Zone euro : une norme assouplie temporairement… avant son entrée en vigueur
En septembre[1], le SSM, en sa qualité de superviseur unique, a annoncé qu’il autorisait les banques de la zone euro, placées sous sa supervision directe, à exclure du calcul du ratio de levier les espèces (pièces et billets) et réserves détenues auprès de l’Eurosystème (les dépôts constitués dans le cadre de la facilité de dépôt et les soldes détenus sur les comptes de réserve de l’Eurosystème, y compris les réserves obligatoires)[2]. Cette décision a été prise après que le superviseur unique a établi, après consultation de la BCE (en tant qu’autorité monétaire), l’existence de «?circonstances exceptionnelles?» justifiant cette exclusion. Les banques bénéficieront de cet assouplissement à partir du 30 septembre 2020 et jusqu’au 27 juin 2021, veille de l’entrée en vigueur effective de la contrainte de levier. Le superviseur unique se réserve la possibilité de prolonger cette exclusion au-delà de juin 2021, moyennant un éventuel recalibrage de l’exigence. À ce jour, dans l’Union européenne, la norme de levier ne constitue pas, en effet, une exigence contraignante (encadré 1). Elle fait en revanche l’objet d’une obligation de déclaration et de publication. Or, cette contrainte de publication a fait émerger une exigence implicite de marché, au niveau du calibrage minimal recommandé dès 2011 par le Comité de Bâle (3%). Sur la base des données à fin mars 2020, la BCE estime que cette exclusion aurait augmenté le ratio de levier agrégé des banques « significatives » (soit 112 banques au T1 2020) d’environ 30 points de base, de 5,36% à 5,66%. Au T2 2020, l’amélioration du ratio se serait élevée à 42 points de base selon nos calculs, de 5,32% à 5,74%[3]. Outre son caractère temporaire, l’incidence de cet assouplissement devrait ainsi être moindre que celle estimée pour les très grandes banques américaines (cf. infra)[4].
États-Unis : un assouplissement plus favorable aux holdings bancaires qu’aux filiales de dépôts
Une amélioration de 120 points de base des ratios de levier des 8 G-SIB américaines
Aux États-Unis, l’exigence de levier bâloise SLR (Supplementary Leverage Ratio, traduction dans la loi américaine de la norme bâloise)[5] a été assouplie au moyen de deux règles[6] :
- la règle finalisée en novembre 2019, d’abord, exclut de la définition de l’exposition de levier, des banques spécialisées dans la conservation et la gestion de titres, une partie de leurs réserves excédentaires détenues en banque centrale[7] (l’équivalent de la part des dépôts clientèle liée à ces activités). Cette exclusion concerne non seulement leurs avoirs auprès de la Réserve fédérale (Fed) mais également ceux auprès des banques centrales des autres pays de l’OCDE. La règle est applicable depuis le 1er avril 2020. Pour prétendre à la qualification de «?custodial banking organization[8]?» et être éligible à cet assouplissement, une holding bancaire doit afficher un ratio des actifs en conservation rapportés à ses actifs totaux d’au moins 30 pour 1 (en moyenne sur les quatre derniers trimestres). Cet assouplissement a permis une amélioration sensible des ratios SLR de Bank of New York Mellon (BONY) et State Street au T2 2020 (de 270 et 260 points de base respectivement). Les autres G-SIB américaines ont bénéficié de manière inégale de cette disposition, selon leur profil d’activités. Dans l’ensemble, la règle de novembre 2019 a réduit, en moyenne, de 11% l’exposition de levier des 8 G-SIB américaines et accru de 78 points de base leur ratio SLR moyen. En l’absence de cette exclusion, le ratio SLR moyen des G-SIB se serait établi à 6,2% contre 7%, tel que publié (tableau 1 et graphique 1).
- la règle temporaire finalisée en avril 2020, ensuite, exclut les titres du Trésor et les réserves auprès de la Fed de la définition de l’exposition de levier pour l’ensemble des holdings bancaires américaines soumises au ratio de levier bâlois. La règle est applicable du 1er avril 2020 au 31 mars 2021. Considérée isolément, la règle d’avril 2020 a permis, selon nos calculs[9], et en moyenne, de réduire de 14% l’exposition de levier des 8 G-SIB et d’améliorer de 100 points de base leur ratio SLR. Dans l’ensemble, le bénéfice lié à l’exclusion des dépôts auprès de la Fed serait comparable à celui associé à l’exclusion des Treasuries. À l’échelle individuelle, en revanche, des disparités sont perceptibles (tableau 2).
Les bénéfices liés à chacune des deux règles ne sont pas cumulables puisqu’une partie des réserves susceptibles d’être exclues, en vertu de la règle d’avril 2020, le sont également selon la règle de novembre 2019. Nous avons estimé, sur la base des informations disponibles, le bénéfice maximum tiré de ces deux assouplissements pour chacun des établissements.
Dans l’ensemble, les règles de novembre 2019 et d’avril 2020 auraient, selon nous, permis de réduire de 18% l’exposition de levier des 8 G-SIB et accru de 124 points de base leur ratio SLR moyen (tableau 3 et graphique 1). Au T2 2020, la marge avec l’exigence minimale (à 5% pour les G-SIB américaines) s’établissait, en moyenne, à 202 points de base ; elle se serait établie à 78 points de base en l’absence des assouplissements introduits (soit 124 points de base plus bas).
