Eco Conjoncture

Ambivalence des sentiments

03/02/2019
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L’élection d’Andres Manuel Lopez Obrador à la présidence du Mexique soulève de nombreuses questions. Si le nouveau président et son équipe bénéficient d’un fort soutien populaire, la politique proposée pour les six prochaines années inquiète les investisseurs. Les promesses de maintien de la discipline budgétaire, de l’indépendance de la banque centrale et plus généralement d’un pragmatisme économique, pourraient être incompatibles avec les mesures proposées. En particulier, plusieurs réformes ont été remises en cause, dont celle du secteur de l’énergie. A court terme, ces contradictions ne portent pas à conséquence, compte tenu des solides fondamentaux dont bénéficie l’économie mexicaine. A moyen terme en revanche, la capacité du gouvernement à respecter la discipline budgétaire, maintenir à flot le secteur de l’énergie et garder la confiance des investisseurs constituent des risques.

Un peu plus de six mois après son élection, les premières actions du président Andrés Manuel López Obrador, AMLO, suscitent de nombreuses interrogations. Avant le 1er décembre 2018 (date de la prise de fonction, AMLO ayant été élu le 1er juillet dernier), le président et le nouveau gouvernement ont en effet pris plusieurs décisions radicales, avec un vaste programme de lutte contre la corruption et une « consultation publique » dont le résultat a mené à l’annulation du projet de construction d’un nouvel aéroport à Mexico, et à l’arrêt de plusieurs mesures mises en place par le précédent gouvernement, concernant notamment la réforme du secteur de l’énergie, l’augmentation du salaire minimum et l’annonce de nombreuses mesures visant à réduire les inégalités. Dans le même temps, AMLO et son équipe ont affirmé respecter leurs engagements de campagne quant à la conduite de la politique économique. Ils ont réitéré leur intention de conserver l’indépendance de la banque centrale, en élaborant un budget permettant de respecter la discipline budgétaire observée au cours des dernières années et en signant un nouvel accord commercial avec les Etats-Unis et le Canada.

L’économie mexicaine bénéficie de fondamentaux macroéconomiques et financiers globalement solides mais le pays reste exposé au retournement du sentiment des investisseurs. Le bouleversement politique provoqué par l’élection d’AMLO et le manque de clarté de la politique économique proposée laissent les investisseurs dubitatifs.

Bien que les programmes de soutien à la consommation et de lutte contre la corruption continueront d’assurer au gouvernement un fort soutien populaire, la perte de confiance des investisseurs et le manque de clarté de la politique économique ont dégradé les perspectives de croissance à court terme. La crédibilité du gouvernement quant à sa faculté à respecter ses engagements, notamment en matière de respect de la discipline budgétaire, est amoindrie. L’avenir de la réforme énergétique, qui occupe une place centrale dans la vie politique du pays depuis plusieurs années, est également incertain. Heureusement la vulnérabilité externe du pays est modérée.

Quel contexte politique ?

Le 1er juillet dernier, Andrés Manuel López Obrador, chef du parti de gauche Mouvement de Régénération nationale, Morena, a largement remporté l’élection présidentielle (plus de 53% des suffrages). Il est élu pour un mandat de six ans non renouvelable, et est entré en fonction le 1er décembre dernier.

Le même jour ont eu lieu les élections législatives, dont la coalition composée du parti Morena et de plusieurs petits partis de gauche est également ressortie gagnante, remportant la majorité à la Chambre des députés comme au Sénat. Depuis l’ouverture de la session parlementaire au début du mois de septembre, la position de la coalition s’est renforcée, avec 310 députés enregistrés (sur un total de 500), et 69 sénateurs (sur un total de 128). C’est la première fois depuis 1997 qu’une coalition remporte la majorité absolue dans les deux chambres. De plus, l’opposition est fragmentée, et les prochaines élections (provinciales et locales) n’auront lieu qu’en 2021, ce qui laisse à la principale coalition toute marge de manœuvre pour mettre en place ses réformes.

