Dans les quatre zones couvertes (États-Unis, zone euro, Royaume-Uni, Japon), la progression des salaires se maintient au-dessus de l’inflation, ce qui soutient les gains de pouvoir d’achat des ménages mais contribue, Japon mis à part, à maintenir l’inflation dans les services à des niveaux élevés. Les indices de pressions sur les prix (page 19) et les prix à la production remontent modérément.
Aux États-Unis, le rapport IPC pour le mois de mai montre des signes encourageants de désinflation. L’indice hors produits alimentaires, énergie et logement, est repassé sous la barre des 2% en glissement annuel, une première depuis mars 2021. Cela reflète essentiellement la plus forte déflation s’exerçant sur les biens durables, et notamment les véhicules de seconde main (-9,3% a/a contre -6,9% le mois précédent), tandis que l’inflation dans les services était en léger recul mais toujours élevée, à 5,2% contre 5,3% en avril. Les anticipations d’inflation des ménages à moyen terme (1 an) et long terme (5 ans) se sont toutes deux recalées sur le niveau de l’inflation observée (page 21).
En zone euro, l’inflation connait une légère reprise, en hausse de 2,4% a/a en avril à 2,6% en mai, avec un rebond particulièrement marqué au Portugal (+1,5 pp, à 3,8%), Chypre (+0,9 pp, à 3,0%) et dans une moindre mesure en Allemagne (+0,4 pp, à 2,8%) et en Espagne (+0,4 pp, à 3,8%). À l’inverse, l’inflation recule en Lettonie (-1,1 pp, à 0,05%), en Grèce (-0,8 pp, à 2,4%) et en Croatie (-0,4 pp, à 4,3%). La BCE prendra également bonne note de l’évolution légèrement favorable de l’indice PCCI, passé d’un glissement annuel de 1,8% en avril à 1,7% en mai, même si, à l’inverse, la médiane pondérée a rebondi de 2,5% à 2,8%. La mesure « supercore » est stable à 2,9% a/a (page 9). Si les prévisions d’inflation de moyen et long terme de la part des prévisionnistes sont assez proches du niveau observé actuellement, celles des ménages restent nettement au-dessus (page 22).
L’inflation au Royaume-Uni a fait un retour remarqué à la cible, retombant à 2% en mai, à la faveur notamment d’une déflation plus forte sur l’énergie. Le Royaume-Uni est d’ailleurs la seule économie des quatre grands blocs à bénéficier encore de cet effet, alors qu’aux États-Unis, en zone euro et au Japon, des pressions inflationnistes émergent à nouveau sur cette composante (page 6). Cet effet favorable devrait perdurer cet été, en raison de la baisse programmée de 7,2% du plafond sur les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, qui fait suite à la diminution de 12,3% actée en avril. Les biens durables sont le second poste de déflation (-3,8% a/a), tirés à la baisse essentiellement par les véhicules d’occasion (-11,2%) et les gros appareils électroménagers (-7,5%). L’inflation sous-jacente a aussi reflué, à 3,5%, mais l’inflation dans les services reste soutenue (5,7%).
Au Japon, l’inflation se replie de nouveau, après un léger rebond cet hiver. La hausse de l’IPC total a fléchi de 2,7% a/a en mars à 2,5% en avril, soit le même rythme que la mesure sous-jacente (hors produits alimentaires périssables et énergie). L’augmentation annuelle des prix alimentaires, qui contribuait en avril à hauteur de plus d’un tiers (1,1 point de pourcentage) à l’inflation totale, se tasse toutefois à 4,3%. En revanche, les anticipations de marché, reflétées par le point mort d’inflation, ainsi que les anticipations des ménages remontent, tout comme les salaires de base, qui ont franchi la barre des 4% en glissement annuel en avril (page 27).
Graphique du mois : Zone euro : l’importance du triptyque salaires-marges-productivité
Depuis quelques temps, afin de suivre la trajectoire de la désinflation dans la zone euro et de s’assurer des conditions de sa progression, la BCE se dit attentive au triptyque salaires-marges-productivité, anticipant une modération des premiers, une compression des secondes et un redressement de la dernière. Or, les données disponibles récentes relatives aux salaires et à la productivité, ne sont pas encore pleinement encourageantes. Les gains de productivité horaire du travail continuent, en effet, d’évoluer en territoire négatif (baisse de 0,3% en glissement annuel au T1 2024 d’après les données de la BCE), avec, pour point positif toutefois, un recul moins marqué que lors des trois trimestres précédents. Quant à la rémunération par employé, elle a progressé de 5% sur un an au T1 2024, marquant une légère accélération par rapport au T4 2023 (4,9% a/a). S’il existe une inflexion par rapport aux rythmes des trois premiers trimestres de 2023, supérieurs à 5%, elle reste à confirmer.
Les marges des entreprises sont particulièrement au centre de l’attention. À la faveur des circonstances particulières de la période postpandémique (fort rebond de la demande, fortes contraintes d’offre), les entreprises ont, globalement, regagné du pricing power : la montée concomitante importante, en 2021 et sur une partie de 2022, des composantes des PMI relatives aux prix des intrants et aux prix de vente en est une illustration (cf. graphiques page 18 de notre baromètre).
La contribution significative des profits unitaires à la progression du déflateur du PIB, en 2022 et au premier semestre de 2023, comme on peut le voir sur le graphique, en est une autre. Cela a alimenté la problématique d’une « greedflation », d’une inflation par les profits. Il faut toutefois prêter attention au biais haussier introduit par les disparités sectorielles importantes derrière ce résultat agrégé. Il semblerait également que le phénomène n’ait été que transitoire, la contribution des profits unitaires à l’inflation étant en nette diminution au second semestre 2023, avant de quasiment disparaître en 2024, selon les anticipations de la BCE. Nous sommes en ligne avec cette prévision : il est probable que les entreprises prendront sur leurs marges pour absorber la hausse des coûts unitaires du travail. L’ampleur de cette compression et sa contribution effective à rapprocher davantage l’inflation de la cible restent à confirmer, alors que les pressions haussières sur les coûts unitaires du travail, via le dynamisme des salaires et la faiblesse des gains de productivité, demeurent élevées.