À de rares exceptions, les institutions de dépôts n’ont pas exclu leurs réserves et Treasuries du calcul de leur ratio
Si l’exclusion provisoire des réserves et titres du Trésor de l’exposition de levier (règle d’avril 2020) est automatique dans le cas des holdings bancaires, cette exclusion est optionnelle dans le cas des institutions de dépôts. En mai, les régulateurs américains ont en effet étendu la nouvelle méthode de calcul du SLR à l’ensemble des institutions de dépôt présentant des bilans supérieurs à USD 250 mds (banques de catégories dites « II » et « III ») ou filiales d’une G-SIB américaine, à la condition préalable, toutefois, qu’elles soumettent leur programme de distribution de dividendes (y compris intra groupe) à l’approbation de leurs superviseurs. Si le fait d’opter pour la nouvelle règle présente un intérêt indéniable au regard de l’exigence prudentielle de levier (les filiales de dépôt des G-SIB portent généralement à leur bilan l’essentiel des réserves en banque centrale des groupes consolidés, or leur exigence minimale de levier est plus sévère, fixée à 6%), il est aussi de nature à contrarier les versements de dividendes des filiales de G-SIB à leur holding (et donc de la holding vers ses actionnaires[10]).
Aussi, parmi les institutions de dépôts, filiales de G-SIB, seule Goldman Sachs Bank a opté pour une modification de la définition de son exposition de levier (améliorant ainsi de 220 points de base son ratio SLR au T2 2020, graphique 2). Les filiales de dépôt de BONY et State Street font également figures d’exception puisqu’elles ont largement bénéficié de la révision de novembre 2019 (les filiales de dépôts des holdings bancaires désignées comme custodial banks peuvent, à l’instar de leurs maisons mères, exclure une partie de leurs réserves excédentaires en banque centrale).
Grâce à ces trois exceptions (GS Bank, The Bank of New York Mellon et State Street Bank), le ratio SLR des principales filiales de dépôts des 8-GSIB ne s’est détérioré que de 20 points de base en moyenne entre le T4 2019 et le T2 2020. Le ratio moyen s’établissait au T2 2020 à 78 points de base au-dessus de l’exigence minimale (6%).
Des marges de manœuvre limitées
Bien que les assouplissements introduits améliorent mécaniquement les ratios de levier, les contraintes de bilan demeurent fortes.
Depuis la mi-mars, les bilans bancaires se sont en effet sensiblement élargis. Les tirages sur les engagements confirmés de crédit et l’octroi de prêts garantis, dans le cadre des dispositifs mis en place par les autorités publiques, ont stimulé les encours de crédits inscrits à l’actif des bilans bancaires. Or, bien que la fraction des prêts bénéficiant d’une garantie publique soit assortie, comme les réserves en banque centrale, d’une pondération en risque nulle (pour le calcul des ratios de fonds propres pondérés des risques), elle compte à part entière dans le calcul de l’exposition de levier.
Les banques ont, en outre, vu leur stock de réserves en banque centrale s’accroître considérablement suite à l’amplification des mesures de politique monétaire. Or, les révisions introduites ne prévoient qu’une exclusion temporaire des réserves du calcul de l’exposition de levier (hormis la règle américaine dédiée aux custodial banks). Le caractère durable des réserves créées, à défaut d’une franche réduction du bilan des banques centrales (peu probable à court terme), justifierait pourtant leur exclusion du dénominateur du ratio de levier pour une période prolongée.
Enfin, l’appréciation du score de systémicité des grandes banques demeurera fonction de leur exposition de levier globale (c’est-à-dire non corrigée des réserves). La croissance des bilans bancaires, consécutive aux mesures de soutien exceptionnelles mises en place en faveur des entreprises, pourrait dès lors se traduire, en fin d’année, par une augmentation des scores G-SIB, et donc par un renforcement des exigences de fonds propres CET1. Des efforts de rationalisation des bilans seront alors nécessaires.
Vers un relèvement des surcharges G-SIB ?
Aux États-Unis, la règle d’avril 2020 prévoit explicitement de neutraliser l’effet des exclusions appliquées à l’exposition totale pour le calcul de la surcharge G-SIB. Dans la zone euro, le superviseur unique n’évoque pas le sujet de la surcharge G-SIB, suggérant ainsi un alignement sur la position américaine. En d’autres termes, à défaut d’une révision de la règle SLR américaine et du règlement européen d’ici la fin d’année (voire d’une recommandation préalable du Comité de Bâle en ce sens), l’appréciation de l’importance systémique des banques et la détermination de leurs surcharges de capital demeureront fondées sur leurs expositions totales, c’est-à-dire les réserves en banque centrale comprises (et les Treasuries dans le cas des banques américaines).