Les victoires d’AMLO, maire de Mexico de 2000 à 2005, puis candidat « antisystème » battu aux élections présidentielles de 2006 et 2012, et de sa formation Morena ne sont pas anecdotiques. L’alternance politique proposée a remporté une forte adhésion populaire et traduit la volonté de rejeter les deux partis qui s’étaient partagés le pouvoir depuis près d’un siècle : le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, le parti issu de la révolution de 1910, devenu un parti de centre-droit au milieu des années 1980), qui a dirigé le pays de 1929 à 2000, puis de 2012 au 1er décembre dernier, et le Parti d’action nationale (PAN, parti conservateur), de 2000 à 2012.

La promesse faite par AMLO pendant la campagne de lutter contre la corruption et l’insécurité explique en grande partie son succès électoral, une promesse pourtant faite par tous les candidats élus depuis le milieu
des années 80.

Jusqu’ici, les réformes mises en place ont toutes échoué : les inégalités se sont creusées, la « guerre contre la drogue » initiée par Felipe Calderon (élu en 2006, membre du PAN) a été un échec, et le transfert du maintien de l’ordre aux militaires effectué par Enrique Peña Nieto (élu en 2012, membre du PRI), s’est révélé inefficace. En outre, les affaires de corruption, la collusion entre forces de l’ordre et narco-trafiquants et la répression de la presse et de l’opposition, tout au long du mandat, ont augmenté de manière significative le rejet des deux partis traditionnels. L’indice de perception de la corruption[1], publié par Transparency International, s’est dégradé continument depuis le début des années 2000 (graphique 1).

Indice de perception de la corruption

La « quatrième transformation »[2] proposée par AMLO et son équipe pendant la campagne est en réalité un projet de grande envergure, dépassant largement le cadre de la lutte contre la corruption et l’insécurité. L’idée de cette transformation est d’achever la modernisation du pays, en proposant une refondation de l’Etat et la « mise à plat » du cadre institutionnel. L’objectif est de parvenir à assurer « une croissance économique équitable, essentielle pour réduire les inégalités, l’extrême pauvreté et l’insécurité ». Une des mesures phares « becarios si, sicarios no », propose de verser des bourses d’étude aux 2,3 millions de jeunes Mexicains qui ne sont ni étudiants, ni employés. Cette mesure devrait être accompagnée d’une augmentation du salaire minimum mexicain, dans les entreprises situées le long de la frontière avec les Etats-Unis dès 2019, et sur l’ensemble du territoire d’ici 2024. L’équipe de transition a proposé une première augmentation à 101 pesos (MXN) par jour (USD 5,3). Actuellement, le salaire minimum mexicain est de MXN 88 (USD 4,6) par jour.

Plus largement, le projet s’articule autour de plusieurs priorités, dont le la réduction de la dépendance extérieure du pays, en particulier vis-à-vis des Etats-Unis, d’une part en accélérant la diversification des exportations, et d’autre part en soutenant le secteur agricole de manière à accroître l’autosuffisance alimentaire et en fixant des prix garantis pour certains produits agricoles.

Bien que les contours de ces mesures restent encore à définir, ces objectifs pourront difficilement être mis en œuvre simultanément, sans dérapage budgétaire et au cours d’un seul mandat. Se pose donc la question de la politique économique et sociale qui sera effectivement appliquée au cours de la législature. La réconciliation des différents objectifs s’avérera a priori difficile.

Premiers doutes au cours de la période de transition

La période de transition, de juillet à décembre, a été marquée par l’envoi de signaux contradictoires. D’un côté, dès le lendemain de son élection, AMLO a amendé son discours et a annoncé son intention d’adopter une politique économique « pragmatique ». Il s’est notamment engagé à respecter l’indépendance de la banque centrale, la discipline budgétaire et les accords commerciaux signés par le pays. Pour preuve, bien qu’il se soit auparavant prononcé contre l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l’ouverture commerciale du Mexique, AMLO et l’équipe de transition ont soutenu Enrique Peña Nieto au moment des négociations. Ils ont approuvé la signature du nouvel accord, l’Accord Canada Etats-Unis Mexique (ACEUM) le 30 novembre 2018, qui remplacera l’ALENA.

