Edito

Économie mondiale : vieillissement de la population, croissance des salaires et inflation

11/09/2023
PDF

Les chercheurs s’accordent généralement sur un point : le vieillissement de la population est préjudiciable à la croissance économique car la population en âge de travailler diminue. Leurs avis sont plus partagés concernant son impact sur l’inflation qui dépend, entre autres, du comportement de consommation et d’épargne de chaque âge. Les évolutions salariales vont jouer un rôle clé. Une baisse de la population active pourrait créer des goulets d’étranglement structurels sur le marché du travail dans certains secteurs, déclencher une « guerre des talents » et obliger les entreprises à verser des salaires plus élevés et à augmenter leurs prix de vente, avec des répercussions possibles sur le reste de l’économie. Cela montre l’importance des politiques d’offre visant à augmenter la croissance potentielle du PIB et évitant d’amener la banque centrale à recourir, face au défi de l’inflation, à un resserrement de la politique monétaire qui amputerait la croissance réelle.

Les chercheurs s’accordent généralement sur un point : le vieillissement de la population est préjudiciable à la croissance économique. Une étude récente montre qu’aux États-Unis entre 1980 et 2010, il a entraîné une diminution du taux de croissance du PIB par habitant de 0,3 point de pourcentage par an[1]. On peut supposer que cette tendance se poursuivra.

D’après les conclusions pour la zone euro d’une étude réalisée par la Commission européenne, et citée dans un document de la BCE, « le vieillissement de la population devrait avoir un effet modérateur sur la croissance potentielle »[2]. L’hypothèse de la Commission est que la diminution de la population en âge de travailler (graphique1) « ne sera pas significativement compensée par l’immigration et par une nouvelle augmentation du taux d’activité ». Elle s’attend néanmoins à ce que la productivité totale des facteurs constitue le principal moteur de la croissance potentielle à moyen terme[3].

Zone euro : part de la population de 15 à 64 ans

Les avis sont plus partagés concernant l’impact du vieillissement de la population sur l’inflation. En effet, celui-ci dépend, entre autres facteurs, de l’évolution des dépense par rapport à la production, compte tenu des différences de comportement de consommation et d’épargne entre les tranches d’âge.[4]Les évolutions salariales peuvent aussi être un facteur important : une baisse de la population active peut créer des goulets d’étranglement structurels sur le marché du travail, déclencher une « guerre des talents », accroître le pouvoir de négociation des salariés, obligeant les entreprises à verser des salaires plus élevés et à augmenter leurs prix de vente. C’est l’un des canaux par lesquels le vieillissement de la population peut, au travers du marché du travail, influer sur l’inflation (schéma 1).

Vieillissement et croissance des salaires

Pour approfondir l’analyse de ces facteurs, nous pouvons tout d’abord poser l’hypothèse que la population totale en âge de travailler est constante. Les retraités sont remplacés par de nouveaux entrants sur le marché du travail, par les immigrés, par des personnes décidant de travailler plus longtemps, ainsi que par une hausse du taux d’activité. Dans un tel scénario, un impact négatif sur l’inflation ne serait pas exclu. En effet, comme les seniors perçoivent un salaire plus élevé, si une cohorte plus âgée est remplacée par une autre plus jeune, le niveau de salaire moyen baisse. Cette diminution de la base de coûts des entreprises pourrait, sous l’effet des pressions de la concurrence, entraîner une baisse des prix de vente. Une hausse potentielle de la productivité, due à la modification de la structure par âge de la population active, pourrait aussi avoir un effet désinflationniste. D’un autre côté, la hausse plus rapide des salaires en début de carrière limiterait l’impact lié aux écarts de revenu salarial[5] ; et les salariés plus âgés travaillant plus longtemps, la masse salariale des entreprises ne baisserait pas.

