Le recul de l’inflation en Espagne n’a offert aucun répit à la coalition au pouvoir. Le revers du Parti socialiste aux élections régionales et locales du 28 mai dernier, au profit du Parti populaire, a conduit le Premier ministre, Pedro Sanchez, à annoncer des élections législatives anticipées le 23 juillet, cinq mois avant la date initialement prévue. Malgré un marché de l’emploi toujours dynamique, la baisse du pouvoir d’achat et la crise du logement pénalisent le parti au pouvoir, dont le retard dans les sondages s’est accentué au cours du printemps. Le marché immobilier montre des signes de retournement contenus pour le moment, mais la poursuite du resserrement monétaire et la hausse des taux d’emprunt qui en découle risquent d’accentuer ce repli.
Lors des élections locales et régionales, le Parti socialiste (PSOE) a certes recueilli 28,1% des voix, un résultat en légère baisse par rapport au scrutin de 2019 (29,4%), mais le Parti populaire (PP) a nettement consolidé sa position avec 31,5% des votes (contre 22,7% en 2019). Le PP profite notamment de l’effondrement du parti de centre-droit Ciudadanos, qui ne présentera aucun candidat aux élections législatives de juillet prochain.
Le PSOE a cédé des postes importants au PP, aussi bien à l’échelle régionale (Communauté valencienne, Aragon) que locale (Séville, Valence). Les résultats confirment également le recul de Podemos, membre de la coalition actuellement au pouvoir.
À l’issue des résultats, le Premier ministre, Pedro Sanchez, a annoncé des élections législatives anticipées le 23 juillet. Le PP était, à la mi-juin, le mieux placé dans les sondages même si, faute de majorité absolue, l’accession au pouvoir de Alberto Núñez Feijóo (chef de file du PP) pourrait reposer sur une alliance avec le parti d’extrême droite Vox. Ce dernier a enregistré à nouveau une progression importante lors du scrutin de mai dernier, confirmant sa percée de 2021 aux élections en Castille et Léon. Malgré un bilan plutôt satisfaisant sur le front du marché du travail (le taux de chômage est redescendu à 12,7% en avril), le PSOE pâtit de la crise du pouvoir d’achat et du logement, ainsi que des négociations politiques avec les partis indépendantistes, souvent critiquées mais nécessaires pour sécuriser une majorité au parlement.
Une victoire du PP au scrutin de juillet prochain pourrait avoir des répercussions sur le déploiement du plan de relance et de résilience, sans pour autant en changer drastiquement les contours. Une nouvelle feuille de route a été finalisée par le gouvernement et envoyée à la Commission européenne début juin. Elle intègre désormais les EUR 90 mds de prêts européens accordés à l’Espagne dans le cadre du plan Next Generation EU, que les autorités espagnoles n’avaient pas encore sollicités. À ce stade, l’Espagne a reçu EUR 37,04 mds de subventions de la part du mécanisme européen, soit un peu plus de la moitié de l’enveloppe totale des subventions accordées au pays (EUR 69,51 mds).
Le retournement du marché immobilier pourrait s'amplifier
Le logement reste le maillon faible de l’économie espagnole. La remontée des taux d’emprunts – qui ont plus que doublé en un an, passant d’un taux moyen de 1,7% en avril 2022 à 3,8% en avril 2023 – a entraîné un début de retournement du crédit immobilier, encore limité toutefois au printemps. Depuis le début de l’année, les encours de prêts à l’habitat sont à nouveau en contraction en glissement annuel (g.a.), après un an et demi de légère progression. La baisse n’atteignait encore que 2,0% en avril, mais elle devrait accélérer au cours des prochains mois avec la poursuite de la hausse des taux d’intérêt attendue cet été. L’encours des crédits immobiliers en Espagne s’est contracté sans relâche entre 2012 et 2020, en ligne avec la longue phase de correction du marché immobilier. Cet encours se situe aujourd’hui près d’un quart inférieur au niveau atteint en 2010-2011.
Les effets du resserrement monétaire sur l’économie agissent avec un décalage1. Certains indicateurs devront ainsi être scrutés de près au cours des mois à venir. C’est notamment le cas des saisies immobilières (foreclosures). Si elles se maintiennent aujourd’hui à un niveau historiquement bas (5 168 au T1 2023 contre une moyenne historique [T1 20214-T1 2023] de 15 115) cela n’exclut pas pour autant une détérioration du crédit en cours : en Espagne, une procédure de recouvrement ne peut être lancée que si l’emprunteur échoue à rembourser ses mensualités pendant une période de trois mois. Les données actuelles (T1 2023) n’intègrent donc que partiellement la phase de remontée des taux d’intérêt débutée à l’été 2022, qui s’est poursuivie au printemps de cette année et se prolongera cet été.
La résistance du marché immobilier espagnol dépendra en grande partie de la capacité des ménages à endurer le choc inflationniste qui, bien qu’en net recul sur la première moitié de cette année (la progression de l’IPC a ralenti à 3,2% a/a en mai), a laissé des traces sur le pouvoir d’achat. Par ailleurs, l’indice des prix à la consommation de l’INE intègre l’évolution des loyers (plafonnée à 2% en 2023) mais pas celle des taux hypothécaires : il ne reflète donc pas toutes les conséquences de la remontée des taux hypothécaires sur le pouvoir d’achat des ménages. L’épargne accumulée par ces derniers durant les périodes de confinement s’est nettement réduite au cours de l’année 2022 sous l’effet de la hausse des prix et des taux ; elle est même repassée au second semestre sous le niveau enregistré à la même période en 2019 (EUR 25,7 mds contre EUR 27,1 mds, données Eurostat). Le second semestre 2023 s’annonce sur un fil, nos prévisions actuelles tablant sur une quasi-stagnation de l’activité (croissance nulle au T3 puis 0,1% t/t au T4).
Guillaume Derrien