D’un autre côté, plusieurs promesses de campagne ont été mises en œuvre. Fin octobre, une consultation publique a été organisée, à l’issue de laquelle la construction d’un nouvel aéroport à Mexico a été annulée, alors que le financement du projet était bouclé et que la construction était déjà réalisée pour près d’un tiers. Selon AMLO, par nature, de tels projets sont porteurs de corruption et de malversations. L’annulation du projet d’aéroport dans sa forme existante était donc, selon lui, le premier signe de lutte contre la corruption dans le pays.

Dans le même temps, AMLO a annoncé que les consultations publiques seraient fréquentes tout au long de son mandat. Son souhait est de modifier la constitution afin d’élargir le champ de celles-ci, notamment aux questions budgétaires, laissant craindre des dérives quant au respect de la discipline budgétaire.

Enfin, début novembre, le parti Morena a présenté devant le Sénat une mesure proposant d’encadrer très strictement les commissions bancaires. Une semaine plus tard, la proposition de loi a été retirée par le parti Morena, et AMLO lui-même s’est engagé à ne pas réformer les secteurs économiques et financiers au moins pendant les trois premières années du mandat.

Au cours de cette période, le sentiment des investisseurs envers la nouvelle administration s’est fortement dégradé. L’indice boursier et la monnaie ont chuté à la fin du mois d’octobre et l’agence de rating Fitch a placé la note souveraine du pays sous surveillance négative. Cela traduit les inquiétudes relatives aux risques de dérapage budgétaire, mais de remise en cause des réformes adoptées par le précédent gouvernement, et notamment l’avenir de la réforme énergétique.

Pas de ligne claire depuis l’entrée en fonction

Taux de change et indice boursier depuis début 2018

Depuis son investiture, AMLO a de nouveau envoyé des signaux contradictoires. Il a d’abord affirmé que son objectif était de mettre fin au « néolibéralisme » et à la « république de copinage », synonymes pour lui de corruption, confusion du pouvoir économique et politique et in fine de creusement des inégalités. Il a également souligné l’échec des réformes entreprises au cours des précédentes administrations, et en particulier concernant la lutte contre la corruption et la réforme énergétique.

Cependant, AMLO a annoncé qu’il ne poursuivrait pas les anciens dirigeants corrompus. Sur le plan de la sécurité, l’intention d’entériner dans la constitution la militarisation de la sécurité publique va à l’encontre de la volonté de remettre au premier plan la défense des droits de l’Homme.

Le changement qu’AMLO entend mettre en place se veut « ordonné, mais profond et radical ». Pourtant la présentation de son projet laisse deviner un mandat caractérisé par une augmentation significative du pouvoir fédéral, et surtout du rôle du président.

Sur le plan économique, une liste de 100 propositions a été présentée. Celles-ci sont très proches des promesses faites au cours de la campagne, comme par exemple la refonte du système de santé (qui, à la fin du mandat, devra ressembler « au système de santé des pays nordiques »), la construction de 100 nouvelles universités, le doublement du montant des pensions de retraite, l’annonce de plusieurs grands projets d’infrastructures destinés à améliorer l’attractivité et la compétitivité du pays (la construction de deux nouvelles raffineries et la remise en état de raffineries existantes, la construction du « train Maya », censé promouvoir le tourisme) et, entre autres choses, une nouvelle proposition de réforme du secteur de l’énergie.

L’ensemble de ces propositions devrait être financé par un programme d’« austérité gouvernementale » symbolisé par la mise en vente de l’avion présidentiel le jour de l’investiture et les économies dégagées de la lutte contre la corruption.

