Le PIB du Royaume-Uni a crû de 0,1% t/t au T1 2023. La récession hivernale annoncée à l’automne 2022 n’a pas eu lieu grâce à l’investissement public, au dynamisme des services et à la résilience de l’industrie. Cette vigueur est une bonne nouvelle mais risque de rendre l’inflation plus persistante à moyen terme, alors que les derniers chiffres ont encore surpris à la hausse. La Banque d’Angleterre (BoE) devra poursuivre ses hausses de taux. Cela pèsera sur la croissance qui devrait être nulle en 2024, après déjà seulement 0,4% en 2023.
La croissance du 1er trimestre brave la tempête
La récession n’interviendra pas au S1 2023 au Royaume-Uni, la croissance ayant résisté au T1 selon les estimations actuelles (+0,1% t/t), grâce au soutien des finances publiques par divers mesures (garantie des prix énergétiques, soutien à l’investissement privé) ainsi que par l’entremise directe de l’investissement public (+9,7% t/t au T1 2023). La consommation privée (-0,0% t/t) et l’investissement des entreprises (+0,7% t/t), qui bénéficie d’un effet de rattrapage par rapport au décrochage de la tendance après le Brexit, n’ont pas chuté comme attendu.
Du point de vue de la production, ce sont les services qui ont principalement soutenu la croissance (à hauteur de 0,06 point), tandis que la construction (0,04 pt) et l’industrie (0,02 pt) y ont aussi contribué positivement bien que dans une moindre ampleur. Cette résilience s’est étendue à une majorité de sous-secteurs malgré des signes de ralentissement pour certains. Les ventes au détail ont résisté au T1 (+1,1% t/t), mais les services aux ménages ont reculé (-0,4% t/t).
Le Royaume-Uni a pourtant affronté des vents contraires ce trimestre. Le déflateur de la consommation des ménages n’a que légèrement décéléré à 9,4% en g.a. au T1 2023 après 10,3% au T4 2022. Dans le même temps, la hausse des taux s’est poursuivie, la BoE portant son taux directeur à 5% en juin et le taux d’emprunt des sociétés non-financières privées s’est élevé à 6% en avril (2,4% en avril 2022). Les ménages ont également subi le resserrement monétaire puisque la charge d’intérêt en pourcentage du revenu disponible brut agrégé est passée de 1,5% au T4 2021 à 3,6% au T4 20221. Le secteur privé a donc, pour le moment, résisté à cette double hausse du coût de la vie et du crédit.
La deuxième vague est déjà là
Notre scénario prévoit une croissance de +0,1% t/t au T2 2023, puis +0,2% au T3 et +0,0% au T4. La récession serait ainsi évitée cette année grâce à cet élan favorable permis par le 1er trimestre. Portée par ce momentum positif à court terme, l’économie britannique a résisté à la tempête mais les vents contraires l’éloignent encore de la terre ferme.
Les derniers chiffres d’inflation continue de faire craindre une plus grande persistance et devraient obliger la BoE à poursuivre son cycle de resserrement monétaire plus longtemps qu’anticipé il y a encore quelques mois. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) a poursuivi sa route en mai et atteint un plus haut depuis 40 ans (7,1% a/a). L’inflation semble se propager à des composantes jusqu’ici relativement épargnées comme la communication (+9,1% a/a en mai) et les loisirs (+6,7% a/a). De façon similaire, l’inflation des services - très surveillée par la BoE comme indicateur de l’inflation d’origine domestique - a dépassé en mai (+7,4% a/a) son précédent pic de décembre 2022.
Ensuite, le marché du travail présente des signes de ralentissement mais reste relativement tendu. L’économie britannique n’a créé que 7 000 emplois en avril. L’emploi est désormais en baisse dans certains secteurs depuis avril 2022, comme dans la construction (-5 000 emplois) ou dans la vente au détail (-50 000 emplois). Ces destructions d’emplois peuvent par ailleurs être mises en parallèle de la forte hausse des défaillances d’entreprises au 1er trimestre (+17,7% a/a) qui a été particulièrement marquée dans le secteur de la vente au détail (+35,3% a/a). Le taux de chômage est, quant à lui, en hausse sur un an au T1 2023 (à 3,9% contre 3,7% au T1 2022), ce qui constitue un signal de récession si l’on en croit la règle de Sahm2, validée 7 fois sur 11 au Royaume-Uni durant les 50 dernières années. Les entrées de travailleurs non-européens (+6,2% t/t au T1 2023) commencent par ailleurs à compenser les départs liés au Brexit de travailleurs originaires de l’Union européenne. Ces facteurs restent cependant trop parcellaires et ne peuvent être considérés comme constituant une tendance pour l’instant. La croissance des salaires, autre indicateur de persistance de l’inflation, est la plus élevée parmi les pays du G7 (+7,2% a/a en avril). Les surprises défavorables récentes sur l’inflation devraient, en outre, se répercuter sur les salaires via les anticipations d’inflation. Ces dernières sont remontées en mai pour la première fois depuis décembre 2022, à 5,9% à horizon d’un an, augmentant le risque d’une boucle prix-salaire.
L’inflation pourrait donc peser plus longtemps sur le pouvoir d’achat des ménages et, en même temps, pousser - pour ne pas dire forcer - la BoE à resserrer de nouveau les conditions de crédit. Nous prévoyons deux resserrements supplémentaires et un taux terminal à 5,75% en novembre. Ces éléments empêcheraient le redressement de l’activité britannique en 2024 (+0,0% en moyenne annuelle). Nous prévoyons par ailleurs une récession technique en début d’année prochaine, avec -0,2% t/t au T1 2024 puis -0,1% au T2, alors que l’inflation ne reviendrait pas sous sa cible de 2% d’ici la fin d’année 2024.
Stéphane Colliac (avec l’aide de Louis Morillon, stagiaire)