Edito

BCE : remédier à un élargissement injustifié des spreads

17/07/2022
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La réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE de jeudi prochain est très attendue. La décision de relever les taux ayant fait l’objet d’une annonce préalable, la question sera de savoir si le nouvel outil destiné à contrer l’élargissement injustifié des spreads souverains sera dévoilé. Si la justification d’un tel instrument est bien admise, sa conception et son utilisation soulèvent plusieurs questions. La réponse à l’une d’elles est facile. Pour éviter de remettre en cause l’orientation de la politique monétaire, les achats d’obligations par la banque centrale devront être neutralisés. Répondre aux suivantes est plus complexe. À quel seuil faut-il considérer que l’élargissement du spread devient « injustifié » ? Une fois ce seuil atteint, la BCE doit-elle se montrer claire ou rester ambiguë quant à sa réaction ? La dernière question relève de l’aléa moral et, par conséquent, de la conditionnalité. Lorsque la BCE intervient pour remédier à l’élargissement injustifié du spread, que sont censés faire les gouvernements à leur tour en termes de politique budgétaire ?

La réunion du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), qui se tiendra jeudi prochain, est très attendue. La décision de relever les taux ayant fait l’objet d’une annonce préalable, l’attention se focalisera sur l’ajustement éventuel des orientations futures de la politique monétaire dans un contexte de dégradation des données d’enquête.

Le plus important reste, néanmoins, de savoir si le nouvel instrument destiné à contrer l’élargissement injustifié des spreads souverains sera divulgué. Le but de ce dispositif (Transmission Protection Mechanism : mécanisme de protection de la transmission) [1] est de lutter, au sein de la zone euro, contre le risque de fragmentation pouvant découler d’une déconnexion entre les spreads des obligations d’État et leurs fondamentaux.

En mars dernier, Christine Lagarde avait affirmé que le Conseil des gouverneurs se tenait prêt à « utiliser une large gamme d’instruments pour lutter contre la fragmentation », ajoutant : « si nécessaire, nous pouvons concevoir et déployer de nouveaux instruments pour assurer la transmission de la politique monétaire pendant que nous mettons en œuvre sa normalisation »[2]. L’élargissement significatif des spreads souverains en juin a suscité un sentiment d’urgence et amené le Conseil des gouverneurs de la BCE à tenir une réunion ad hoc, le 15 juin, pour débattre de la situation des marchés.

À l’issue de cette réunion, le Conseil a réaffirmé qu’il ferait preuve de flexibilité dans le réinvestissement des remboursements [arrivant à échéance] au sein du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Program, PEPP) et annoncé sa décision « de charger les comités compétents de l’Eurosystème ainsi que les services de la BCE d’accélérer la conception d’un nouvel instrument de lutte contre la fragmentation qui sera soumis à l’examen du Conseil des gouverneurs »[3].

Il est primordial de lutter contre les risques de fragmentation pour éviter qu’une hausse excessive des rendements obligataires dans certains pays ne nuise à la transmission de la politique monétaire, entraînant un cercle vicieux et une dynamique déstabilisante. Cependant, la conception et l’utilisation de cet instrument – qui doit encore faire l’objet d’une annonce – nécessitent de répondre à quelques questions préalables. Premièrement, à partir de quel moment, un élargissement des spreads est-il considéré comme injustifié ? La réponse à cette question est d’autant plus délicate que des années de rachats d’actifs ainsi que la pandémie de Covid-19 et les mesures prises en conséquence par la BCE (PEPP) ont influencé les différentiels de taux d’intérêt entre les pays de la zone euro.

De plus, l’élargissement récent des spreads a eu lieu dans un contexte de remontée des taux allemands, considérés comme sans risque (graphique 1)[4] et utilisés pour cette raison comme référence au sein de la zone euro. D’après des travaux récents de la Banque d’Italie, « un niveau de spread inférieur à 150 points de base entre les obligations italiennes et allemandes correspondrait actuellement à des valorisations conformes aux fondamentaux macroéconomiques, tandis que des niveaux supérieurs à 200 points de base ne seraient pas justifiés »[5].

ÉCART DE RENDEMENT EN 2022

Cela nous amène à la deuxième question : la BCE doit-elle être claire ou ambigüe dans sa fonction de réaction ? Dans le premier cas, cela impliquerait qu’elle communique sur des seuils – comme celui de 200 points de base, selon les calculs de la Banque d’Italie, pour le spread BTP-Bund – dans le but de ralentir les spéculations à l’approche de ce niveau, les investisseurs pouvant alors craindre l’imminence d’une intervention de la BCE. Cependant, la réaction opposée n’est pas exclue, les investisseurs pouvant aussi tester la détermination de la banque centrale à défendre un certain écart de taux.

Cela militerait en faveur du maintien d’une certaine ambiguïté, sachant qu’il faudra s’attendre inévitablement à des questions lors de la conférence de presse qui suit les réunions du Conseil des gouverneurs. La fonction de réaction ne concerne pas seulement le niveau de seuil des écarts de taux mais aussi, dans le cas où le spread dépasserait ce seuil, la rapidité avec laquelle la banque centrale serait prête à le ramener en deçà de ce niveau.

