Le déclenchement de l’offensive militaire russe en Ukraine, le jeudi 24 février dernier, focalise encore davantage l’attention sur la réunion de la BCE du 10 mars prochain et complique plus encore la tâche de la banque centrale. Nous nous intéresserons, en premier lieu, à l’ampleur de la révision en hausse de ses projections d’inflation. Cette révision devrait être importante compte tenu des derniers chiffres disponibles, toujours plus élevés (5,8% en février en glissement annuel selon l’estimation flash d’Eurostat, 2,7% pour le sous-jacent) et des développements en cours, alors qu’en décembre 2021, la BCE prévoyait une inflation à 3,2% en moyenne annuelle en 2022, puis à 1,8% en 2023 et 2024. Les nouvelles projections la maintiendront-elle au-dessus de la cible de 2% en 2024 ? Ce sera l’autre point important à surveiller puisqu’il donnera une idée du degré de confiance de la BCE dans sa capacité à atteindre cet objectif et dans la réunion des conditions pour amorcer la remontée de ses taux d’intérêt.
Du côté de la croissance, l’attention se portera sur l’ampleur de la révision en baisse des prévisions. Pour mémoire, en décembre, la BCE tablait sur 4,2% de croissance en moyenne annuelle en 2022, 2,9% en 2023 et 1,6% en 2024. Le choc économique engendré par cette guerre paraît absorbable par la zone euro pour le moment, compte tenu de la dynamique conjoncturelle préexistante (à l’image, par exemple, du taux de chômage tombé à 6,8% en janvier [un plus bas historique et des bons chiffres des enquêtes sur le climat des affaires en février) et des très probables nouvelles mesures de soutien budgétaire engagées pour l’amortir. Son ampleur est toutefois très incertaine et difficile à évaluer. Ce n’en est pas moins un choc négatif, dont une des premières traductions est l’exacerbation des tensions déjà à l’œuvre sur l’offre, les chaînes d’approvisionnement et les prix. Un ou deux trimestres de recul du PIB ne sont pas à exclure. Selon Philip Lane, économiste en chef de la BCE, le conflit pourrait ôter entre 0,5 et 1 point à la croissance de la zone euro en 2022.
Pour la Banque centrale européenne, cela constitue un nouveau changement de donne et de pied, et entraîne un éloignement du débat portant sur l’accélération de la normalisation de sa politique monétaire face au risque inflationniste, qui montait avant le déclenchement du conflit (date de fin de l’APP puis de la première hausse de taux, nombre de hausse dès 2022). Le choc inflationniste est en train de s’amplifier, de même que ses conséquences négatives pour la croissance : les craintes sur celle-ci reprennent de l’importance par rapport à celles concernant l’inflation, la balance entre les risques baissiers (sur la croissance) et haussiers (sur l’inflation) se rééquilibre en faveur des premiers et plaide pour une temporisation de la BCE. Optionalité et flexibilité, prudence et gradualisme et dépendance aux données sont de nouveau de mise. La BCE n’est pas adepte du pré-engagement mais on sait, par la voix de Christine Lagarde, le 25 février, que « la BCE se tient prête à faire tout ce qui sera nécessaire pour assurer la stabilité des prix et la stabilité financière dans la zone euro ».
Notre scénario central prévoit l’arrêt du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) en mars et une prise de relais par le programme d’achats d’actifs (APP), avec un montant mensuel d’achats de EUR 40 mds au T2, abaissé ensuite à EUR 20 mds sans date de fin. Notre scénario d’une première hausse du taux de dépôt, de 25 points de base dès septembre, paraît désormais peu probable. Il reste néanmoins possible qu’il y en ait une d’ici la fin de l’année, surtout si les tensions s’atténuent.
Hélène Baudchon