L’économie américaine continue de croître et de créer des emplois mais à un rythme progressivement plus lent. De plus, la Réserve fédérale n’en a pas tout à fait terminé avec les hausses de taux. Nous continuons d’anticiper une récession, à compter du T3 2023 et jusqu’au T1 2024, sous l’effet du resserrement monétaire. La Fed, qui a opté pour le statu quo en juin, à la faveur d’une inflation qui confirme son reflux, et pour prendre le temps d’évaluer les effets du resserrement monétaire opéré jusqu’ici, procèderait à une dernière hausse de 25 pb en juillet, portant la fourchette des Fed funds à 5,25-5,50%.
Après avoir été artificiellement soutenue par la contribution positive des variations de stocks au T4 2022 (+0,4 point de pourcentage sur +0,6% t/t de croissance), la croissance américaine a été, à l’inverse, artificiellement tirée vers le bas par leur contribution négative au T1 2023 (-0,5 pp sur +0,5%).
Si la contribution du commerce extérieur a été légèrement positive (+0,1 pp), celle de la demande intérieure finale a été importante (+0,9 pp), grâce notamment à la consommation des ménages (contribution de +0,7 pp). Cette dernière n’a pas connu un trimestre de baisse malgré le choc inflationniste, se différenciant ainsi de la zone euro où la consommation des ménages a déjà baissé au T4 2022 et au T1 2023.
Au T2, la croissance américaine s’élèverait à +0,5% t/t (rythme non annualisé) d’après l’estimation GDPNow de la Réserve fédérale d’Atlanta, un chiffre légèrement supérieur à notre prévision (+0,4% t/t). L’évolution probablement plus favorable des variations de stocks alimenterait ce léger rebond. Une nouvelle baisse de l’investissement résidentiel ne fait guère de doute (ce serait la 9e d’affilée), le point d’attention portera sur son ampleur (éventuelle accentuation par rapport au T1).
Le degré de résistance de la consommation des ménages et de l’investissement productif sera également scruté de près. Il sera notamment intéressant de voir si l’investissement en structures enregistrera un nouveau trimestre de forte croissance, dans la foulée du T4 2022 et du T1 2023 (près de +4% t/t chaque trimestre)1, un regain de dynamisme qui est attribué à l’Inflation Reduction Act.
D’après notre scénario, le T2 marquerait le dernier trimestre de croissance avant une entrée en récession de l’économie à compter du T3, sous l’effet du resserrement monétaire. Pour l’instant toutefois, l’économie donne peu de signes avant-coureurs d’un tel scénario, hormis la baisse marquée de l’indicateur composite avancé du Conference Board (LEI), à -8,4% en mai en glissement annualisé sur six mois, avec un indice de diffusion de 40. Derrière cette baisse, on trouve celles de la composante « nouvelles commandes » de l’ISM manufacturier, de l’indicateur relatif au crédit, des anticipations des consommateurs et l’inversion de l’écart de taux 2-10 ans
Les turbulences et inquiétudes suscitées par l’épisode SVB en mars, dont celles d’un atterrissage brutal de l’économie, se sont atténuées : d’après le dernier SLOOS (Senior Loan Officer Opinion Survey on Bank Lending Practices), le durcissement des conditions d’octroi s’est poursuivi mais dans la continuité de ce qui était déjà engagé. Ce durcissement reste de l’ordre du « squeeze » (avec une discrimination des risques) et non du « crunch » généralisé.
La détérioration toujours progressive du marché du travail continue également de relativiser le signal récessif du LEI. Et si les principales enquêtes de confiance (indice ISM du climat des affaires, confiance des consommateurs) ont penché légèrement du côté négatif en mai2, il n’y a pas matière à s’inquiéter outre-mesure. En revanche, du côté des PME (enquête NFIB) et des dirigeants d’entreprises (enquête trimestrielle du Conference Board), le moral est à un étiage très bas. D’après l’indice d’anxiété de la Réserve fédérale de Philadelphie, la probabilité d’une baisse du PIB le trimestre suivant le sondage est relativement élevée depuis le début de l’année (environ 45%).
En juin, la Fed a opté, comme attendu, pour le statu quo, interrompant une série de 10 hausses de taux, amorcée en mars 2022 et cumulant 500 pb. Il s’agit, pour la Fed, de prendre le temps d’évaluer les effets de l’important resserrement monétaire opéré jusque-là. Le durcissement des conditions d’octroi de crédit fait également une partie du travail de la Fed. Les chiffres d’inflation du mois de mai ont été encourageants (reflux de 0,9 point à 4% a/a du headline – un plus bas depuis avril 2021 et le début de la grande envolée – et baisse de 0,2 point à 5,3% a/a de l’inflation sous-jacente). En outre, la baisse de l’inflation est en passe d’être suffisamment importante pour que les taux d’intérêt réels repassent en territoire positif, renforçant le caractère restrictif de la politique monétaire. Cette pause de la Fed ne marquerait toutefois pas la fin du cycle de hausse des taux, compte tenu du niveau encore élevé de l’inflation et de la résistance, à ce stade, de la conjoncture. Nous prévoyons ainsi un ultime resserrement de 25 pb en juillet, portant la fourchette des Fed funds à 5,25-5,50%.
Le trimestre au cours duquel la Fed mettrait un terme à son resserrement monétaire coïnciderait avec l’entrée en récession de l’économie. Celle-ci serait d’ampleur et de durée très limitées (du T3 2023 au T1 2024 et baisse cumulée du PIB de 0,7%), le recul de l’inflation, le maintien relatif du marché de l’emploi et la dynamique favorable de l’investissement en structures jouant le rôle d’amortisseurs. En moyenne annuelle, la croissance américaine s’élèverait à 1,5% en 2023. Elle serait très légèrement négative en 2024 (-0,1%) du fait de l’acquis de croissance défavorable en début d’année (-0,4%) et d’une reprise qui resterait limitée par le maintien en territoire restrictif de la politique monétaire malgré l’amorce d’une détente des taux directeurs au printemps.
Hélène Baudchon