La nécessité d’un nouveau cadre légal
L’UE est fermement opposée à répliquer le passeport européen au motif que cela offrirait au secteur financier britannique les avantages du marché unique sans en supporter les coûts. À moins que le Royaume-Uni ne rejoigne l’EEE aussitôt après avoir quitté l’UE - un scenario envisagé par certains europhiles mais rejeté par une partie des Brexiters en vertu de l’indépendance du Royaume-Uni - le Brexit devrait priver 8 008[13] entreprises britanniques disposant d’au moins un passeport européen de leur faculté d’échanger librement des services financiers avec les 30 autres pays de l’EEE et d’y implanter des succursales. Réciproquement, les 5 476 entreprises du reste de l’EEE y perdront beaucoup également compte tenu de l’importance du Royaume-Uni en matière de services financiers. Ainsi, les acteurs bancaires originaires du reste de l’EEE devront-ils rapatrier leurs vendeurs. Les banques du Royaume-Uni et celles issues de pays tiers utilisant jusqu’alors Londres comme tête de pont pour échanger avec l’EEE devront, quant à elles, passer par des filiales implantées au sein des 30 autres pays de l’EEE.
La continuité des contrats devrait être assurée
Immédiatement après le Brexit, la plupart des contrats conclus auparavant entre le Royaume-Uni et l’EEE demeureront valides jusqu’à leur échéance, même en cas de hard Brexit comme l’ont indiqué le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP), l’European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA), et l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR).
Les autorités européennes et britanniques ont déjà pris des initiatives en ce sens pour les activités de compensation et d’assurances. Afin de garantir la stabilité financière, la Commission européenne (CE) a ainsi consenti un sursis de 12 mois aux chambres de compensation établies outre-Manche pour continuer de servir leurs clients de l’EEE en cas de Brexit sans accord[14]. La BoE estime par ailleurs que les quelque GBP 55 mds de contrats d’assurance conclus entre les parties britanniques et du reste de l’EEE auraient pour l’essentiel déjà été transférés au sein de l’UE (ce qui consiste, le plus souvent, à subroger à la partie britannique l’une de ses filiales établies dans l’UE) afin d’assurer leur viabilité. En tout état de cause, ils seront couverts par deux accords de principes (Memorandum of Understanding - MoU) signés par les superviseurs britanniques et du reste de l’EEE pour favoriser la coopération en matière de surveillance, d’application des règles et d’échange de l’information dans le secteur de l’assurance. Ils n’entreront en vigueur qu’en cas de hard Brexit.
Il en va de même pour les trois MoU conclus entre l’Autorité européenne des valeurs mobilières et des marchés (European Securities and Markets Authority - ESMA) et la FCA :
- Le premier porte sur la supervision des agences de notation et des registres de données (trade repo) et permettra à l’ESMA de continuer à assurer ses missions.
- Le deuxième MoU couvre l’échange d’informations entre la FCA et les superviseurs nationaux de l’UE sur des sujets tels que la surveillance des marchés ou la gestion d’actifs. Il permettra la poursuite des activités de gestion de fonds déléguée, pour le compte d’agents de l’EEE, par des entités établies au Royaume-Uni.
- Enfin, un troisième MoU a trait à la reconnaissance des chambres de compensation et des dépositaires centraux installés au Royaume-Uni afin de minimiser le choc d’un éventuel hard Brexit le 12 avril 2019 pour les marchés. Il permet également aux dépositaires centraux britanniques de continuer à traiter les titres irlandais.
Avec ou sans accord, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers
En sortant de l’UE, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers et sera confronté à d’importantes barrières commerciales en matière de services financiers. Ses entreprises devront, après la perte de leurs passeports européens, se soumettre aux régimes d’équivalence existant sur certains segments de marché si elles souhaitent continuer à échanger avec l’EEE ou à y exercer une activité directement sans y établir de filiale. Pour les autres activités, les relations entre le Royaume-Uni et l’EEE seront régies à titre principal par les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à moins qu’un accord bilatéral sur le sujet ne soit conclu.
Plusieurs mois durant, la City de Londres a milité pour que les échanges de services financiers postérieurs au Brexit obéissent au principe de reconnaissance mutuelle[15], qu’elle considérait être une solution intermédiaire entre le passeport européen et le régime d’équivalence. Theresa May a cependant fait le choix de ne pas porter cette revendication dans son Livre blanc du 12 juillet 2018. Elle lui a préféré une équivalence élargie, arguant que cette dernière serait cohérente avec l'indépendance juridique du Royaume-Uni, d'une part, et de l'UE, d'autre part, et qu’elle serait, en outre, facilement réalisable et contribuerait à rassurer les marchés. Cette proposition n’a jusqu’à présent pas suscité l’adhésion de l’UE et rien n’a été divulgué s’agissant de la portée opérationnelle des élargissements envisagés.