Mais, dans le même temps, AMLO s’est de nouveau engagé à respecter l’indépendance de la banque centrale et à maintenir un excédent primaire suffisant pour stabiliser le niveau actuel de la dette publique, qui représentait 47,6% du PIB en 2017.

La décision d’AMLO, au début du mois de janvier, de fermer plusieurs pipelines (dans le but d’empêcher le vol de carburant) et d’assurer la distribution d’essence directement par l’Etat, a marqué une nouvelle séquence. Bien que cette décision soit soutenue par une large partie de la population, elle a mené à une pénurie dans l’approvisionnement en essence dans plusieurs régions et, surtout, une nouvelle perte de confiance des investisseurs.

Quelles perspectives de croissance ?

Pour réaliser son programme, le président sera aidé par les solides fondamentaux économiques du Mexique. Les vastes réformes entamées en 2014 [3] ont permis de renforcer la résistance aux chocs externes. La croissance potentielle est à présent estimée par le FMI à 3-4% par an, alors que croissance moyenne enregistrée entre 2003 et 2013 était de 2,3% par an.

Depuis 2015, l’inflation et le taux de chômage sont restés bas et les salaires réels ont progressé, en dépit de la chute du prix des matières premières, des relations tendues avec les Etats-Unis et les catastrophes naturelles qui ont touché le pays (voir tableau1).

Résistance aux chocs externes

La politique monétaire est jugée crédible. Le déficit public et la dette ont été réduits au cours des dernières années, alors que la dépendance des revenus fiscaux vis-à-vis de l’activité pétrolière a diminué, et la bonne performance des exportations hors pétrole (et l’afflux de transferts financiers des travailleurs à l’étranger) a permis une réduction du déficit courant à un niveau modéré. Enfin, malgré l’importance des flux d’investissement de portefeuille, la position extérieure (solvabilité et liquidité) du pays demeure solide.

Cela dit, les performances de croissance récentes se sont détériorées. Les inquiétudes relatives à la renégociation du traité commercial avec les Etats-Unis et l’élection présidentielle ont pesé sur l’investissement et la consommation privée en 2017. L’investissement public a reculé, dans le cadre du plan d’austérité budgétaire mis en place par le précédent gouvernement ; la croissance du PIB réel a ralenti à 2%, après 2,9% en 2016. Par conséquent, en dépit d’une consommation privée plus dynamique, la croissance devrait à peine dépasser 2% en 2018. D’après les dernières estimations du FMI, aucune accélération n’est attendue avant 2021.

La consommation privée restera le principal moteur de la croissance, soutenue par un marché du travail très dynamique, les politiques sociales mises en place par le gouvernement et les transferts des travailleurs à l’étranger. Mais cela ne compensera pas l’annulation du projet d’aéroport de Mexico et le manque de confiance des investisseurs, qui pèseront sur l’investissement privé. Même si les projets d’infrastructures promis sont lancés, et que les partenariats public-privé fonctionnent, la mise en place prendra du temps et n’aura probablement pas d’effet sur la croissance en 2019. Le regain de confiance enregistré après les élections a été perdu (graphique 4).

Malgré le ralentissement de la croissance, la capacité de la banque centrale à contenir les pressions inflationnistes sera également surveillée au cours des prochains trimestres. Le conseil des gouverneurs a relevé le taux directeur à 8,25% en décembre, le plus haut enregistré depuis plus de dix ans. Les pressions inflationnistes (présentes depuis le début de l’année 2017, au moment de l’élimination de subventions sur les prix de l’énergie) devraient persister au moins au premier semestre 2019, soutenues par la hausse du salaire minimum, qui prendra effet en janvier, la hausse du prix de l’essence et celui des fruits et légumes.

