Les taxes carbone, ou taxes « vertes », ne sont malheureusement pas assez largement répandues dans le monde. Moins de 20 % des gaz à effet de serre au niveau mondial sont actuellement couverts par des prix du carbone, et la plupart de ces prix sont bien inférieurs à USD 40 - USD 60 par tonne de CO2, soit le niveau recommandé par la Commission de haut niveau sur les prix du carbone pour 2017.
La consommation finale d’énergie représente le total de l’énergie consommée par les utilisateurs finaux (ménages, industrie et agriculture). Elle exclut l’énergie consommée par le secteur énergétique lui-même (ex. combustibles transformés dans les centrales électriques).
La situation s’améliore lentement. Selon l’OCDE, le déficit de tarification du carbone, qui mesure l’écart entre la tarification actuelle des émissions de carbone et les coûts climatiques réels, estimés à EUR 30 par tonne de CO2, était de 76,5 % en 2018, soit une légère progression par rapport à l’écart de 79,5 % mesuré en 2015 [6]. C’est dans les transports routiers que ce déficit est le plus faible (21 %) et dans l’industrie qu’il est le plus élevé (91 %).
Une approche différente s’impose
Les simulations montrent que les politiques actuelles de lutte contre la pollution ne sont pas suffisantes pour contenir le réchauffement climatique en dessous du seuil de 2°C. De plus, selon le rapport du GIEC, il serait préférable de le limiter à 1,5°C à peine. Cependant, l’incertitude persiste concernant l’accroissement des flux d’investissement et le redéploiement vers des alternatives sobres en carbone.
Même si les premiers signes du changement climatique sont déjà perceptibles, nombre d’acteurs continuent de nier l’urgence d’une action immédiate car, pour la plupart d’entre eux, les effets désastreux d’un tel changement ne se feront sentir que bien au-delà de l’horizon de prévision habituel. Dès lors que le changement climatique ne semble pas être une urgence immédiate, il est très tentant de jouer les « passagers clandestins » et de laisser aux générations futures l’essentiel des efforts en matière de réduction des gaz à effet de serre. Le danger est de rester ainsi enfermé dans un scénario à forte émission de carbone dont la sortie sera très coûteuse. C’est ce que Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, appelle « la tragédie des horizons »[7].
Normalement, la puissance publique devrait être tenue de mettre en place des politiques et un environnement réglementaire appropriés pour remédier aux défaillances du marché. La COP s’inscrit justement dans ce cadre en incitant les Etats à lutter contre le changement climatique au niveau supranational.
Pour les entreprises, la signature de l’Accord de Paris sur le climat a donné un signal les invitant à prendre en compte dans leur modèle économique la transition vers une société sobre en carbone. Certains ont ainsi commencé à utiliser un prix du carbone interne dans leurs activités commerciales et dans leurs décisions d’investissement.
Depuis le discours de Mark Carney, les institutions financières sont également plus sensibles au risque que représente le changement climatique pour leurs activités. Les investisseurs institutionnels, tels que les banques, les compagnies d’assurance et les fonds de pension, intègrent de plus en plus des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs analyses financières. C’est l’un des facteurs à l’origine de l’envolée de la demande pour les obligations vertes[8]. En France, l’article 173 de la loi sur la transition énergétique impose aux détenteurs et gérants d’actifs de fournir des informations détaillées relatives à leur prise en compte du changement climatique. L’objectif est de réduire l’empreinte carbone des investisseurs institutionnels. Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a suggéré d’intégrer les risques liés au changement climatique dans ses tests de résistance annuels applicables aux banques en 2019.
D’une manière générale, les progrès réalisés dans la conception et la mise en œuvre de normes et de règlements afin d’atteindre les objectifs de Paris restent néanmoins extrêmement lents. En effet, tous les gouvernements ne partagent pas la même vision à long terme et certains sont contraints par des intérêts commerciaux. L’approvisionnement en combustibles fossiles et l’investissement dans l’énergie thermique relèvent de plus en plus d’entreprises publiques. Les électeurs peuvent, par ailleurs, ne pas être convaincus de la nécessité d’agir, a fortiori lorsque de telles mesures se révèlent coûteuses et risquent d’affecter leur mode de vie. Ainsi, les États-Unis se retirent-ils de l’Accord de Paris sur le climat car grand nombre des électeurs américains doutent de la réalité du changement climatique et craignent que l’industrie américaine ne soit lésée.
Finalement, la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre par le biais d’objectifs nationaux s’avère très compliquée. Il est vrai qu’un objectif chiffré à l’échelle planétaire peut facilement se traduire par un prix-cible mondial, dans la mesure où un prix fictif (le prix optimal du carbone) peut être associé à chaque objectif quantitatif.[9]
Or, on passe difficilement d’un objectif chiffré mondial à des objectifs nationaux. Lors des négociations de la COP, chaque pays est incité à se fixer un objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (CND) le plus bas possible. Dans ces conditions, il est facile de jouer les « passagers clandestins ». Résultat : l’ensemble de près de 200 objectifs chiffrés nationaux n’atteint pas les résultats attendus par l’accord de Paris.
