L’Allemagne a enregistré une récession technique au 4e trimestre 2022 (-0,5% t/t) et au 1er trimestre 2023 (-0,3% t/t) sous le poids notamment d’une contraction de la consommation des ménages (-1,7% puis -1,2%). Si cette récession n’a pas eu pour principale origine le cœur industriel de l’économie allemande, ce dernier a toutefois montré des signes de faiblesse qui l’ont empêché de croître davantage. Alors que la désinflation devrait permettre un rebond de la consommation des ménages au 2e trimestre, les enquêtes de conjoncture augurent toutefois d’une nouvelle détérioration au-delà, qui expose à nouveau l’économie allemande à un risque de récession au 2nd semestre.
La récession longtemps annoncée a fini par se matérialiser en Allemagne, au 4e trimestre 2022 et au 1er trimestre 2023. C’est finalement la consommation des ménages qui a donné le la, d’abord en permettant d’éviter la récession, malgré des indicateurs de climat des affaires qui se sont très nettement dégradés dès le printemps 2022, puis en la précipitant alors même que le rebond du début d’année enregistré par l’IFO et le ZEW pouvait laisser entendre que la croissance aurait pu ne pas être négative au 1er trimestre. La consommation publique, en net repli au 1er trimestre, a fortement pesé sur la croissance en début d’année 2023.
Conjonction des contraintes d'offre et de demande
Le panorama que l’on peut dresser de l’économie allemande au début de 2023 est celui d’une économie toujours lourdement congestionnée. En effet, la forte volatilité des indicateurs de conjoncture ne doit pas masquer leur atonie une fois leurs variations lissées. La nette contraction de la production industrielle en décembre dernier a été compensée par un rebond au 1er trimestre 2023, mais son niveau moyen (moyenne mobile sur 6 mois) est resté relativement inchangé. Les nouvelles commandes à l’industrie ont même stagné au 1er trimestre et marquent en avril 2023 un plus bas depuis mai 2013.
En parallèle, l’ouverture d’une nouvelle usine Tesla à Berlin, en 2022, a permis une montée en charge en fin d’année qui se poursuit sur les cinq premiers mois de 2023 (hausse de 11% a/a des nouvelles immatriculations de véhicules). Toutefois, si cette capacité de production additionnelle a ponctuellement permis de mieux traiter les carnets de commandes accumulés, les contraintes d’offre que les entreprises subissent restent majeures et limitent la production pour 68% des entreprises selon la Commission européenne. La production automobile est restée toutefois au 1er trimestre 2023 11% en deçà de son pic de fin 2017.
Un dynamisme des services en trompe-l'œil
Le PMI services allemand continue de diverger assez nettement du PMI manufacturier, à la différence d’autres pays où cet écart d’abord important s’est dernièrement réduit, notamment la France. Toutefois, l’enquête de conjoncture de l’IFO montre que le dynamisme des services concerne principalement des secteurs liés au tourisme et aux loisirs, tandis que les services plus dépendants de l’industrie continuent d’accompagner la dynamique nettement plus modérée de cette dernière. De plus, la comparaison de l’enquête de la Commission européenne relative aux services pour les différents pays de l’Union européenne montre que les secteurs liés au tourisme et aux loisirs sont plus dynamiques en Allemagne qu’ailleurs.
De l'impression d'une reprise durable à celle d'une rechute en cours
Même s’il n’est pas général, le dynamisme actuel d’une partie des services en Allemagne devrait tout de même bénéficier à la croissance du pays. De plus, l’accalmie récente en matière d’inflation devrait redonner du pouvoir d’achat aux ménages, et permettre d’envisager un rebond de leur consommation au 2e trimestre, après une nette baisse précédemment (-2,9% si on cumule les contractions du T4 2022 et du T1 2023). Toutefois, alors que les données de la production industrielle, des nouvelles commandes à l’industrie et les enquêtes de conjoncture laissaient croire jusqu’en février à une reprise marquée de la croissance, les perspectives sont désormais très différentes. La probabilité d’une rechute de la croissance au 2nd semestre 2023 s’est renforcée.
Cette anticipation provient, comme dans d’autres pays européens, de l’impact de plus en plus visible des hausses de taux d’intérêt de la BCE, conformément à ce que les délais de transmission permettaient d’anticiper avec un effet maximal sur la conjoncture à partir de cette période. Or, les enquêtes de conjoncture confirment un nouveau refroidissement. Si la confiance des ménages mesurée par l’institut GFK a vu son indicateur synthétique se redresser, la volonté d’achat des ménages est revenue en mai à son bas niveau connu lorsque l’inflation était à deux chiffres.
L’intensité de cette rechute devrait être modérée (0% de croissance t/t au T3, puis -0,1% t/t au T4 selon nos prévisions), notamment parce que le dynamisme du marché du travail ne s’est pas démenti ces derniers mois, avec 155 000 créations d’emplois au 1er trimestre et que les indicateurs avancés (tensions sur le recrutement, perspectives d’emploi à trois mois) restent relativement bien orientés. Toutefois, la sous-performance du PIB allemand depuis la fin 2017 montre la dépendance du pays à des secteurs pénalisés par les évolutions récentes, dont l’industrie chimique ou l’automobile (dont la production reste, respectivement, 15% et 11% inférieure à celle de fin 2017). Cela explique pourquoi la croissance allemande est demeurée en deçà de la moyenne européenne depuis lors, ce qui devrait rester le cas encore en 2023.
Stéphane Colliac