Des scores de systémicité accrus…
Aux États-Unis, la méthode de calcul des scores G-SIB permet d’apprécier leur évolution trimestrielle (encadré 2). Au T1 2020, les scores globaux de systémicité des G-SIB américaines, à l’exception notable de Wells Fargo (dont la croissance de bilan est plafonnée[11]) et de Morgan Stanley, se sont accrus. Le score global de JP Morgan, en particulier, a augmenté de 100 points de base au cours du trimestre, contre 56 points de base un an plus tôt, en raison d’une forte progression de son score de complexité[12] et de ses créances et engagements transfrontières.
Sur la base des données du T2 2020, publiées le 22 septembre dernier, les scores de JP Morgan, Bank of America, Citigroup et Goldman Sachs pourraient changer de tranches en fin d’année, ce qui supposerait une augmentation de 50 points de base de leurs surcharges (de 3,5% à 4% pour JPM, de 3% à 3,5% pour Citigroup, de 2,5% à 3% pour BoA et GS, graphique 3). Seuls 2 points de base séparent le score actuel de State Street de celui qui délimite la tranche supérieure (de 1,5%).
… mais des marges de manœuvre pour éviter un relèvement des surcharges d’ici 2023
En pratique, deux options s’offrent aux établissements américains pour éviter le relèvement de leur surcharge G-SIB[13]. La première solution consisterait à réduire leur score global au cours du dernier trimestre de l’année 2020. C’est en effet le score calculé au T4 qui détermine le montant de la surcharge G-SIB. Or, les indicateurs de complexité, d’interdépendance et d’activité transfrontière sont appréciés sur la base des encours au 31 décembre de l’exercice[14].
Au regard de l’expérience passée, la plupart des G-SIB devraient être en mesure d’éviter une augmentation de leur surcharge. Seul le score de JP Morgan semble trop éloigné du seuil délimitant la tranche inférieure (de 65 points de base, alors que la baisse maximale réalisée en un seul semestre au cours des trois dernières années n’a jamais excédé 42 points de base). La banque a d’ailleurs déclaré que sa surcharge serait probablement plus élevée en fin d’année. La reclassification d’une partie de son portefeuilles de titres en catégorie « détenus jusqu’à échéance » devrait, selon elle, lui permettre de minimiser son exigence de capital CET1 en réduisant son Stress Capital Buffer et en compensant ainsi l’effet de la hausse éventuelle de sa surcharge G-SIB.
La seconde solution consisterait, pour les banques américaines, à minimiser leur score global à la fin 2021. Lorsque le score global d’une GSIB s’accroît et franchit un seuil délimitant deux tranches (sur la base des données en fin d’année n), la nouvelle surcouche ne s’applique en effet que deux ans après l’annonce du franchissement de seuil (annoncée en novembre de l’année n+1, applicable au 1er janvier de l’année n+3). En d’autres termes, l’éventuelle augmentation de la surcharge G-SIB de JP Morgan à 4%, fondée sur les données 2020, ne serait pas effective avant le 1er janvier 2023. En revanche, lorsque la diminution du score global est suffisante pour justifier une baisse de la surcharge, la nouvelle surcouche s’applique un an après l’annonce du franchissement de seuil (annoncée en novembre de l’année n+1, applicable au 1er janvier de l’année n+2). Autrement dit, des mesures ciblées de réduction du score global à la fin 2021 pourraient permettre à JP Morgan de maintenir inchangée sa surcharge G-SIB au 1er janvier 2023 à 3,5%.
Au regard de l’expérience passée, la plupart des G-SIB devraient être en mesure d’éviter une augmentation de leur surcharge. Seul le score de JP Morgan semble trop éloigné du seuil délimitant la tranche inférieure (de 65 points de base, alors que la baisse maximale réalisée en un seul semestre au cours des trois dernières années n’a jamais excédé 42 points de base). La banque a d’ailleurs déclaré que sa surcharge serait probablement plus élevée en fin d’année. La reclassification d’une partie de son portefeuille de titres en catégorie « détenus jusqu’à échéance » devrait, selon elle, lui permettre de minimiser son exigence de capital CET1[15] en réduisant son Stress Capital Buffer[16] et en compensant ainsi l’effet de la hausse éventuelle de sa surcharge G-SIB.
La seconde solution consisterait, pour les banques américaines, à minimiser leur score global à la fin 2021. Lorsque le score global d’une GSIB s’accroît et franchit un seuil délimitant deux tranches (sur la base des données en fin d’année n), la nouvelle surcouche ne s’applique en effet que deux ans après l’annonce du franchissement de seuil (annoncée en novembre de l’année n+1, applicable au 1er janvier de l’année n+3). En d’autres termes, l’éventuelle augmentation de la surcharge G-SIB de JP Morgan à 4%, fondée sur les données 2020, ne serait pas effective avant le 1er janvier 2023. En revanche, lorsque la diminution du score global est suffisante pour justifier une baisse de la surcharge, la nouvelle surcouche s’applique un an après l’annonce du franchissement de seuil (annoncée en novembre de l’année n+1, applicable au 1er janvier de l’année n+2). Autrement dit, des mesures ciblées de réduction du score global à la fin 2021 pourraient permettre à JP Morgan de maintenir inchangée sa surcharge G-SIB au 1er janvier 2023 à 3,5%.