurs, cf. infra) et réduire les charges d’exploitation des banques (notamment celles dispensées de développer des modèles internes pour le calcul de leurs actifs pondérés des risques et/ou dispensées des exigences de liquidité bâloises).
Selon la Réserve fédérale, la règle finale n’allégerait les exigences de fonds propres des BHC et IHC de catégories III et IV[12] que de USD 8 et 3,5 mds, respectivement (soit l’équivalent de 60 points de base de leurs actifs pondérés des risques).
Une économie en fonds propres plus substantielle pourrait en revanche être obtenue lors de la finalisation prochaine de la règle introduisant le Stress Capital Buffer (SCB). Cette règle, proposée en avril 2018 par la Réserve fédérale[13], vise à simplifier le cadre réglementaire en réduisant le nombre d’exigences de fonds propres à respecter[14]. La Fed suggère pour cela de créer un « coussin de fonds propres de sécurité » (SCB) dont le niveau, pour chaque banque, serait fixé chaque année à l’issue des stress tests CCAR[15]. Si la proposition initiale de la Fed promettait un allègement des exigences de fonds propres pour les banques non identifiées comme G-SIB, l’annonce d’une révision de la définition du SCB, début septembre[16], laisse entrevoir un éventuel allègement pour les G-SIB également.
Le relèvement des seuils pourrait, en revanche, nettement resserrer le périmètre d’application de la contrainte de liquidité bâloise LCR.
Actuellement, 37 banques résidentes aux Etats-Unis (25 BHC et 12 IHC), concentrant 80% des actifs bancaires, sont assujetties au LCR. A défaut d’informations précises sur le principal critère discriminant (recours à la dette de marché de court terme), il est difficile d’indiquer précisément à quelle règle LCR seront dorénavant soumis certains établissements (tableau 3).
Au total, entre 19 et 36 banques demeureront assujetties à l’exigence de liquidité bâloise ou l’une de ses versions assouplies (voir encadré) : entre 10 et 14 banques par la contrainte LCR pleine (contre 18 actuellement), entre 5 et 26 par l’une des deux versions assouplies du LCR (contre 19 actuellement). Entre 1 et 13 banques pourraient en être dispensées.
Les banques de catégorie I et II (les 8 G-SIB et Northern Trust) et la filiale américaine d’une banque britannique (Barclays US) continueront d’appliquer pleinement l’exigence LCR. Parmi les banques de catégorie III, 3 IHC (TD Group US, HSBC NA et Deutsche Bank USA) bénéficieront d’un assouplissement ; 4 BHC (US Bancorp, PNC Financial, Capital One et Charles Schwab) pourraient également en bénéficier. En revanche, l’exigence LCR des filiales américaines des deux grandes banques suisses (UBS Americas et Credit Suisse Holdings) sera durcie. Parmi les banques dont le bilan est inférieur à USD 250 mds (12 BHC et 6 IHC), seules celles dont la dette de marché de court terme n’excède pas USD 50 mds pourront bénéficier d’une dispense. Les autres verront leur contrainte LCR légèrement durcie (calibrée à 70% de la contrainte pleine mais avec prise en compte d’un add-on, cf. encadré). Seule la filiale américaine d’une banque espagnole (BBVA Compass) est assurée de ne plus être soumise au LCR.
La Réserve fédérale a estimé, sur la base des ratios LCR du T1 2019, que l’introduction des nouveaux seuils réduirait les volumes d’actifs liquides (HQLA) requis de USD 48 mds dans le cas des BHC, de USD 5 mds dans celui des IHC (la réduction concernerait plus particulièrement les banques de catégorie III). Afin de compléter ce calcul agrégé, nous avons estimé l’économie probable en HQLA pour chaque établissement (tableau 4). Les fourchettes d’estimation sont relativement larges en raison de l’incertitude quant au degré de sévérité de la contrainte pour certains d’entre eux. Ainsi, dans l’hypothèse extrême où les 4 BHC de catégorie III bénéficieraient d’un allègement de leur contrainte et où les 12 BHC de catégorie IV seraient dispensées du LCR, la réduction du volume de HQLA requis pourrait atteindre USD 201 mds ; dans l’hypothèse extrême opposée où seule une BHC bénéficierait d’un assouplissement (American Express), l’économie en HQLA ne s’élèverait qu’à USD 7 mds. Dans l’hypothèse extrême où la contrainte LCR serait assouplie pour toutes les IHC (hors Barclays US, UBS Americas et Credit Suisse Holdings pour lesquelles la contrainte demeurera inchangée ou durcie), la réduction du volume de HQLA requis s’élèverait à USD 86 mds. Dans l’hypothèse extrême opposée où seules 4 IHC bénéficieraient d’un allègement (TD Group US, HSBC NA, Deutsche Bank USA, et BBVA Compass), l’économie en HQLA s’élèverait à USD 25 mds selon nos calculs.
