Après un second semestre 2022 au cours duquel la croissance s’est singulièrement affaiblie, le 1er trimestre 2023 a marqué un rebond relatif, qui devrait se confirmer au 2e trimestre : un rebond plutôt concentré sur certains secteurs, principalement les matériels de transport et le tourisme. Toutefois, les enquêtes de conjoncture se sont dégradées depuis mars, pour atteindre des niveaux relativement bas, notamment dans l’industrie. Le logement résidentiel, les services aux entreprises ou les exportations sont autant de points de vigilance qui, cumulés, devraient avoir un impact négatif plus marqué au second semestre 2023 tant en termes de croissance que de créations d’emplois, qui persistent pour le moment.
La croissance tient bon. Outre la contraction limitée au 1er trimestre 2022 (-0,1% t/t), avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’économie française a évité une croissance négative malgré les vents contraires successifs. En 2022, l’investissement des entreprises et leur restockage, ou encore le rebond des services en sortie de Covid-19 (dont les services de transport et l’hébergement-restauration) ont compensé la baisse de l’investissement des ménages, ainsi que celle de leur consommation alimentaire et d’énergie. Début 2023, c’est la confirmation du rebond dans l’automobile et l’aéronautique qui a soutenu l’économie, malgré un nouveau pic d’inflation.
Des facteurs de résilience toujours présents mais plus limités
Cet équilibre entre des vents contraires conséquents et des spécificités positives continue de structurer l’économie française. Les premiers se sont intensifiés au 1er trimestre : dont la contraction de l’investissement des ménages (-2,3% t/t) qui accompagne le fort repli du logement (ventes de logements neufs et transactions dans l’ancien), après une nette baisse du crédit à l’habitat (de près de moitié a/a au T1). Le secteur subit l’impact de la hausse des taux d’intérêt et de celle des coûts de construction, qui se poursuit et aggrave la situation sur le neuf. L’inflation a enregistré son pic en février (7,3% a/a, selon l’indice harmonisé) et le pouvoir d’achat des ménages s’est contracté de -0,6% t/t au 1er trimestre (par unité de consommation), malgré la croissance des revenus (+1,6% t/t).
Cette dernière s’explique par le maintien d’importantes créations d’emplois (près de 90 000), ainsi que par des hausses de salaires plus conséquentes (que nous anticipons à 5% en moyenne en 2023). Ces éléments, auxquels s’ajoutent des économies en matière de consommation d’énergie, ont permis une hausse du taux d’épargne, ainsi que le maintien de la croissance de la consommation de services. Ces éléments ne devraient pas significativement s’altérer au 2e trimestre, les statistiques parcellaires disponibles se révélant positives concernant le nombre de nuitées dans l’hébergement notamment.
L’autre élément favorable réside dans le retour de la production automobile à son niveau d’avant-Covid, en raison de la baisse relative des contraintes d’offre. Toutefois, si ceci permet de traiter les retards accumulés, cela ne doit pas masquer que les nouvelles commandes sont désormais moins nombreuses.
Une dégradation en marche
Le climat des affaires de l’Insee s’est détérioré au 4e trimestre 2022 face à la crainte d’un choc sur l’énergie, avant un contrecoup favorable au 1er trimestre 2023. Depuis mars, il est clairement orienté à la baisse : en mai, l’indicateur synthétique a retrouvé sa moyenne de long terme (100), en dessous de laquelle il n’est plus descendu depuis mai 2015 (avec des baisses dans l’industrie, dans les services et la construction).
La tendance récente du commerce extérieur en volume confirme ces signaux négatifs. Si les exportations de matériels de transport ont progressé de 2,7% t/t au 1er trimestre, les exportations manufacturières hors matériels de transport ont diminué de 0,7% t/t (et de 3% a/a), tandis que les services de transport exportés diminuent de 6,7% t/t (après une nette hausse en 2022). Du côté des importations, les autres produits industriels, catégorie qui regroupe beaucoup d’intrants sensibles à la conjoncture (chimie, métaux, minéraux, papier/carton), voient leurs importations diminuer de 4% t/t au 1er trimestre (-6% a/a). C’est un indicateur avancé d’une production industrielle française qui suivrait une tendance défavorable dans les prochains mois.
Enfin, si la consommation de services s’est révélée résiliente ces derniers mois, c’est en partie en raison d’un retour à la normale post-Covid (loisirs, tourisme) mais également d’effets de substitution : rebond de la restauration au détriment de la consommation alimentaire en magasins. Cette dernière, pénalisée par l’inflation et ces effets de substitution, est tombée à son plus bas niveau depuis 2005. Au 1er trimestre 2023 elle était inférieure de 9,6% à son niveau du 4e trimestre 2021 avant l’envolée de l’inflation alimentaire (ces chiffres incorporant également l’effet d’une baisse de la qualité des produits consommés).
La consommation de biens hors énergie et hors alimentation est plus stable, surtout en raison d’un rebond dans les matériels de transport ; si on exclut cette catégorie de biens, la consommation est en baisse de 2,3% entre le T4 2021 et le T1 2023. Surtout, l’opportunité de faire des achats importants immédiatement a atteint son plus bas niveau historique au mois d’avril (6,5% des ménages, contre une moyenne de 14,6% sur les vingt dernières années), en deçà même du point bas de juin 2008 (7,7%), augurant d’un repli conséquent de la demande. Il est donc probable que la désinflation que l’on commence à observer ne suffise pas, notamment parce qu’elle est trop progressive (5,6% en moyenne en 2023 selon nos prévisions contre 5,9% en 2022) pour avoir un impact sur les intentions de dépenses des ménages.
Stéphane Colliac