PIB réel

Sentiment des investisseurs

Inflation et taux directeur de la Banque centrale

Sur le plan externe, les conditions seront également moins favorables. Le déficit commercial devrait continuer à se creuser légèrement, principalement en raison du manque de dynamisme du secteur manufacturier américain et des relations commerciales toujours tendues avec les Etats-Unis, en dépit de la signature de l’ACEUM. En effet, il doit être ratifié par chacun des trois pays, ce qui prendra du temps, et pèsera probablement sur les investissements et les IDE en 2019, au moins sur la première partie de l’année.

Quel avenir pour la réforme énergétique ?

Introduite en 2013 et 2014, la réforme du secteur énergétique proposée par le précédent gouvernement a mis fin à 75 ans de monopole dans le secteur pétrolier et gazier du pays. L’objectif principal était de promouvoir un marché ouvert et concurrentiel entre les entreprises privées et publiques pour l’ensemble des opérations du secteur (en amont, intermédiaires, et en aval). La stratégie a consisté à ouvrir le capital des deux entreprises publiques (l’entreprise chargée de l’exploitation du pétrole, Pemex, et l’entreprise publique d’électricité, la CFE) et attirer des investissements privés. Une mesure phare de la réforme a été l'attribution aux enchères de gisements pétroliers à des entreprises privées. Plus de cent contrats ont été établis depuis 2015.

Après de nombreuses tentatives infructueuses depuis les années 90, l’introduction de cette réforme a été considérée comme un succès. Mais la chute des prix des matières premières en 2014 a lourdement contraint sa mise en place. Les budgets de Pemex et de la CFE ont été réduits et la dette des deux entreprises a augmenté de manière significative depuis 2015. Les mises aux enchères des lots, ouvertes aux investisseurs privés (y compris étrangers), n’ont débuté qu’en 2016 et se sont poursuivies en 2017 et 2018. Au total, l’administration sortante espérait engendrer jusqu’à USD 200 mds d’investissements dans le secteur pétrolier sur 20 ans, et remonter le niveau de production à plus de 3 millions de barils par jour.

La production a continué à chuter, passant de 3,5 millions de barils par jour en 2005, à moins de 2 millions aujourd’hui (graphiques 6 et 7). Le manque d’investissements dans le secteur n’a pas permis de développer les capacités de production nécessaires pour compenser la baisse de la production de Cantarell, le plus gros champ pétrolier du Mexique.

Production de pétrole mexicain
Prix du pétrole

Cela dit, l’engagement du précédent gouvernement, a joué un rôle prépondérant dans le succès rencontré par les mises aux enchères et la confiance des investisseurs, notamment étrangers. C’est pourquoi les propositions d’AMLO ont suscité beaucoup d’inquiétudes depuis son entrée en campagne.

Celui-ci a en effet affirmé que sa priorité était la souveraineté nationale en matière d’énergie. Ses intentions doivent encore être détaillées, mais il y a globalement un retour en arrière, exception faite du développement des énergies renouvelables : AMLO prévoit l’annulation de la réforme dans sa forme actuelle, un soutien financier accru pour les deux entreprises publiques (Pemex et la CFE), et la limitation de la participation des investisseurs privés (étrangers et domestiques) dans le secteur.

Les mises aux enchères des lots pétroliers ont également été arrêtées (la quatrième vague devait débuter en février 2019) et les entreprises privées retenues à l’issue des précédentes enchères devront réaliser les investissements promis dans les trois ans, sous peine de voir leurs lots leur être retirés. Concernant le secteur pétrolier plus particulièrement, la réhabilitation de six raffineries existantes, la construction d’une nouvelle (un chantier chiffré à 0,7% du PIB) et l’augmentation de l’exploration et la production de pétrole ont également été annoncés. L’ambition est d’arriver à augmenter la production à 2,4 millions de barils par jour d’ici la fin du mandat, en 2024.

La crédibilité du gouvernement quant à sa capacité à mettre en place toutes ces réformes est relativement faible. La majorité des propositions doit encore être détaillée, et financée. Les ressources nécessaires pour mettre en œuvre la totalité des mesures proposées sont proches de 1% du PIB, en plus des investissements déjà prévus pour Pemex (voir section suivante).

