Il y a près d’un an, nous avions qualifié 2023 d’« année de transition, mais vers quoi? », car nous étions d’avis que l’inflation baisserait, que les taux d’intérêt officiels atteindraient leur pic et que le processus de désinflation pourrait être chaotique. 2023 a été pleine de surprises : la résilience du marché du travail aux États-Unis et dans la zone euro, l’ampleur du resserrement monétaire, l’appétit pour le risque des investisseurs. La performance de croissance de l’économie américaine s’est révélée la plus grande surprise. Vers la fin de l’année, l’évolution du message de la Réserve fédérale (et, dans une moindre mesure, de certains membres du conseil des gouverneurs de la BCE) sur les perspectives de politique monétaire, a apporté une nouvelle surprise favorable et une note d’espoir pour 2024.
Alors que l’année tire à sa fin, le moment est venu de regarder en arrière et de se projeter dans l’avenir. Nous ferons cette projection dans le premier numéro d’EcoWeek de 2024 pour consacrer cet édito à 2023. Il y a près d’un an, nous avions qualifié 2023 « d’année de transition mais vers quoi ?». Le mot « transition » traduisait notre conviction que l’inflation allait reculer tandis que les taux d’intérêt directeurs atteindraient leur pic cyclique. Une croissance atone – nous nous attendions à une récession pendant une partie de l’année aux États-Unis et dans la zone euro – ouvrirait la voie à plus de désinflation, à des baisses progressives des taux d’intérêt et à une reprise économique modeste en 2024. L’expression « transition mais vers quoi ? » évoquait l’idée que cette transition pourrait être plus chaotique que prévu en raison d’une nouvelle augmentation significative et durable du prix du gaz, d’une baisse plus lente que prévu de l’inflation ou d’un impact plus important qu’attendu des hausses de taux passées.
La comparaison entre prévisions et chiffres réels donne à réfléchir ; ce fut clairement le cas en 2023 pour certaines variables, comme le montre le tableau 1. La colonne ‘Décembre 2022’ correspond aux projections pour 2023, publiées en décembre 2022, et la colonne ‘Décembre 2023’ aux estimations pour 2023, publiées ce mois-ci. Concernant les données sur la croissance et l’inflation, elles correspondent aux moyennes annuelles attendues à l’exception de la synthèse des projections économiques de la Réserve fédérale, qui présente les variations en pourcentage entre le quatrième trimestre de l’année précédente et le quatrième trimestre de l’année indiquée. Les prévisions de taux d’intérêt sont pour la fin de l’année civile. Si la croissance dans la zone euro a été morose, nos prévisions étaient à l’évidence trop négatives tandis que la prévision d’inflation globale rejoint notre toute récente estimation[1]. Malgré une baisse, l’inflation s’est maintenue bien au-dessus de la cible, obligeant la BCE à resserrer sa politique monétaire davantage que prévu. Les anticipations du marché à la fin de 2022 ont également sous-estimé l’action de la BCE (graphique 1). Les projections des services de la BCE présentent une erreur de prévision négligeable pour la croissance du PIB mais aussi une forte surestimation de l’inflation (6,3 % contre 5,4 %). Aux États-Unis, l’inflation est ressortie en léger retrait par rapport à nos prévisions et à celles des membres du FOMC[2].
La Réserve fédérale a mené une politique plus restrictive que prévu par les membres du FOMC, le marché (graphique 2) et par nous-mêmes. L’erreur de prévision la plus importante concerne la croissance du PIB aux États-Unis : il y a un an, la projection médiane des membres du FOMC s’établissait à 0,5 %, contre 2,6 % aujourd’hui. Notre prévision était alors de -0,1 % contre 2,4 %, selon notre estimation actuelle. Ces chiffres témoignent de la résilience remarquable de l’économie américaine dans un environnement de hausse des taux d’intérêt et de conditions de crédit plus restrictives. Il existe plusieurs explications possibles à cette très bonne surprise de la croissance. Les crédits hypothécaires à taux fixe protègent les ménages contre l’augmentation des charges d’intérêts sur l’encours de leur dette hypothécaire. Par ailleurs, la majeure partie de la dette des sociétés non financières est constituée d’obligations d’entreprises à taux fixe, émises avant 2022, de sorte que le taux d’intérêt moyen sur la dette reste faible[3]. Ces deux facteurs ont pour effet de ralentir la transmission de la hausse des taux d’intérêt à l’économie réelle. La vigueur du marché du travail joue également un rôle. Même si le rythme des offres d’emploi a marqué le pas, il demeure bien supérieur à la moyenne de long terme. Le taux de chômage reste très faible et la rétention de la main-d’œuvre par les entreprises a limité l’augmentation du taux de licenciement lorsque la croissance a ralenti après la très forte reprise initiale post-Covid-19[4]. À ces facteurs s’ajoute l’excédent d’épargne accumulée pendant la pandémie de Covid-19, qui, cette année, a dopé les dépenses des ménages, moins soucieux de serrer les cordons de la bourse.
Autre surprise : le mode « risk-on » des investisseurs, qui ont gardé un appétit élevé pour le risque. Malgré la hausse des taux d’intérêt directeurs, les principaux indices boursiers ont affiché de solides performances tandis que les spreads des obligations d’entreprise restent étroits. Les investisseurs ont probablement été rassurés par la résilience de la croissance économique américaine et par celle du marché du travail aux États-Unis comme dans la zone euro. Alors que les taux directeurs convergent vers leur valeur terminale, les marchés se mettent de plus en plus à se projeter au-delà du pic, anticipant les baisses de taux à compter du printemps 2024. Le changement de ton de la Réserve fédérale et, dans une moindre mesure, de certains membres du Conseil des gouverneurs de la BCE est venu conforter ce scénario. L’année 2023 se termine donc sur une bonne surprise et sur une note d’espoir pour 2024[5].