La croissance économique chinoise s’est redressée rapidement à la suite de l’abandon de la politique zéro Covid, mais elle s’essouffle également plus vite que prévu. La demande intérieure est freinée par une importante perte de confiance des ménages et des investisseurs, alors que le moteur exportateur s’enraye. Les autorités assouplissent prudemment la politique monétaire, et d’autres mesures de relance sont attendues à court terme. Elles devraient entre autres viser à encourager l’emploi des jeunes.
La consommation des ménages et l’activité dans les services ont redémarré rapidement suite à l’abandon de la politique zéro Covid en décembre 2022 et après quelques semaines de perturbations causées par la flambée épidémique. Cette reprise a cependant perdu de l’élan dès le T2 2023.
Le rebond dans les services a atteint +9,1% en glissement annuel (g.a.) sur les cinq premiers mois de 2023, après une légère contraction enregistrée en 2022. Toutefois, d’une part, ce chiffre est gonflé par des effets de base favorables résultant des confinements très stricts imposés dans la région de Shanghai au printemps 2022 ; d’autre part, l’activité dans les services a montré des signes d’affaiblissement dès le mois de mai.
Il en va de même pour les volumes de ventes au détail qui ont rebondi de près de 9% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2023, mais dont la croissance a ralenti en mai. Les ménages limitent en effet leurs dépenses. Ils demeurent prudents face à la grave crise du secteur immobilier et aux incertitudes qui pèsent sur leurs perspectives de revenu et d’emploi.
La situation du marché du travail reste dégradée. En particulier, alors que le taux de chômage des zones urbaines s’est réduit à 5,2% en mai (contre 5,5% fin 2022) et se rapproche de son niveau d’avant-Covid, le chômage des jeunes de 16 à 24 ans a augmenté depuis le début de l’année. Il a atteint un record historique à 20,8% en mai, contre 16,7% fin 2022 et 12% en 2019. Cette évolution s’explique, notamment, par des inadéquations entre l’offre et la demande apparues sur le marché du travail depuis le resserrement réglementaire imposé en 2021 dans divers secteurs de services.
Du côté de l’offre, le nombre de jeunes diplômés entrant sur le marché du travail a augmenté continûment ces dernières années, et leur niveau d’éducation s’est élevé. Le nombre de jeunes diplômés sortant de l’université a atteint 10,5 mn en 2022, contre 7,9 mn en 2017. Au contraire, le nombre total de travailleurs migrants en provenance des zones rurales n’a augmenté que de 3,1 mn en 2022 (pour atteindre 295,6 mn), en baisse par rapport à 4,8 mn en 2017. Du côté de la demande, le nombre d’emplois dans les services s’est stabilisé en 2021, puis s’est contracté en 2022 pour la première fois. Le nombre d’emplois dans l’industrie s’est également réduit en 2022 (reprenant la tendance suivie de 2015 à 2019) alors que le nombre d’emplois dans le secteur primaire a augmenté pour la première fois en vingt ans.
Dans le secteur tertiaire, les destructions d’emplois en 2022 ont concerné les services affectés par les restrictions sanitaires (commerce de détail, loisirs, etc.), l’immobilier, et des services à plus haute valeur ajoutée ciblés par le resserrement réglementaire (éducation, internet, tech en particulier). Les premiers bénéficient du rebond post-Covid depuis le début de 2023, ce qui devrait se traduire par des créations d’emplois. En revanche, le cadre réglementaire reste incertain pour les secteurs considérés comme sensibles par Pékin, ce qui pèse sur leurs investissements et leurs embauches. Or, ces secteurs recrutent plus particulièrement les jeunes diplômés et les travailleurs les plus qualifiés.
En outre, la crise qui persiste dans le secteur immobilier et la construction et le ralentissement du secteur manufacturier pourraient entraîner de nouvelles destructions d’emplois. Le nombre de chantiers de construction achevés s’est certes redressé depuis le début de l’année grâce aux mesures de soutien des autorités, mais le sentiment des acheteurs potentiels reste déprimé et de nombreux promoteurs continuent de faire face à d’importantes difficultés financières. Les ventes de logements ont continué de chuter et la contraction de l’investissement immobilier s’est aggravée en mai. Le secteur manufacturier est lourdement pénalisé par le ralentissement de la demande mondiale et les tensions avec les États-Unis. La production industrielle n’a augmenté que de +3,6% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2023, soit une croissance inchangée par rapport à 2022. Les exportations de marchandises ont à peine augmenté depuis le début de l’année (+1,1% en g.a.), et le recul des importations s’est poursuivi (-4,4%).
Les autorités ont abaissé les taux directeurs à la mi-juin (par exemple, le taux MLF est passé de 2,75% à 2,65%). Les effets sur la croissance du crédit pourraient être limitées, mais l’assouplissement monétaire précède probablement d’autres mesures de relance. Étant donné la fragilité des finances des collectivités locales, un nouveau soutien budgétaire pourrait venir du gouvernement central. Les actions pour réduire le chômage des jeunes devraient également se multiplier (des programmes, d’ampleur modeste, de créations d’emplois dans le secteur public et d’aide aux entreprises pour embaucher des jeunes diplômés ont été lancés depuis l’an dernier). De fait, il est urgent de renforcer la confiance des ménages chinois.
Christine Peltier