En novembre 2018, une déclaration politique émanant des chefs d’Etat britannique et européens portant sur l’avenir des relations entre l’UE et le Royaume-Uni était publiée en même temps que le projet d’accord sur le retrait du Royaume-Uni. Le secteur financier y était évoqué a minima à travers quatre principes :
- La préservation de la stabilité financière, de l’intégrité du marché, de la protection des investisseurs et des consommateurs, ainsi que celle de la juste concurrence.
- Le respect de l’autonomie respective des parties sur le plan réglementaire, sur celui des prises de décisions ainsi que des décisions d’équivalence en fonction de leurs intérêts.
- L’engagement des parties à une collaboration étroite en matière de régulation et de supervision des agents internationaux.
- L’étude des décisions d’équivalence dès le retrait du Royaume-Uni de sorte qu’elles soient conclues d’ici à fin juin 2020, sachant que le retrait des équivalences doit être transparent.
Le principe d’équivalence est propre à chaque acte juridique et doit être approprié au marché concerné[16]
Lorsqu’ils existent, les régimes d’équivalence sont élaborés par la Commission européenne avec la contribution de l’EBA, de l’EIOPA et de l’ESMA[17] selon le domaine d’activité concerné. L’approche de la Commission pour accorder ou non l’équivalence repose sur une comparaison de l’esprit et des résultats du cadre légal en vigueur dans l’UE, d’une part, et dans le pays tiers, d’autre part. En théorie, la transposition directe et exacte de la législation européenne dans le droit d’un pays tiers ne garantit pas l’obtention d’un régime d’équivalence. Les décisions d’octroi des équivalences ne sont donc pas cantonnées à l’étude de critères mécaniques. À travers l’octroi d’équivalences, la Commission européenne cherche, en effet, à évaluer le risque auquel ses agents économiques s’exposeraient en échangeant avec des agents financiers issus de pays tiers. C’est pourquoi elle estime pouvoir se montrer particulièrement stricte dans ses décisions d’équivalence au bénéfice du Royaume-Uni compte tenu de l’importance du secteur financier britannique et de l’exposition au risque que cela implique pour les agents de l’EEE.
Les régimes d’équivalence sont calqués sur les différents passeports européens et supposent une concordance des exigences prudentielles et des supervisions entre l’UE et le pays tiers considéré
Les régimes d’équivalence sont très hétérogènes, voire inexistants pour certaines activités financières (à l’instar de la banque de détail, des prestations de service d’investissement, etc.). En pratique, les entreprises britanniques devront s’acquitter de démarches auprès des autorités de supervision européennes et/ou nationales selon le type d’activité qu’elles souhaiteront exercer (cf. tableau 1). Les régimes d’équivalence applicables aux pays tiers sont partiels puisqu’ils ne confèrent pas nécessairement les mêmes droits que le passeport européen, et ils sont parfois géographiquement limités selon qu’ils ont été accordés par la Commission européenne ou un des Etats membres. Enfin, les équivalences peuvent être retirées à tout moment – moyennant un préavis de 30 jours – dès lors que l’autorité qui les a accordées estime que le pays bénéficiaire s’est éloigné de la réglementation européenne. Le législateur européen a récemment souligné la nécessité de s’orienter vers une harmonisation des pratiques au sein des Etats membres compte tenu de l’interconnexion croissante et déjà élevée entre marchés financiers.
Les activités d’assurance (sous passeports IMD et Solvency), d’une part, et celles relatives aux instruments financiers (sous passeport MiFID), d’autre part, comptabilisent le plus d’entreprises opérant sous passeport. Elles pourraient bénéficier d’un régime d’équivalence partiel accordé par la Commission européenne à l’issue du Brexit. Une partie des activités dépendant des passeports IMD et MiFID pourront perdurer à l’échelle de l’EEE (sous condition d’acceptation par les autorités européennes compétentes) mais il est probable que de nombreux contrats d’assurance doivent être délocalisés vers le pays de résidence du client. Par ailleurs, certaines activités bancaires ne sont pas couvertes par un régime d’équivalence, à l’instar du secteur de la banque de détail[18].
