Des véhicules électriques, il en va un peu comme des smartphones : produits emblématiques d’une chaine de valeurs mondialisée et complexe, leur rattachement à une nation ne tombe pas sous le sens. Si le pays d’assemblage tenait lieu de passeport, une célèbre entreprise américaine ayant pour logotype une pomme serait, en réalité, chinoise ; une autre, également américaine mais tirant son nom d’un ingénieur d’origine serbe, père du courant alternatif, aurait Shangaï pour port d’attache.
Dans la révolution industrielle « verte » qui doit nous conduire à la neutralité climatique, la Chine, que l’on veuille ou non, est incontournable. Avec la conversion au « tout électrique », en particulier celle qu’opère le Vieux Continent, elle renforce même ses positions. Car la fin programmée du moteur thermique marque aussi celle d’un verrou technologique, qui permettait jusqu’ici aux constructeurs européens, en particulier allemands, d’exceller, tout en tenant éloignés de leurs marchés les véhicules made in China.
C’est désormais l’inverse qui se produit. Avec quinze ans d’avance sur la concurrence, une politique commerciale particulièrement agressive et un contrôle très en amont de la filière des batteries - remontant jusqu’à l’extraction des fameux métaux critiques - Pékin est à l’épicentre du séisme qui bouleverse le marché automobile. Sur les quelque 14 millions de nouveaux véhicules électriques immatriculés dans le monde en 2023, près de 9 millions auront été fabriqués en Chine (graphique)[1]. Certes, les ventes du segment sont encore très minoritaires (16% du total) mais leur progression est exponentielle, et la Chine y contribue pour près des deux-tiers.
Il ne s’agit pas seulement, pour la première puissance d’Asie, d’alimenter son immense marché intérieur, mais aussi d’exporter, y compris sous sa propre bannière. Fait relativement nouveau, les marques chinoises, restées longtemps confidentielles, font une percée remarquable en Europe, où leur part de marché atteint déjà 8%. La dynamique est telle que la Commission européenne a récemment voulu la freiner, en lançant une enquête sur les subventions publiques que la Chine accorde à ses constructeurs[2]. En réponse, et aussi pour sanctionner le protectionnisme de l’Inflation reduction act américain, les autorités de Pékin annoncent une restriction des exportations de graphite (l’anode des batteries), qu’elles contrôlent largement.
Sur le marché mondialisé des véhicules électriques, la notion, parfois idéalisée, de « souveraineté économique » est à appréhender avec prudence ; et dans le jeu d’interdépendances d’échanges qui en fixe les contours, la Chine a son mot à dire.