D’un point de vue économique, un objectif de prix, ou une écotaxe, est préférable à un objectif chiffré, conformément au principe selon lequel les particuliers comme les entreprises doivent payer l’intégralité des coûts marginaux des émissions de carbone. Une fois ce prix fixé, tous les pays sont libres de concevoir des politiques permettant d’atteindre l’objectif de prix du carbone et de recycler le produit de la taxe. Cependant, la mise en place d’un prix carbone suffisamment élevé est assez problématique. En effet, sa hausse, ou en général celle des prix des carburants, peut soulever des problèmes de redistribution et se heurter à des résistances. Pour passer rapidement à des solutions alternatives moins coûteuses, le prix à payer pour les usagers est, en effet, très élevé.
De plus, une hausse de taxes carbone risque de désavantager de manière disproportionnée les populations rurales, qui ne bénéficient pas de réseaux de transport en commun satisfaisants. Enfin, le lien entre les taxes sur le carbone et les objectifs climatiques n’est pas toujours évident pour les contribuables, qui peuvent percevoir ces taxes comme un autre moyen de financer le budget public.
En France, une légère augmentation des taxes sur les carburants en 2018 a déclenché d’importantes manifestations, contraignant le gouvernement à annuler cette mesure. Récemment, dans l’État de Washington, les électeurs ont aussi rejeté une taxe carbone qui devait financer mise en place de projets d’énergies renouvelables et des aides destinées aux travailleurs impactés par son introduction. Pour obtenir le soutien des syndicats, d’importantes installations industrielles devaient être exonérées. La mesure aurait principalement frappé les entreprises du secteur du raffinage qui n’ont pas hésité à payer le prix fort pour faire échouer cette proposition.
L’une des solutions pourrait consister en un meilleur encadrement des politiques climatiques. Récemment, George Shultz et Ted Halstead ont proposé le « Carbon Dividends Plan »[10] (plan de distribution de la taxe carbone en dividendes). L’idée est simple. Elle repose sur l’instauration d’une redevance carbone dont les rentrées, ou « dividendes », seraient réparties de manière égale entre les contribuables. Les auteurs font valoir qu’un tel programme serait très populaire aux États-Unis, puisque plus des deux tiers des ménages américains seraient gagnants dans la mesure où ils recevraient davantage sous forme de versements de dividendes qu’ils ne paieraient du fait de l’augmentation des prix de l’énergie. Les foyers les plus aisés ayant tendance à polluer plus dans l’absolu, ils supporteraient les coûts les plus élevés, tandis que les gains nets les plus importants iraient, selon les auteurs, aux déciles de revenus les plus bas.
Le risque de « fuite du carbone » reste un problème non résolu. La hausse des taxes carbone peut inciter les entreprises à délocaliser leurs activités les plus polluantes dans des pays dont la législation environnementale est moins sévère. Une telle mesure aurait un effet négatif sur l’activité industrielle et n’entraînerait pas de réduction des émissions mondiales. William D. Nordhaus, lauréat 2018 du prix Nobel d’économie, préconise la formation de groupes d’Etats, appelées « clubs climatiques »[11]. Ces groupes s’accorderaient sur un prix du carbone émis à l’intérieur de leurs frontières sous la forme d’une taxe carbone intérieure ou d’un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission.
Le groupe appliquerait des droits de douane à ses frontières sur les importations en provenance du reste du monde. Cela aurait pour effet d’inciter d’autres pays à rejoindre le club climatique et de limiter ainsi la fuite du carbone. Les entreprises qui exportent vers des pays n’appliquant pas de taxe carbone bénéficieraient d’une remise de taxes.
Deux options sont envisagées pour déterminer le niveau de ces droits de douane. La première consisterait à les fixer en fonction du contenu en carbone des importations. Ce système permettrait de remédier à une distorsion de la concurrence due au fait que les producteurs n’appartenant pas à la coalition ne seraient pas affectés par la taxe carbone. D’après certains précédents, de tels droits de douane seraient conformes aux règles de l’OMC[12] . Cela se heurte néanmoins à l’impossibilité de calculer le contenu en carbone de chaque importation et implique donc de procéder à des estimations. Le professeur Dieter Helm suggère, à cet égard, de se concentrer sur un petit nombre d’industries à forte intensité énergétique, comme l’industrie sidérurgique et l’industrie chimique[13]. Nordhaus privilégie, pour sa part, la deuxième approche, plus approche simple à mettre en œuvre : l’instauration d’une taxe uniforme aux frontières. De plus, en fixant le taux d’imposition à un niveau suffisamment élevé, les pays seraient incités financièrement à rejoindre la coalition. Les deux options seront probablement contestées sur le plan juridique et pourrait nécessiter une modification du droit international.
La conférence des parties et l’Accord de Paris sur le climat présentent un défaut majeur : le processus n’est pas, à proprement parler, assez contraignant. Les pays peuvent dénoncer l’accord sans encourir de pénalités. En outre, ils sont, pour le moment, libres de formuler leurs propres objectifs et ils ne sont pas soumis à des sanctions si ces derniers ne sont pas atteints. Ainsi Nordhaus conclut-il son allocution, devant l’Association américaine d’économie en déclarant que « à défaut de sanctions, il ne peut y avoir de coalition stable sur le climat autre qu’une coalition sans coopération et dont le niveau de réduction des émissions est voué à rester faible ». En revanche, « un traité international sur le climat conjuguant un objectif de tarification du carbone et des sanctions commerciales pourrait contribuer à une réduction sensible des émissions »[14].