Le principe des régimes d’équivalence suppose un socle de règles communes qui contribue au bon fonctionnement des marchés financiers. Il requiert donc une concordance des exigences prudentielles et de la supervision d’un pays avec celle du pays dans lequel il sollicite une équivalence. En pratique, cela suppose que les exigences prudentielles et la supervision bancaire et financière appliquées par le Royaume-Uni ne s’écartent pas sensiblement de celles de l’UE. C’est là un point d’achoppement entre le Trésor britannique (Treasury) et la BoE, le premier souhaitant se rapprocher de l’esprit européen en la matière afin d’augmenter la probabilité d’obtenir des équivalences, la seconde souhaitant défendre ses prérogatives. C’est aussi le motif invoqué par l’UE pour rejeter la proposition d’équivalence élargie de Theresa May, arguant qu’elle lierait trop la réglementation de l’EEE à celle du Royaume-Uni.
Le Royaume-Uni conserverait un cadre réglementaire proche de celui de l’UE
Le Treasury entend s’appuyer sur une grande enquête réalisée auprès des parties prenantes du secteur pour déterminer s’il convient de continuer de se conformer au cadre réglementaire de l’UE en matière de services financiers ou, au contraire, de s’en éloigner. Jusqu’à présent, le projet britannique semblait plutôt s’orienter vers le maintien d’une proximité vis-à-vis du cadre européen, ne serait-ce que pour garantir la continuité des opérations. Ainsi le Treasury s’emploie-t-il à travers ses « instruments statutaires » (Statutory Instruments – SI) à retirer du droit britannique les références aux textes et superviseurs de l’Union européenne par exemple. Par ailleurs, une loi a été adoptée en faveur d’un régime temporaire d'autorisation et de reconnaissance grâce auquel les agents de marché de l'EEE pourront exercer au Royaume-Uni durant trois ans à condition d’obtenir le renouvellement de l’autorisation chaque année. Enfin, la PRA a réformé son approche de supervision et d’accréditation des banques, organismes d’assurances et chambres de compensation de l’EEE de sorte que
leurs succursales non systémiques (dont les actifs, y compris intragroupes, s’élèvent à moins de GBP 15 mds) devront déclarer leurs activités pour continuer de les exercer.
Les institutions de crédit issues de pays tiers désirant fournir des services bancaires de détail au sein de l'EEE doivent en faire la demande à chaque pays concerné à moins que cela ne fasse l'objet de négociations avec la Commission européenne.
Autorisation accordée par les autorités compétentes de l'Etat membre dans lequel l'agent d’un pays tiers souhaite exercer, uniquement sur le territoire de cet Etat membre ou dans l'ensemble de l'Espace Economique Européen selon l'autorisation sollicitée (et les conditions à remplir).
Dans tous les cas, l’autorisation ne concerne qu’une partie des activités de FIA et la Commission européenne doit adopter ces autorisations en s’en remettant à l'avis de l'ESMA.
Dans ce contexte, les acteurs financiers établis dans l’EEE pourront continuer à opérer au Royaume-Uni à travers leurs succursales, mais ils devront s’adapter à la perte du passeport européen par les Britanniques, par exemple en rapatriant leurs vendeurs au sein de l’EEE.
Inquiétudes écartées pour les activités de compensation
En septembre 2009, les chefs d’Etat du G20 ont émis le souhait que toutes les transactions réalisées sur produits de type dérivés standardisés soient prises en charge par une chambre de compensation, comme cela était déjà le cas pour les transactions réalisées sur les marchés organisés. Dans l’Union européenne, cela s’est traduit par l’élaboration du règlement EMIR (cf. tableau 1) et a favorisé le développement des chambres de compensation.
Le Royaume-Uni, premier marché mondial dans les dérivés OTC
Les marchés des dérivés font l’objet de différentes enquêtes de la Banque des Règlements Internationaux (BRI). Ses enquêtes triennales sont les plus vastes puisqu’elles portent sur 54 pays à travers le monde et estiment le montant des transactions journalières sur OTC à USD 9 553 mds en 2016 (montant notionnel) pour les seuls dérivés de change et dérivés de taux (cf. graphique 6).
Plus fréquentes, ses enquêtes semestrielles portent sur 13 pays à travers le monde permettent d’estimer à USD 36,1 trillions l’encours des dérivés de type OTC en 2016 (valeur de marché). 39% du marché était alors compensé par des chambres de compensation (62% si on raisonne en montants notionnels – cf. graphique 7).