Une autre hypothèse, plus réaliste, repose sur la diminution de la population en âge de travailler, entraînant des goulets d’étranglement structurels sur le marché du travail dans de nombreux secteurs, voire la plupart. Une telle situation pousserait les salaires à la hausse, les entreprises s’efforçant de débaucher le personnel d’entreprises concurrentes ou des salariés aux compétences comparables venus d’autres secteurs. C’est ainsi que les pressions à la hausse des salaires dans un secteur donné s’étendraient à d’autres sans que ces derniers ne souffrent de problèmes de recrutement du même ordre. L’alourdissement de la masse salariale obligerait les entreprises à augmenter leurs prix de vente – si l’environnement concurrentiel le leur permet -, créant ainsi un autre canal de contagion avec le reste de l’économie. Qu’en est-il de la possibilité inverse, d’une main d’œuvre disponible excédentaire dans certains secteurs ? Cela pourrait-il contrebalancer l’effet inflationniste des tensions sur la main d’œuvre susmentionnées ? C’est très improbable étant donné la rigidité à la baisse des salaires nominaux. De plus, il s’agit plutôt là, semble-t-il, d’une question d’ordre spéculatif : un certain nombre d’éléments montrent que les pénuries de main-d’œuvre sont déjà très nombreuses.

Pour conclure, la baisse de la population en âge de travailler peut, par divers canaux, exercer des pressions à la hausse sur l’inflation. Le fait qu’il existe plusieurs canaux accroît le risque que cette possibilité théorique devienne réalité. C’est pourquoi les politiques d’offre s’imposent afin d’atténuer ce risque : meilleure adéquation entre les compétences (celles demandées par les entreprises et celles offertes par les demandeurs d’emploi), augmentation du taux d’activité, mise en œuvre d’incitations à travailler plus longtemps, politique en faveur d’une immigration qualifiée, stimulation de la productivité. Cela permettrait non seulement de renforcer la croissance potentielle, mais aussi d’éviter que la banque centrale ne soit obligée, face au défi de l’inflation, de resserrer sa politique monétaire, ce qui amputerait la croissance réelle.

William De Vijlder


[1] Source : Nicole Maestas, Kathleen J. Mullen, David Powell, The Effect of Population Aging on Economic Growth, the Labor Force, and Productivity, American Economic Journal: Macroeconomics, avril 2023.

[2] Source : The macroeconomic and fiscal impact of population ageing, publication occasionnelle de la BCE, n°296, juin 2022.

[3] Il existe un désaccord sur l’impact du vieillissement de la main-d’œuvre sur la productivité. L’étude mentionnée en note de bas de page 1 conclut à un effet négatif aux États-Unis.

[4] Au risque de simplifier à l’excès, les jeunes générations épargnent en vue de constituer un patrimoine financier suffisant pour leur retraite tandis que les retraités présentent un taux d’épargne faible, voire négatif.

[5] « Les modifications de la structure par âge de l’emploi peuvent par conséquent avoir des effets significatifs sur la croissance des salaires. Les différents niveaux de salaire semblent être le principal canal par lequel ces effets s’exercent, dans la mesure où le salaire horaire moyen d’un salarié âgé de 60 ans ou plus est supérieur de plus de 50 % à celui d’un salarié de moins de 30 ans. Le fait que la croissance des salaires tende à se ralentir avec l’âge agit dans le sens opposé. Toutefois, cet effet a tendance à être plus graduel et il est par conséquent souvent moins important, notamment en périodes de fortes fluctuations conjoncturelles des taux d’activité ou de l’emploi entre les différentes tranches d’âge ». Source : Offre de main-d’œuvre et croissance de l’emploi, Bulletin économique de la BCE, numéro 1 / 2018.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Baromètre
PMI services et PMI manufacturier : l’écart s’est considérablement réduit

PMI services et PMI manufacturier : l’écart s’est considérablement réduit

Selon son estimation finale, l’indice PMI composite S&P Global de l’activité mondiale s’est replié pour le septième mois consécutif en août [...]

LIRE L'ARTICLE
Scénario économique
Scénario économique du 11 septembre 2023

Scénario économique du 11 septembre 2023

Croissance, inflation, taux d'intérêt et taux de change [...]

LIRE L'ARTICLE