La zone euro est entrée en récession technique au premier trimestre 2023, Eurostat ayant rabaissé son estimation de la croissance trimestrielle du PIB pour le T1, de +0,1% à -0,1% t/t, soit une contraction identique à celle du T4 2022. Ces résultats ne modifient pas profondément notre grille de lecture pour l’année 2023 : une activité économique faible ou légèrement négative, trimestre sur trimestre, même si la croissance pour 2023 dans son ensemble devrait être plus positive grâce à des effets d’acquis favorables. Nos prévisions actuelles tablent sur un taux de refinancement terminal de 4,5%, qui serait atteint lors de la réunion de politique monétaire du 14 septembre prochain. Néanmoins, le scénario d’un resserrement plus dur ne peut pas être totalement exclu au regard des dynamiques inflationnistes de base en cours et des indices de généralisation de l’inflation toujours élevés.
Les prix de l’énergie (gaz naturel, pétrole) ont continué de refluer au printemps, alimentant la baisse de l’inflation générale en zone euro. Néanmoins, le processus de désinflation sera lent1, un retour à la cible de 2% n’étant pas attendu, selon nos prévisions, avant 2025. Même si l’alimentation reste de loin le principal contributeur à l’augmentation de l’indice des prix à la consommation, une part de l’inflation est également centrée sur les services (restauration/hôtellerie, loisirs/culture, services de transport) et alimentée par les salaires.
Les salaires de base en zone euro ont, en effet, progressé de 4,3% en glissement annuel au T1, selon l’indicateur de la BCE, à l’issue des négociations collectives. C’est la plus forte augmentation depuis la création de l’union monétaire. Cette hausse des salaires reste inférieure au rythme de l’inflation en zone euro mais les deux courbes devraient se croiser au cours du troisième trimestre, marquant le retour en territoire positif de la progression des salaires réels.
L’union monétaire a bénéficié en 2022 de plusieurs leviers favorables – épargne importante des ménages au sortir de la crise sanitaire, rattrapage d’activité avec la résorption progressive des perturbations sur les chaines de production mondiales, soutien budgétaire élevé – pour amortir le choc inflationniste et le choc des taux. Ces soutiens ne seront pas aussi vigoureux en 2023. Par ailleurs, si les contraintes d’offre portant sur les composantes et les biens d’équipement devraient s’estomper (elles restaient importantes au premier trimestre selon l’enquête de la Commission européenne sur les freins à l’activité des entreprises), les pénuries de main d’œuvre devraient persister plus longtemps sous l’effet du resserrement sans précédent du marché du travail. Le taux de chômage a ainsi atteint un nouveau point bas à 6,5% en avril.
Toutefois, les signaux baissiers gagnent du terrain. Le recul de l’activité industrielle en zone euro était jusqu’en avril contenu mais l’indice PMI manufacturier se détériore mois après mois (44,8 en mai), tandis que les nouvelles commandes manufacturières en Allemagne ont plongé ce printemps à des niveaux inédits depuis la crise sanitaire de 2020.
De plus, les ventes au détail de produits alimentaires décrochent nettement depuis plus d’un an en termes réels. L’activité dans les services reste mieux orientée, avec un indice PMI à 55,1 en mai. Si à court terme, les dynamiques entre le secteur manufacturier et les services semblent diverger, un rapprochement s’opérera à terme, probablement à travers une baisse du climat des affaires dans les services. Au troisième trimestre, l’activité dans ce secteur devrait être soutenue par la saison touristique, qui s’annonce une nouvelle fois favorable. Néanmoins, la poursuite du resserrement monétaire devrait, à terme, avoir des effets plus diffus sur l’économie.
Pour la BCE, le bon ajustement de son taux directeur est plus difficile à trouver étant donné les divergences notables entre les taux d’inflation des pays de la zone euro, aussi bien pour la mesure « headline » que pour l’inflation sous-jacente. La plupart des économies à l’est de l’union monétaire enregistrent une inflation sous-jacente proche (Croatie) ou supérieure (pays baltes, Slovaquie) à 10% en mai 2023, tandis que la hausse reste importante aux Pays-Bas (8,2%) et en Autriche (7,9%). À l’inverse, l’inflation est retombée sous la barre des 4% en Espagne (3,8%). Les décisions prises ailleurs par les banquiers centraux au cours des dernières semaines (Australie, Canada) illustrent toutefois la détermination des autorités monétaires à juguler l’inflation, quitte à le faire de manière plus agressive qu’escompté par les marchés.
La BCE semble s’orienter vers cette direction. Début juin, Isabel Schnabel, membre « faucon » du directoire de la Banque centrale européenne, a rappelé que dans la lutte contre l’inflation, « compte tenu de l’incertitude sur sa persistance, le coût d’une action trop faible est supérieur à celui d’une action trop énergique »2.
Guillaume Derrien