Quels risques de dérapage budgétaire ?

Sans surprise, le budget 2019, présenté le 15 décembre dernier, respecte la discipline budgétaire observée depuis plusieurs années : d’une part, le premier budget présenté par une nouvelle administration a été en grande partie préparé par l’administration sortante et, d’autre part, après les turbulences des mois d’octobre et novembre, il semblait logique que le gouvernement veuille se montrer rassurant. Le texte a été adopté par le Parlement au cours de la dernière semaine de décembre, sans modifications majeures et bien accueilli par les investisseurs et les agences de notations.

Pour l’année 2019, le gouvernement vise un excédent primaire de 1% du PIB, légèrement supérieur au 0,7% attendu en 2018 et un déficit de 2,5% du PIB en 2019 (très proche du déficit attendu pour 2018, à 2,4% du PIB). Les projections à moyen terme prévoient un maintien du surplus primaire autour de 1% du PIB jusqu’en 2024, et un ratio de dette globalement stable autour de 45% du PIB.

Les hypothèses retenues paraissent raisonnables : le gouvernement table sur une croissance du PIB réel de 2,0% en 2019, une inflation de 3,4% et un taux de change contre dollar de 20 (en moyenne sur l’année). Celle sur le prix du pétrole est même assez conservatrice, à USD 55/baril.

Déficit public

Les revenus diminueront, mais cette baisse devrait être limitée (21,1% du PIB en 2019, après 21,7% du PIB en 2018). La nouvelle équipe s’est engagée à ne pas augmenter les taxes, et le président a annoncé par décret le 31 décembre dernier une réduction de la TVA (à 8%, contre 16% dans le reste du pays) et des impôts sur le revenu réduits de deux tiers dans plus de 40 municipalités frontalières des Etats-Unis.

Les dépenses diminueront également, de 23,7% du PIB en 2018 à 23,2% en 2019. Conformément aux promesses de campagne, les nouvelles dépenses « prioritaires » listées par AMLO progresseront bien (les dépenses sociales devraient progresser d’un montant équivalant à 1% du PIB), mais au détriment d’autres postes. Ainsi, certains ministères subiront des coupes importantes dans leurs budgets (-30% pour le ministère de l’Environnement, -29% pour l’Industrie, -25% pour la communication et les transports, -9% pour le ministère de l’Intérieur par exemple). Les deux entreprises publiques du secteur de l’énergie, Pemex et la CFE, voient leurs ressources progresser de 14% et 8% respectivement (relativement au budget de 2018), principalement afin de financer des dépenses en capital.

Dette publique

Enfin, contrairement à ce qui avait été annoncé initialement, les programmes de dépenses sociales seront mis en place les uns après les autres, et non simultanément. Par ailleurs, certains projets annoncés reprennent d’anciens projets, prévus au budget par la précédente administration, ce qui explique qu’ils n’engendrent pas de dépenses supplémentaires.

Au total, compte tenu des bons fondamentaux macroéconomiques dont hérite la nouvelle administration, les risques de dérapage paraissent limités pour l’exercice 2019. Le profil de la dette (47% du PIB en 2017) est favorable, la part de la dette publique détenue par des non-résidents reste contenue, à 30% du total, et a plutôt diminué au cours des dernières années. De même, la part de la dette libellée en devises est modérée, et représente environ 16% du PIB. Les risques de change associés à une dépréciation du peso face au dollar ou du fait d’une part importante des non-résidents investisseurs lors du roll-over de la dette existante sont relativement faibles.

