L'indice de risque géopolitique, basé sur le nombre d'articles de journaux évoquant des bouleversements géopolitiques, a enregistré une forte hausse en octobre. Savoir si cela influence les décisions des ménages et des entreprises dépend, entre autres, de la réversibilité de ces décisions. Si l’on se fonde sur les recherches empiriques relatives aux conséquences d'une augmentation significative de l'incertitude, le récent bond de l'incertitude géopolitique fait craindre un impact direct et indirect - par l'incertitude des prix de l'énergie (pétrole, gaz) - sur les dépenses discrétionnaires des ménages et les décisions d'embauche des entreprises. Ces deux réactions pouvant se renforcer mutuellement. Étant donné que ces décisions sont facilement réversibles, cet impact pourrait être assez rapide. Par ailleurs, un impact progressif et retardé est possible si les plans d'investissement sont différés.
L'incertitude géopolitique a enregistré un bond ce mois-ci. Les dernières observations de l'indice de risque géopolitique, basé sur le nombre d'articles de journaux évoquant des bouleversements géopolitiques, se situent dans les deux centiles supérieurs de la distribution historique (graphique 1)[1]. Cela pose la question des conséquences économiques possibles en cas de maintien d’une incertitude élevée. L’un des principaux facteurs est la réversibilité (ou non) des décisions[2]. Lorsque l’annulation d’une décision antérieure représente un coût très élevé – comme pour le projet d’investissement d’une entreprise -, il est logique d’attendre que l’incertitude ait suffisamment reflué. Cependant, cela a aussi un coût. Le report d’un projet est synonyme de contribution manquée aux bénéfices de l’entreprise - le coût d’opportunité de l’attente – ce à quoi s’ajoute le risque de retard pris sur les concurrents s’ils auront mis en œuvre leurs plans d’investissement. Autrement dit, plus l’incertitude est susceptible de durer –la résolution de l’incertitude prendra beaucoup de temps -, moins une entreprise sera tentée de différer ses plans d’investissement. Cependant, la décision finale dépendra également de la perte de rentabilité attendue en cas d’issue négative et de la probabilité d’une telle issue.
Comme le montre la recherche empirique, l’incertitude géopolitique a un impact négatif sur l’économie. Ainsi aux États-Unis et pour la période allant de 1985 à 2019 « un choc de risque géopolitique induit une baisse persistante de l’investissement, de l’emploi, des cours des actions, avec le repli de l’activité dû à la menace comme à la réalisation d’événements géopolitiques défavorables »[3]. La rapidité avec laquelle ces conséquences se manifestent est importante du point de vue économique. On peut s’attendre à une réaction rapide des cours des actions en raison de l’augmentation de l’aversion au risque des investisseurs et de la prime de risque demandée. Celle-ci entraîne une diminution de la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs, devenus plus incertains. Les investisseurs en actions auront tendance à réagir rapidement à une telle augmentation en vendant une partie de leurs avoirs car, en cas de repli de l’incertitude, ils pourront facilement revenir sur leur décision du fait de la faiblesse des coûts de transaction. S’agissant des investissements des entreprises, il convient de distinguer entre les projets déjà lancés et les plans d’investissement. Les premiers seront probablement poursuivis, à moins que la perte attendue en cas d’issue défavorable soit considérable, tandis que les seconds peuvent ne pas être mis en œuvre, tout au moins pour le moment. En conséquence, l’impact négatif de l’incertitude sur les investissements de l’ensemble des entreprises, ainsi que sur la croissance économique, augmenterait progressivement. Les entreprises peuvent aussi réagir en prenant des décisions qui sont réversibles comme celles de recourir à des consultants, de revoir la taille des budgets de marketing ou d’ajuster recrutements et licenciements. D’après une étude menée par la Banque de la Réserve fédérale de Dallas[4], en période de forte incertitude macroéconomique – un concept, à l’évidence, plus large que celui de l’incertitude géopolitique – les entreprises américaines réduisent les embauches. Elles licencient aussi davantage, peut-être en raison de la hausse de l’épargne de précaution des ménages en réponse à une incertitude élevée et, par conséquent, de la baisse de leurs dépenses. « Face à une diminution de la demande, les entreprises peuvent estimer qu’il est plus facile de procéder à des ajustements de main-d’œuvre plutôt que du capital, dont les coûts pourraient être plus élevés ».
Dans la mesure où les entreprises investissent moins, la demande de main-d’œuvre reculerait également en raison de la complémentarité de ce facteur avec celui du capital. La recherche portant sur des entreprises européennes de 25 pays arrive à des conclusions similaires. Lorsque l'incertitude est plus importante, les entreprises ont tendance à réduire les embauches ou à ne pas renouveler les contrats temporaires. L’impact négatif de l’accroissement de l’incertitude sur le marché du travail peut influer sur les dépenses des ménages. Dans la zone euro, il existe une corrélation étroite et négative entre les plans d’embauche des entreprises et les anticipations de chômage des ménages (graphique 2). En conséquence, la décision des entreprises de différer leurs plans de recrutement du fait d’une augmentation de l’incertitude macroéconomique suscitera probablement l’inquiétude des ménages à l’égard des perspectives d’emploi, ce qui peut influencer leurs décisions de dépense et d’épargne. Une recherche récente a montré que « l’augmentation de l’incertitude conduit les ménages à réduire sensiblement leurs dépenses en biens et services non durables au cours des mois suivants ainsi que leurs achats de certains biens et services durables et de luxe »[5].
En conclusion, si l’on se fonde sur les recherches empiriques relatives aux conséquences d'une augmentation significative de l'incertitude, le récent bond de l'incertitude géopolitique fait craindre un impact direct et indirect -via l'incertitude des prix de l'énergie (pétrole, gaz)- sur les dépenses discrétionnaires des ménages et les décisions d'embauche des entreprises. Ces deux réactions pouvant se renforcer mutuellement. Étant donné que ces décisions sont facilement réversibles, cet impact pourrait être assez rapide. Par ailleurs, un impact progressif et retardé est possible si les plans d'investissement sont différés.