Enfin, quelle est la fréquence de communication appropriée à propos des interventions sur le marché ? Aux termes du programme d’opérations monétaires sur titres (Outright Monetary Transactions, ou OMT) – instrument introduit en septembre 2012 après le célèbre discours de Mario Draghi en juin de cette même année, mais qui n’a jamais été utilisé (graphique 2) –, le total des avoirs et leur valeur de marché devaient être publiés toutes les semaines et les détails par pays, tous les mois[6]. Une communication fréquente à propos du seuil et de l’intervention des marchés serait le signe d’une forte détermination de la part de l’institution, mais cela supposerait aussi que les décisions prises soient suivies d’effet. A défaut, il y aurait un problème de crédibilité qui ne ferait qu’aggraver la situation.

ÉCART DE RENDEMENT EN 2012

La troisième question concerne les conséquences monétaires. Les achats d’obligations par la banque centrale impliquent la création de monnaie banque centrale (high-powered money). De telles opérations devront être neutralisées si elles devaient remettre en cause l’orientation de la politique monétaire, pendant le cycle de hausse des taux directeurs par exemple. Aux termes du programme OMT, ces opérations auront également été neutralisées/contenues ?

La question finale porte sur l’aléa moral et, par conséquent, sur la conditionnalité. Lorsque la BCE intervient pour faire face à l’élargissement injustifié du spread, les finances publiques des pays ciblés en bénéficient -une augmentation significative du coût d’emprunt est évitée, ce qui soulève la question suivante : que sont les gouvernements censés faire à leur tour en termes de politique budgétaire ?[7] Joachim Nagel, président de la Bundesbank, s’est récemment déclaré favorable à la mise en place d’un mécanisme de rachat d’obligations, inspiré de celui de l’OMT, pour éviter de donner « l’impression de décourager l’assainissement des politiques budgétaires »[8][9].

Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, en revanche, a noté en février de cette année, qu’en raison de l’effet de stigmatisation, l’institution était réticente à recourir à un programme MES, mais que le programme Next Generation EU avait montré que la conditionnalité était possible sans effets de stigmatisation trop marqués[10].

Ce message a récemment été repris par son collègue Fabio Panetta, qui a insisté sur le fait que le PEPP et Next Generation EU « montrent clairement qu’il existe d’autres possibilités qui impliquent la flexibilité et la coopération, plutôt que la confrontation, entre l’Europe et ses États membres»[11]. Le débat au sein du Conseil directeur sera probablement intense.


[1] Sources pour l’intitulé de ce nouvel instrument : ECB Tool Has Name, But Arrival on July 21 Seems Uncertain, site Bloomberg, 7 juillet 2022 ; Yannis Stournaras de la BCE : We will agree on transmission protection mechanism, Reuters, 7 juillet 2022.

[2] Source : Monetary policy in an uncertain world, discours de Christine Lagarde, Présidente de la BCE, à la vingt-deuxième édition de la conférence « La BCE et ses observateurs », Francfort-sur-le-Main, 17 mars 2022.

[3] Source : BCE, Déclaration à l’issue de la réunion ad hoc du Conseil des gouverneurs de la BCE, 15 juin 2022.

[4] Pour plus de détails voir : Comment quantifier un élargissement injustifié des spreads, Ecoweek, BNP Paribas, 20 juin 2022 ; Comment quantifier un élargissement injustifié des spreads (2ème partie), Ecoweek, BNP Paribas, 27 juin 2022.

[5] Source : Banque d’Italie, Bulletin économique, 3/2022, juillet. La juste valeur du spread est calculée à l’aide d’un modèle de régression de panel, qui inclut les principaux pays de la zone euro. Les variables explicatives sont les niveaux d’endettement en pourcentage du PIB, les anticipations de croissance à court et moyen terme et les anticipations d’inflation à moyen terme, ainsi que le taux de chômage.

[6] Source : BCE, Caractéristiques techniques des opérations monétaires sur titres, 6 septembre 2012.

[7] Absence of fiscal consolidation would influence the warranted spread -as shown in the calculations by the Bank of Italy mentioned in footnote 5, the debt level influences the spread- but it could also increase the likelihood of speculative attacks.

[8] L’absence d’assainissement budgétaire influerait sur l’écart justifié -comme le montrent les calculs de la Banque d’Italie mentionnés dans la note de bas de page 5, le niveau d’endettement influe sur l’écart- mais elle pourrait également accroître la probabilité d’attaques spéculatives.

[9] Source : ECB should model new bond scheme on old one, Nagel says, Reuters, 11 juillet 2022.

[10] Source : BCE, entretien avec La Stampa, entretien avec Fabio Panetta, membre du Comité exécutif de la BCE, mené par Marco Zatterin, 5 mai 2022.

[11] Source : BCE, entretien avec le Financial Times, entretien avec isabel Schnabel, membre du Comité exécutif de la BCE, mené par Martin Arnold le 14 février et publié le 15 février 2022.

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