Edito

Banques centrales : pas de précipitation, pas d’inquiétude.

22/01/2024
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Christine Lagarde, présidente de la BCE, et Chris Waller, membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, lors d’interventions récentes, ont douché l’enthousiasme du marché sur le calendrier et le nombre des baisses de taux prévus cette année. Aux États-Unis, on estime qu’il n’y a pas lieu d’agir dans l’urgence ou de baisser les taux aussi rapidement que lors des cycles antérieurs, compte tenu de la bonne santé de l’économie. Dans la zone euro, malgré la baisse de l’inflation en 2023, les perspectives d’inflation restent incertaines, notamment en raison du rythme de croissance des salaires. En outre, on craint également que l’assouplissement des conditions financières, dû à des hypothèses de marché trop optimistes sur la trajectoire des taux directeurs, ne soit contreproductif du point de vue de la politique monétaire. La Réserve fédérale comme la BCE entendent ne pas prendre de décision à la légère concernant la date du début du cycle de détente monétaire. Il n’y a pas, toutefois, lieu de s’en inquiéter.

ÉTATS-UNIS

Verser un peu d’eau froide peut être un remède contre la surchauffe ! C’est ce qu’ont fait les autorités de la Réserve fédérale et de la BCE qui, dans des interventions et interviews récentes, ont douché l’enthousiasme du marché sur le calendrier et le nombre de baisses des taux cette année. Il n’en a pas fallu davantage pour entraîner un ajustement du marché aux Etats-Unis, désormais moins optimiste, tandis que l’effet en zone euro est resté très limité (graphiques 1 et 2). Aux États-Unis, Christopher Waller, membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, a qualifié la situation d’« aussi bonne que possible »[1], ajoutant que les données des derniers mois devraient permettre au FOMC d’envisager des baisses de taux en 2024. « Cependant, compte tenu des inquiétudes entourant le caractère durable de cette tendance, les changements d’orientation de la politique monétaire doivent être calibrés avec soin et sans précipitation ». De plus, poursuit-il, il n’y a aucune raison d’agir dans l’urgence ou de baisser les taux aussi rapidement que lors des cycles antérieurs compte tenu de la bonne santé de l’économie. Il s’agit là d’un message à peine voilé sur le positionnement excessif des marchés quant au début du cycle de détente monétaire et au nombre de baisses des taux cette année. Dans une interview accordée à Bloomberg lors du Forum économique mondial de Davos, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a également délivré un message en demi-teinte : les taux d’intérêt vont probablement baisser cette année mais pas avant cet été. Elle estime en effet qu’ « un niveau d’incertitude subsiste et que certains indicateurs ne sont pas ancrés au niveau auquel nous voudrions les voir »[2]. Dans une interview récente[3], Philip Lane, chef économiste de la BCE, a précisé le raisonnement de la Banque centrale européenne : des vents contraires demeurent pour l’inflation dans les services et les prix de l’énergie ne devraient pas reculer autant qu’en 2023. « Pour le moment, la croissance des salaires reste bien supérieure à n’importe quel taux d’équilibre à long terme » et « il faudra du temps pour bien apprécier s’il y a ou non un ralentissement des négociations salariales.”[4]

ZONE EURO

En insistant sur la baisse prochaine des taux mais selon une approche prudente et graduelle, les banques centrales cherchent à rassurer les ménages, les entreprises et les marchés financiers - une détente monétaire aura finalement lieu – tout en reconnaissant l’existence de nombreuses incertitudes entourant le processus de désinflation. Une normalisation prématurée de la politique monétaire risquerait de déclencher une nouvelle vague d’inflation et d’obliger les banques centrales à relever de nouveau les taux. Il est, par ailleurs, à craindre que la détente des conditions financières – due à des hypothèses trop optimistes des marchés sur la trajectoire des taux directeurs – ne soit contre-productive du point de vue de la politique monétaire. C’est ce qu’a récemment souligné Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE[5].

Pour conclure, la Réserve fédérale comme la BCE entendent ne pas prendre de décision à la légère concernant la date du début du cycle de détente monétaire. Il n’y a pas, toutefois, péril en la demeure. Après tout, les taux directeurs devraient être abaissés cette année. Tel était déjà le message de la représentation graphique des projections du taux cible des Fed Funds (dot plot) dans la synthèse des projections économiques du FOMC de décembre dernier et l’interview accordée par Christine Lagarde à Davos était aussi sans ambiguïté. Les investisseurs en produits de taux continueront d’intégrer dans les cours la possibilité d’une baisse intervenant plus tôt que prévu, mais ce pricing fluctuera en fonction des données et des commentaires des banques centrales. De même, il sera tentant de tabler sur une baisse rapide des taux par les banques centrales. Concernant la zone euro, Philip Lane a reconnu que le relèvement des taux de septembre dernier comportait un élément d’assurance, ajoutant : « j’en tiendrai pleinement compte, le moment venu, s’agissant de l’ampleur et du calendrier d’ajustement des taux vers une orientation de politique monétaire plus neutre ». Peut-être l’avenir nous réserve-t-il, après tout, d’heureuses surprises !


[1] C. Waller se réfère ici à la croissance du produit intérieur brut réel, attendue entre 1 % et 2 % au quatrième trimestre (croissance annualisée corrigée des variations saisonnières par rapport au trimestre précédent), au taux de chômage toujours inférieur à 4 % et à l’inflation sous-jacente des dépenses de consommation des ménages (PCE) proche de 2 % (chiffre annualisé) sur les six derniers mois. Source : Almost as Good as It Gets…But Will It Last?, Discours de Christopher J. Waller, membre du Conseil des gouverneurs du Système de la Réserve fédérale à la Brookings Institution, Washington, D.C., 16 janvier 2024.

[2]Source : Lagarde Says It’s Likely ECB Will Cut Rates in Summer, Bloomberg, 17 Janvier 2024.

[3] Source : BCE, Interview au Corriere della Sera. Entretien accordé par Philip R. Lane, membre du directoire de la BCE, à Federico Fubini, 13 janvier 2024.

[4] « Les données relatives aux comptes nationaux d’Eurostat comptent le jeu le plus complet de données. Celles concernant le premier trimestre ne seront pas disponibles avant la fin avril ».

[5] « Les indicateurs déterminants pour les perspectives de l’inflation sous-jacente sont l’évolution des salaires, des bénéfices et de la productivité. Du fait de la détente attendue de la politique monétaire, les conditions financières se sont plutôt assouplies qu’elles ne se sont resserrées ces derniers temps ». Source : BCE, séance de questions/réponses sur X (ex-Twitter), Interview d’Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, réalisée et publiée le 10 janvier 2024.

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