Plusieurs interrogations subsistent cependant à moyen terme. D’une part, le précédent gouvernement avait déjà réduit les dépenses de manière significative au cours des deux dernières années, les marges de manœuvre concernant de nouvelles réductions sont donc réduites. D’autre part, plusieurs « oublis », comme les coûts associés à l’annulation de l’aéroport de Mexico, la remise en état des raffineries de Pemex, l’installation des centrales hydroélectriques, la conversion de centrales thermoélectriques de la CFE notamment pourraient peser sur le déficit. Enfin, la réorientation des dépenses au profit des agences étatiques et des entreprises publiques du secteur de l’énergie constitue une source de vulnérabilité importante pour les finances publiques compte tenu des dépenses en capital nécessaires pour augmenter la production (et les revenus liés aux activités pétrolières représentent encore près de 20% du total)

En particulier, la volonté du gouvernement d’augmenter les dépenses en capital de Pemex et CFE pourrait nécessiter d’accroître les transferts vers les deux entreprises publiques de manière récurrente au cours des années à venir. En outre, les ressources supplémentaires allouées aux entreprises publiques pourraient s’avérer insuffisantes pour endiguer le déclin de la production de Pemex, ainsi que la contraction des réserves pétrolières. La production pétrolière a chuté de 9% et 8% respectivement en 2017 et 2018, et le déclin pourrait continuer en 2019-2020. La situation financière de Pemex pourrait rester (très) fragile dans les années à venir, surtout si ses dépenses en capital continuent d’augmenter.

Quelles conséquences sur la vulnérabilité externe ?

Bien que l’économie mexicaine bénéfice de fondamentaux macroéconomiques globalement solides, le pays reste exposé au retournement du sentiment des investisseurs. Le manque de clarté de la politique proposée, en particulier concernant l’avenir de la réforme énergétique, pourrait avoir des conséquences sur l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers, et la vulnérabilité externe pourrait augmenter au cours du mandat.

Cela dit, à court terme, la vulnérabilité externe n’est pas une source d’inquiétude. Au cours des dix dernières années, les déficits courants (1,7% du PIB en moyenne entre 2010 et 2017) ont été habituellement couverts par les entrées d’IDE (1,7% du PIB en moyenne entre 2010 et 2017 également) et cette tendance devrait se poursuivre (graphique 10). A moyen terme, on s’attend à ce que le déficit courant se stabilise autour de 1,5% du PIB, et qu’il soit toujours financé par les IDE. Les réserves sont conséquentes (près de USD 175 mds en décembre 2018, soit environ 4 mois d’importations). Même si le sentiment des investisseurs se dégradait rapidement, le Mexique dispose des ressources nécessaires pour faire face à ses obligations.

Solde courant et IDE
"Hot money"

En outre, depuis 2008, le Mexique a accès à une ligne de crédit modulable[4] (LCM) du FMI, une facilité de crédit contingente de près de USD 88 mds utilisable immédiatement. Cette facilité de crédit représente une assurance supplémentaire pour le pays de faire face à d’éventuels épisodes d’assèchement de flux de capitaux.

Par ailleurs, les inquiétudes relatives aux futures relations commerciales avec les Etats-Unis (les exportations mexicaines à destination des Etats-Unis représentent près de 80% du total) ont significativement diminué depuis la signature définitive de l’AEUMC mettant fin à plus d’un an d’échanges tendus entre les trois pays, et la menace des Etats-Unis de se retirer définitivement de l’accord commercial. Les détails de l’accord ne sont pas encore connus, et il est encore difficile d’en évaluer les conséquences pour le Mexique.

Les principaux changements devraient concerner le secteur automobile. Les « règles d’origine » ont été modifiées : pour circuler librement sans droit de douane, le taux de composants fabriqués en Amérique du Nord entrant dans la fabrication d’un véhicule devra atteindre 75%, contre 62,5% jusqu’à présent. L’objectif est d’éviter que les avantages de l’ALENA ne s’étendent à des produits en provenance de pays non membres, qui n’auraient subi que des transformations mineures en Amérique du Nord. Toujours dans le secteur automobile, 40% de la production devra dorénavant provenir d’usines dans lesquelles le salaire minimum est de USD 16 par heure.