Les différentes versions du ratio LCR aux Etats-Unis
Cette norme bâloise impose aux banques de détenir suffisamment d’actifs liquides de haute qualité, non grevés (HQLA, numérateur du ratio LCR), pour faire face aux sorties nettes de trésorerie à 30 jours qu’occasionnerait une grave crise de liquidité (dénominateur du ratio LCR). Aux Etats-Unis, la règle LCR été finalisée en septembre 2014 et introduite progressivement entre janvier 2015 et janvier 2017.
Parmi les actifs considérés comme les plus liquides (ceux pouvant être convertis en liquidités sur des marchés privés sans perdre – ou en perdant très peu - de leur valeur), figurent les réserves en banque centrale et les créances sur – ou garantis par – des émetteurs souverains tels que les titres du Trésor ou les titres d’agences. Au dénominateur du ratio LCR, l’évaluation des sorties nettes de liquidité cumulées sur 30 jours repose sur un scénario de flux de trésorerie prédéfini par le régulateur. Les sorties nettes de trésorerie correspondent à la différence entre les sorties et les entrées de trésorerie cumulées sur 30 jours, augmentée d’un add-on. Celui-ci correspond à la différence entre la valeur quotidienne la plus élevée des sorties nettes cumulées de trésorerie au cours de l’exercice de stress et la valeur des sorties nettes cumulées au trentième jour du stress (ces deux montants ne peuvent pas être inférieurs à 0). L’introduction du peak-day maturity mismatch add-on (au-delà des recommandations bâloises) vise à prévenir tout écart de maturité potentiel entre les entrées et sorties de trésorerie (par exemple le risque de sorties volumineuses en début d’exercice et d’entrées plus tardives).
En septembre 2014, déjà, les régulateurs bancaires avaient opté pour une application différenciée de la contrainte LCRi. Actuellement, seules 18 banques sont soumises à l’exigence LCR complète (full LCR) : les 14 Bank Holding Companies (BHC) américaines utilisant l’approche avancée de mesure des risques pondérésii et 4 Intermediate Holding Companies (IHC) américaines de banques étrangèresiii (tableau 3). Dans leur cas, le ratio doit être calculé chaque jour ; l’exigence doit en outre être respectée sur base consolidée et par chacune de leur filiale de dépôts dont le bilan consolidé excède USD 10 mdsiv. 19 autres banques (ayant plus de USD 100 mds d’actifsv) sont soumises à une version assouplie de l’exigence LCR (modified LCR) : 11 BHC et 8 IHC. Le calcul du ratio se fait le dernier jour ouvrable de chaque mois. Dans cette version assouplie du LCR, la liste des HQLA et les hypothèses de stress sont identiques. En revanche, le dénominateur du ratio n’intègre pas le peak-day maturity mismatch add-on et est multiplié par 0,7 (ce qui réduit les sorties nettes de trésorerie à couvrir et, mécaniquement, les besoins en actifs liquides).
La règle d’octobre 2019 substitue à l’exigence modified LCR deux nouvelles versions assouplies de la contrainte LCR (reduced LCR) : l’une multiplie par 0,85 le dénominateur du ratio (exigence de catégorie III) ; l’autre par 0,7 (comme dans l’ancien modified LCR, exigence de catégorie IV). Les banques de catégorie III devront calculer leurs ratios chaque jour ; celles de catégorie IV, le dernier jour ouvrable de chaque mois. Toutes les banques, quelle que soit leur catégorie, devront en revanche intégrer le maturity mismatch add-on à leur dénominateurvi. Pour les catégories I, II et III, l’exigence devra être respectée sur base consolidée et par chacune des filiales de dépôts ayant plus de USD 10 mds d’actifs.