L’inflation au Japon poursuit sa progression en se diffusant à l’ensemble des postes de l’indice des prix à la consommation. Les anticipations d’inflation demeurent ancrées autour de la cible des 2% et la hausse des prix devrait se maintenir à ce niveau à moyen terme. Nous prévoyons que la Banque du Japon (BoJ) réhausse le plafond du taux souverain à 10 ans à 1% en juillet, avant de mettre fin à sa politique de contrôle de la courbe des taux d’ici la fin 2024. Le PIB japonais a crû de 0,7% t/t au 1er trimestre (+2,7% en rythme annualisé), principalement soutenu par la consommation des ménages et l’investissement non résidentiel. Le retour des touristes étrangers (+71% t/t au T1) a également permis à l’activité de rebondir après deux trimestres décevants. Bien qu’en décélération, la croissance devrait perdurer au 2e trimestre (+0,5% t/t) et tout au long du second semestre pour atteindre 1,1% en 2023.
L’inflation japonaise continue d’augmenter. La mesure principale de la BoJ, qui exclut les produits alimentaires frais, a repris sa hausse en avril (3,4% en glissement annuel, g.a.) après deux mois de baisse du fait essentiellement des subventions énergétiques mises en place par le gouvernement. La mesure des prix hors produits alimentaires frais et énergie progresse plus rapidement pour le 15e mois consécutif à 4,1% en g.a.
En avril, 44% du panier des biens de consommation était constitué de produits dont les prix étaient en hausse de plus de 4% en glissement annuel, contre 13% un an auparavant. L’inflation des services progresse également (1,7% en g.a.), ce qui illustre le caractère domestique croissant de la hausse des prix.
Les prévisions d’inflation de la BoJ pour l’année fiscale 2023-2024 ont été revues à la hausse le 1er mai dernier, et la banque centrale s’attend désormais à ce que l’inflation gravite autour de sa cible des 2% au moins jusqu’en 2025. Les récentes enquêtes indiquent un ajustement des entreprises à ce nouvel environnement inflationniste. Selon l’enquête Tankan, 18,8% des répondants s’attendent désormais à une inflation comprise entre 3% et 6% à horizon de 5 ans, contre 5,7% trois ans auparavant. Ces révisions à la hausse pourraient entretenir une dynamique positive sur les prix qui aiderait la BoJ à atteindre sa cible.
Autre facteur plaidant pour une inflation plus persistante : les tensions sur le marché du travail. Le taux de chômage a augmenté depuis décembre (2,8% en avril) mais il se maintient à des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis les années 90 (hormis en 2018 et 2019). La tension sur le marché du travail s’illustre également par le ratio des nouvelles offres d’emploi sur le total des chômeurs qui reste proche de ses plus haut depuis 50 ans atteints en 2018/2019 (0,48 en avril 2023). Enfin, le taux d’activité – faible au sortir de la crise financière de 2008, notamment chez les femmes – s’est accru (75,2% en avril), le Japon ayant désormais rattrapé son retard avec les autres membres du G7. En l’état, le pays ne pourra donc pas compter sur un nouvel afflux de main d’œuvre, ce qui contribuerait à une progression plus significative des salaires. Celle-ci est encore de seulement +1% en g.a. en avril. Toutefois, les négociations salariales annuelles (shunto) ont débouché en avril sur un accord prévoyant une hausse annuelle moyenne des rémunérations de 3,7% qui devrait se répercuter progressivement dans les statistiques mensuelles.
Un bond à relativiser
L’économie japonaise a crû de 0,7% t/t au 1er trimestre et elle aurait désormais dépassé de 0,4% son niveau d’avant-Covid-19. Cette croissance succède néanmoins à deux trimestres décevants (-0,4% t/t au T3 2022 et +0,1% t/t au T4) et doit donc être relativisée.
Le rebond du 1er trimestre s’explique principalement par la contribution de la consommation des ménages (0,3 point) et par celle de l’investissement non résidentiel (0,2 point). Les ménages ont nettement augmenté leurs achats de biens durables (+5,4% t/t), ce que l’on peut mettre en lien avec leur regain de confiance depuis janvier (indice en hausse à 35,7 en mai contre 30,9 en janvier). À l’inverse, le commerce extérieur (-0,3 point) a pesé sur la croissance. Le nombre de visiteurs étrangers a recouvré deux tiers de son niveau d’avril 2019 mais le potentiel de reprise reste important.
Les exportations vers la Chine ont nettement rebondi depuis janvier (+38,6% en mai) grâce à la réouverture de l’économie, mais elles restent inférieures de 3,4% à leur niveau de mai 2022. Ce rebond a été limité par la faiblesse de la reprise économique en Chine1. L’industrie manufacturière japonaise n’a donc que peu progressé depuis un an (+0,4% en g.a. en avril) et recule même au 1er trimestre (-1,8% t/t). Le secteur tertiaire a mieux résisté sur les quatre premiers mois de l’année, progressant de 1,5% en avril par rapport à décembre 2022.
Guillaume Derrien (avec l’aide de Louis Morillon, stagiaire)