Cette mesure imposée par les Etats-Unis vise directement le Mexique, dans le but de rapatrier l’assemblage des véhicules aux Etats-Unis. Elle pourrait toutefois s’avérer insuffisante : les véhicules qui ne satisferont pas ces critères pourront entrer sur le sol américain en s’affranchissant d’un droit de douane de 2,5% (selon la clause de la nation la plus favorisée de l’OMC). Il sera donc toujours intéressant d’assembler des véhicules au Mexique, puis de les exporter aux Etats-Unis. De plus, une clause spéciale permettra d’exempter partiellement le Mexique et le Canada des tarifs punitifs prévus par l’article 232, auquel le président américain peut se référer en invoquant la « sécurité nationale ». En pratique, cela signifie que le Mexique pourra exporter vers les Etats-Unis un quota de 2,6 millions de véhicules, sans risquer de se voir imposer des tarifs punitifs. Cette nouvelle mesure limite la marge de progression de l’industrie automobile mexicaine, puisqu’au total, les exportations vers les Etats-Unis ont représenté 2,3 millions de véhicules en 2017.

L’accord définitif contient une modification radicale de la « sunset clause » proposée par les Etats-Unis, qui aurait permis de mettre fin « automatiquement » à l’accord commercial tous les cinq ans, si tous les partenaires ne se mettaient pas d’accord pour en renouveler les termes. Au final, une fois appliqué, le traité sera valable seize ans, et révisé au bout de six ans, soit une période postérieure à une présidence Trump, quel que soit le résultat des élections de 2020.

Conclusion

L’économie mexicaine bénéficie de fondamentaux macroéconomiques globalement solides, mais reste exposée au retournement du sentiment des investisseurs.

Les deux versants de la politique amorcée par AMLO, d’un côté la volonté de rassurer les investisseurs (indépendance de la banque centrale, engagement de ne pas détériorer les finances publiques, engagements dans les accords commerciaux pourtant décriés au cours de la campagne) et, d’un autre côté, la politique plus proche des promesses de campagne (lutte contre la corruption, réduction des inégalités, réforme du secteur énergétique) ne pourront être menés de front tout au long du mandat.

Le manque de clarté concernant la réforme du secteur énergétique notamment, laisse craindre un retour en arrière, qui pourrait peser sur les finances publiques et décourager les investisseurs. Plus largement, cela nuirait à la crédibilité du gouvernement et pèserait sur l’attractivité du pays.


[1] L’indice classe 180 pays et territoires selon leurs niveaux perçus de corruption au sein du secteur public sur la base d’appréciations d’experts des secteurs privé et public.

[2] Le terme de « quatrième transformation » a été choisi par AMLO pour désigner le quatrième « moment » du développement de la république mexicaine. Les trois premiers moments font référence à l’indépendance du Mexique au début du 19e siècle, au mandat du président Madero, qui a amorcé la modernisation du pays suite à la révolution de 1910 et au mandat de Lazaro Cardenas, élu de 1934 à 1940, qui a modernisé le pays en développant les infrastructures, l’industrie, l’éducation et la santé publique.

[3] Dans les domaines de l’énergie, de la concurrence, des télécommunications, de la fiscalité, du marché du travail, de l’éducation et des services financiers. L’objectif était d’atteindre une croissance de 5% par an

[4]La ligne de crédit modulable a été conçue pour répondre à la demande de financement émanant de pays qui présentent une politique et des antécédents économiques très solides pour prévenir et résoudre des crises. Cet instrument a été créé dans le cadre de la réforme engagée par le FMI pour modifier les conditions auxquelles il accorde des prêts aux pays qui traversent des difficultés de trésorerie en les adaptant à leur situation et besoins particuliers. À ce jour, trois pays ont fait appel à la LCM — la Colombie, le Mexique et la Pologne (jusqu’en 2017). Aucun d’entre eux n’a encore effectué de tirage sur sa ligne de crédit, mais la LCM a fourni à ces pays une assurance précieuse et a aidé à renforcer la confiance des marchés en période d’accentuation des risques.

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