Le Conseil des gouverneurs de la BCE a surpris en décidant à la fois d’une hausse de 50 points de base de son taux d’intérêt, d’abandonner la forward guidance et que les données le guideront à l’avenir dans ses décisions de resserrement monétaire. Cela pourrait traduire un appréhension de la banque centrale à propos de la rapidité avec laquelle l’économie de la zone euro pourrait réagir à la remontée des taux et des incertitudes entourant les livraisons de gaz l’hiver prochain. L’autre décision importante de la réunion du 21 juillet a été l’introduction de l’instrument de protection de la transmission (IPT) pour contrer un élargissement injustifié des spreads souverains qui pèserait sur la transmission de la politique monétaire. La dépendance aux données des futures hausses de taux d’intérêt et le flou entourant les critères d’activation de l’IPT pourraient conduire à une hausse de la volatilité des taux d’intérêt et des spreads souverains, les investisseurs s’efforçant de comprendre la fonction de réaction de la BCE.
La réunion de la BCE, jeudi 21 juillet, était très attendue en raison de l’anticipation d’un relèvement des taux directeurs et du dévoilement de l’instrument destiné à contrer l’élargissement injustifié des spreads souverains. Ce dernier s’est vérifié : un «?instrument de protection de la transmission?» (IPT) a bel et bien été introduit. En revanche, concernant les taux d’intérêt, les décisions prises lors de la réunion nous ont propulsés dans une nouvelle ère : le taux de rémunération des dépôts n’est plus négatif et la forward guidance (indications sur les orientations futures de la politique monétaire) a été abandonnée.
La comparaison entre les déclarations de politique monétaire lors des réunions de juin et de juillet (voir tableau 1) montre dans quelle mesure le message a changé. L’intention en juin était de relever les taux de 25 points de base (pb) en juillet, mais, en fin de compte, le Conseil des gouverneurs a décidé d’une hausse de 50 pb, au vu des risques pesant sur l’inflation et du «?soutien accru que l’IPT apportera en termes de transmission efficace de la politique monétaire?». Ce nouvel instrument pourra être activé en cas de réaction disproportionnée des spreads à une remontée des taux directeurs plus importante que prévu. En juin, les indications sur les orientations futures de la politique monétaire étaient très claires : un nouveau relèvement des taux d’intérêt directeurs de la BCE était prévu lors de la réunion de septembre et une augmentation plus importante sera peut-être appropriée. Au-delà de septembre, «?une séquence progressive, mais durable de hausses supplémentaires des taux d’intérêt sera appropriée?», mais cela «?dépendra des données à venir et de notre évaluation de la trajectoire d’inflation à moyen terme?».
Le nouveau message est le suivant : il faudra poursuivre la normalisation des taux — autrement dit, les taux restent trop bas — mais les décisions futures seront dépendantes des données et seront prises selon une approche réunion par réunion[1]. La notion de «?séquence durable?» a été supprimée, ce qui peut traduire un sentiment de malaise à l’égard de la rapidité avec laquelle l’économie de la zone euro pourrait réagir à la remontée des taux, ainsi que des conséquences de l’incertitude sur les approvisionnements en gaz au cours de l’hiver.
Dans un environnement de hausse des taux, la forward guidance permet de piloter les anticipations de taux d’intérêt des opérateurs du marché. Comme elle est désormais abandonnée, l’attention se portera essentiellement sur l’orientation neutre, en d’autres termes, à quel moment les taux atteindront-ils un niveau «?normal?»?? Pour connaître la réponse à cette question, il faudra attendre. Christine Lagarde a en effet rétorqué à un journaliste qui l’interrogeait à ce sujet : «?si vous me demandez ensuite “En quoi consiste une orientation neutre??”, je n’en ai, pour l’heure, aucune idée?». Il est, certes, difficile d’estimer le niveau neutre des taux directeurs, mais en l’absence de forward guidance, il sera utile de fournir une fourchette pouvant servir de référence aux opérateurs du marché pour former leurs anticipations[2].
L’autre décision importante de la réunion a été l’introduction de l’instrument de protection de la transmission (IPT). Son déploiement se fondera sur une évaluation en trois volets. Premièrement, le Conseil des gouverneurs se posera la question de savoir, au vu d’un ensemble d’indicateurs, si l’évolution des spreads apparaît injustifiée compte tenu de fondamentaux propres au pays concerné. Deuxièmement, il s’interrogera sur l’éligibilité[3] du pays concerné et, enfin, il se prononcera sur la proportionnalité des achats – dont l’ampleur n’est pas limitée ex-ante – compte tenu de la menace pesant sur la transmission de la politique monétaire.
Concernant les critères d’éligibilité, le Conseil des gouverneurs prendra en compte les quatre catégories, mais il décidera «?souverainement sur l’éligibilité à l’IPT?». Le nouvel instrument devrait assurer au Conseil des gouverneurs «?une plus grande efficacité dans l’exécution de son mandat de maintien de la stabilité des prix?»[4]. Le Conseil des gouverneurs a expliqué lors de la conférence de presse ce qu’il entend par là : l’introduction de l’IPT a permis de procéder à un relèvement plus important qu’indiqué lors de la réunion de juin. Avec l’IPT, le Conseil des gouverneurs dispose désormais de trois instruments pour influencer le comportement des spreads souverains, les deux autres consistant dans la flexibilité du réinvestissement des remboursements des titres arrivant à échéance, détenus au sein du portefeuille du programme d’achats d’urgence (pandemic emergency purchase programme, PEPP), et le programme d’opérations monétaires sur titres (Outright Monetary Transactions, OMT). Chaque instrument a sa logique propre, comme indiqué dans le tableau 2.
Malgré l’importance de ces décisions, la réaction du marché a été de courte durée. Les rendements du Bund ont bondi à l’annonce d’un relèvement de 50 pb, mais ils ont reflué ensuite (graphique 1). Curieusement, compte tenu des caractéristiques de l’IPT[5], l’écart de taux entre les obligations d’État italiennes et allemandes s’est sensiblement creusé pendant la conférence de presse, puis il s’est replié (graphique 2). Le marché actions a affiché un comportement erratique (graphique 3), grimpant à l’annonce de la remontée des taux, pour reculer pendant la conférence de presse et rebondir plus tard. Enfin, sans surprise, l’euro a fait un bond à la suite de la décision de procéder à un relèvement des taux plus important que prévu, mais ce mouvement a été de courte durée, comme un rappel de l’environnement cyclique et des risques qui pèsent sur la monnaie unique européenne (graphique 4).