Historiquement, on observe une corrélation très étroite entre les variations des rendements des Treasuries et du Bund allemand. Cela est pertinent dans le contexte actuel dans la mesure où le biais plus restrictif dans les messages récents de la Réserve Fédérale pourrait continuer à exercer une pression haussière sur les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et sur les rendements obligataires en zone euro. Depuis le début de l'année toutefois, l'augmentation des rendements du Bund est moins importante qu’attendu au regard de la relation statistique passée. Cette évolution reflète sans doute la conviction des investisseurs que la BCE commencera à baisser ses taux directeurs avant la Réserve Fédérale. Cette désynchronisation des politiques monétaires est attribuable à la différence significative entre la dynamique de désinflation. Par conséquent, les marchés ne sont pas surpris de voir la BCE annoncer une baisse prochaine de ses taux directeurs. En outre, le message de la BCE est crédible car il repose sur l'idée que jusqu'à présent la politique monétaire a permis de réduire l'inflation et de maintenir une trajectoire descendante qui la mènera vers son niveau cible. Une désinflation réussie permet donc d'amortir l’impact de la hausse des rendements des obligations d'État américaines sur les taux d’intérêt à long terme en zone euro.
En règle générale, on observe une corrélation étroite dans l’évolution des rendements à long terme des obligations d'État entre les différentes régions du monde.
Cette situation pourrait traduire la synchronisation de la croissance réelle, de l'inflation et de la politique monétaire, le rôle des fluctuations de l'appétit pour le risque - qui sont également fortement corrélées au niveau mondial - ainsi que les flux de capitaux entre les pays par les investisseurs en quête d'opportunités en matière de rendement.
Le graphique 1 illustre ce phénomène pour les rendements à 10 ans américains et allemands. Une corrélation très étroite apparaît dans les variations hebdomadaires entre ces deux marchés - les variations ayant le même signe dans environ 80 % des observations[1]. Toutefois, comme le montre le graphique 2, cette relation fluctue dans le temps. Historiquement, le bêta de la régression de la variation hebdomadaire des rendements allemands, en fonction de la variation hebdomadaire des rendements américains, a fluctué davantage pour le rendement à 2 ans que pour le 10 ans.
Cette situation peut être liée au fait que les perspectives de politique monétaire à court terme exercent une influence plus grande sur les rendements à 2 ans. Cette relation est soit marquée par une synchronisation élevée - ce qui correspond à un bêta élevé - soit par une synchronisation faible, auquel cas le bêta est faible.
Depuis 2014, le bêta pour les rendements obligataires à long terme a le plus souvent dépassé celui pour les rendements à court terme. Dans une large mesure, ce phénomène est lié à une politique monétaire stable et très accommodante, les taux ayant été maintenus à zéro aux États-Unis, et s’étant même situés en territoire négatif en zone euro pendant plusieurs années.
Une telle situation pèse sur le bêta pour les obligations à 2 ans, tandis que pour les obligations à 10 ans, les fluctuations de la prime de terme jouent un plus grand rôle.
La corrélation élevée entre les variations des rendements à long terme aux États-Unis et en Allemagne revêt une importance particulière dans le contexte actuel de changement de ton de la Réserve Fédérale. Jusqu'à récemment, le message de la Fed consistait à dire qu'elle serait bientôt suffisamment convaincue que l'inflation ne tarderait pas à se rapprocher durablement de l'objectif de 2 %.[2]
Toutefois, dans le contexte actuel de résilience de la croissance et de ténacité de l'inflation, le message a changé, le président de la Fed Jerome Powell soulignant qu’« il faudra vraisemblablement plus longtemps que prévu avant que les responsables de la Fed acquièrent la confiance nécessaire dans le fait que la croissance des prix s'oriente vers son objectif de 2 %, et décident alors d'abaisser les coûts d'emprunt ».[3] Ces commentaires expliquent l'évolution observée sur le marché des obligations d'État américaines où les rendements à 10 ans ont augmenté de 75 points de base depuis le début de l'année. Si la probabilité que la Réserve Fédérale s'abstienne d'abaisser ses taux cette année venait à croître, les rendements des obligations d'État américaines s'orienteraient sans doute à la hausse ce qui, compte tenu de la corrélation entre les marchés obligataires évoquée plus haut, pourrait exercer une pression à la hausse sur les rendements en zone euro.
Une telle évolution serait particulièrement inopportune dans la mesure où elle pourrait retarder la reprise économique en zone euro. Ces préoccupations sont donc tout à fait justifiées. Après tout, en Allemagne, le rendement sur le Bund 10 ans a augmenté de 46 pb depuis le début de l'année, quoique nettement moins qu’aux États-Unis. Cette hausse reflète en partie un réajustement des perspectives de politique monétaire, avec des baisses de taux plus tardives - en juin plutôt qu'en avril- et plus progressives. La hausse des rendements sur les obligations d'État américaines a sans doute également joué un rôle dans cette évolution, compte tenu de la corrélation historique entre les deux régions.
La hausse des rendements allemands, a-t-elle répondu aux attentes des investisseurs, compte tenu de la relation statistique qui prévaut entre les deux marchés obligataires et de la variation des rendements aux États-Unis ?
Le graphique 3 présente la différence entre la variation observée des rendements sur le Bund et l’évolution anticipée. Depuis quelques semaines, cette différence évolue de plus en plus en territoire négatif, ce qui implique que la hausse des rendements allemands a été plus limitée que prévu.
Ce phénomène reflète sans doute la conviction des investisseurs que la BCE commencera à abaisser ses taux directeurs avant la Réserve Fédérale.[4]
Cette désynchronisation des politiques monétaires est attribuable à une différence significative en matière d'inflation : elle continue à diminuer en zone euro tandis que la baisse s'est interrompue, au moins pour l'heure, aux États-Unis. Par conséquent, les marchés ne sont pas surpris de voir la BCE annoncer une baisse prochaine de ses taux directeurs[5]. En outre, les investisseurs considèrent qu'une telle position est justifiée : le message de la BCE est crédible dans la mesure où il repose sur l'idée que jusqu'à présent la politique monétaire a permis de réduire l'inflation et de maintenir une trajectoire descendante qui la ramènera vers son niveau cible. Une désinflation réussie permet donc d'amortir l’impact de la hausse des rendements des obligations d'État américaines sur les taux d’intérêt à long terme en zone euro.