Dans les principales économies de l’OCDE, la lenteur qui caractérise la baisse de l’inflation devrait se prolonger, tandis que le ralentissement de la croissance finirait par déboucher, sous l’effet du resserrement monétaire (particulièrement rapide et important), sur une récession aux États-Unis et une stagnation du PIB de la zone euro. Divers facteurs de soutien devraient limiter l’ampleur du retournement mais la reprise qui s’ensuivra serait tout aussi limitée. La lenteur de la convergence de l’inflation vers sa cible de 2% obligerait les banques centrales à garder une politique restrictive malgré un début de baisse des taux au premier semestre 2024.
En ce milieu d’année, l’anticipation d’un ralentissement de l’activité en 2023 dans les principales économies de l’OCDE, sous l’effet du choc inflationniste et du resserrement monétaire, avant une reprise en 2024, fait l’objet d’un relatif consensus. L’incertitude porte sur l’ampleur de chacun de ces mouvements. À l’heure actuelle, la plupart des développements économiques, observés ou anticipés, ont en commun leur lenteur et leur ampleur limitée[1]. C’est assez clair du côté de la désinflation, ça l’est aussi du côté de la croissance, dont la baisse demeure lente pour le moment. Et si nous nous attendons à ce que le tassement de l’activité s’amplifie, il déboucherait, selon notre scénario, sur une récession d’ampleur limitée aux États-Unis et une stagnation dans la zone euro, du 3e trimestre 2023 au 1er trimestre 2024[2]. Cette récession américaine anticipée ne paraît toutefois pas acquise tant les signaux avant-coureurs restent encore peu tangibles tandis que le risque pour la zone euro paraît inverse. Elle échapperait à la récession[3] mais de justesse, et il ne faudrait pas grand-chose pour que l’économie bascule ; la récession serait alors d’ampleur limitée pour les mêmes raisons qu’aux États-Unis.
Pourquoi une récession ?
L’élément principal, qui sous-tend nos prévisions de récession ou de quasi-récession, est l’ampleur du resserrement monétaire, un peu plus important aux États-Unis que dans la zone euro avec une hausse cumulée de 500 pb pour la Fed et de 400 pb pour la BCE qui passerait à, respectivement, 525 et 450 pb à la fin du cycle de resserrement selon nos anticipations.
Le durcissement des conditions d’octroi de crédit est également plus fort outre-Atlantique – et atteint des niveaux compatibles avec une possible récession au regard du passé – mais l’importance particulière du financement bancaire dans l’économie de la zone euro joue en défaveur de celle-ci. Aux États-Unis, les taux d’intérêt réels sont en passe de redevenir positifs, ce qui renforce le caractère restrictif de la politique monétaire, et nous notons également le signal récessif clair, envoyé depuis plusieurs mois, par l’indicateur composite avancé du Conference Board avec, notamment, l’inversion prononcée de la courbe des taux.
Les États-Unis bénéficient cependant d’un acquis de croissance pour 2023 plus élevé que la zone euro (+0,9% contre +0,2% au 1er trimestre et +1,6% contre 0,4% au 2e trimestre d’après nos prévisions). S’il ne les immunise pas contre la récession, il explique pourquoi, en moyenne annuelle, notre prévision de croissance aux États-Unis s’élève à 1,5% en 2023 contre seulement 0,4% pour la zone euro. Par ailleurs, la croissance américaine est certes fragilisée par le recul prononcé, depuis huit trimestres déjà, de l’investissement résidentiel mais celui-ci n’a pas entraîné, à ce stade, l’ensemble de l’économie américaine. La croissance du PIB américain reste portée par la composante la plus importante du PIB, la consommation des ménages, qui n’a pas connu un seul trimestre de baisse malgré le choc inflationniste, alors que la zone euro en a enregistré deux (4e trimestre 2022 et 1er trimestre 2023). La situation sur le front de l’inflation tourne peut-être aussi, légèrement, à l’avantage des États-Unis, bien que cela reste à confirmer. L’inflation totale y est nettement moins élevée (4% en glissement annuel en mai contre 6,1% pour la zone euro), et si l’inflation sous-jacente était au même niveau en mai (5,3%[4]), elle pourrait refluer plus vite outre-Atlantique dans les prochains mois si la contribution de la composante « loyers », très importante aujourd’hui (les deux tiers de l’inflation totale en mai), décroît comme attendu.
Pourquoi une récession et une reprise limitées ?
Les deux zones bénéficient, par ailleurs, d’un soutien budgétaire important, en faveur de l’investissement notamment, avec l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis et NextGenEU (NGEU) pour la zone euro, qui s’élèvent à respectivement USD 390 mds et EUR 720 mds. Côté américain, il est possible de voir des premiers effets de l’IRA derrière les bons chiffres récents des dépenses d’investissement en structures des entreprises et des dépenses de construction de l’industrie manufacturière. Si du côté européen il est plus difficile à identifier, faute de disposer du même type de statistiques, il est certain que l’impact positif de NGEU et des déclinaisons nationales ira crescendo. Là où les États-Unis et la zone euro se rejoignent, c’est dans la situation du marché du travail (toujours positive des deux côtés de l’Atlantique) et du climat des affaires (où la détérioration des enquêtes est comparable).
Si nous tablons sur un retournement à la baisse d’ampleur limitée, c’est grâce – en plus des efforts d’investissement soutenus budgétairement (dans le numérique, la transition énergétique et la souveraineté industrielle) – à plusieurs facteurs de soutien : atténuation des contraintes d’offre qui permet d’honorer les arriérés de commandes ; dynamique de rattrapage dans le tourisme ; désinflation et augmentations salariales qui relâchent la pression baissière sur le pouvoir d’achat ; baisse des prix de l’énergie et des matières premières ; comportements de rétention de main d’œuvre face aux difficultés de recrutement, qui devraient limiter la détérioration du marché du travail malgré la retournement conjoncturel ; niveau des taux de marge ; arrêt anticipé du resserrement monétaire qui finirait par réduire l’incertitude.
Ces différents éléments devraient aussi favoriser le redémarrage de l’activité qui devrait néanmoins être limité, étant donné la baisse elle-même limitée de la croissance que nous anticipons à l’horizon des prochains trimestres. La reprise serait également limitée, dans notre scénario, en raison aussi du maintien en territoire restrictif de la politique monétaire, malgré l’amorce du cycle de relâchement en début d’année : la lenteur de la convergence de l’inflation vers la cible de 2% signifie aussi lenteur de la baisse des taux. La modestie de la reprise, combinée à l’acquis de croissance négatif de -0,4% au 1er trimestre 2024, explique pourquoi notre prévision de croissance 2024 pour les États-Unis est très légèrement négative en moyenne annuelle, ce qui distingue clairement notre scénario de celui des organismes internationaux (cf. graphique 2). Pour la zone euro, notre scénario se démarque par l’absence d’un vrai rebond par rapport à 2023 (cf. graphique1). Les risques entourant nos prévisions nous semblent équilibrés.
Hélène Baudchon