La hausse spectaculaire des prix de l’énergie depuis avril 2021 constitue le principal levier de la flambée actuelle de l’inflation en zone euro. Cette hausse s’est accentuée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier, entraînant la composante « énergie » de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui a crû de 44,4% a/a en mars 2022.
Les gouvernements des quatre principales économies de la zone euro se sont mobilisés pour tenter d’amortir le choc pour les acteurs économiques, en particulier sur le pouvoir d’achat des ménages, via différentes mesures : subventions directes, baisses de taxes, réglementation des prix ou revalorisation des revenus. Toutefois, si ces actions ont nettement atténué la hausse du coût de l’énergie, elles n’ont pas empêché une diffusion de l’inflation aux autres postes de l’indice des prix à la consommation. Et si la baisse du pouvoir d’achat des ménages anticipée en 2022 s’en trouve limitée, elle n’est pas évitée.
Les prix de l’énergie constituent le principal facteur de la flambée de l’inflation en zone euro, malgré des différences significatives entre pays
L’énergie contribue majoritairement à la croissance des prix à la consommation en zone euro. En mars 2022, la composante « énergie » de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) augmentait de 44,4% en glissement annuel (cf. graphique 2). Sachant que les ménages y dédient en moyenne 11% de leurs dépenses de consommation, l’énergie contribuait à hauteur des deux tiers (65,6%) à l’inflation totale en mars 2022, un chiffre global qui masque toutefois des disparités importantes entre les principaux pays de la zone euro (cf. graphique 3). Ce chiffre excédait 70% en Italie (73,6%) et en Espagne (72,3%), où les prix de l’énergie sont en hausse de 50% sur un an.
La contribution est inférieure en Allemagne (59,7%) et en France (60,3%), en raison d’une croissance des prix de l’énergie presque deux fois plus faible que dans les pays d’Europe du Sud.
En avril 2022, la composante « énergie » a progressé légèrement moins vite (+38% sur un an contre 44% en mars) mais elle contribue toujours à plus de la moitié de l’inflation totale (55,3%). Sous l’hypothèse que les prix internationaux de l’énergie ne repartent pas à la hausse, le poids de cette composante devrait progressivement se réduire en raison des effets de second tour et d’une plus forte poussée de l’inflation hors énergie.
Les écarts de contribution de l’énergie à l’inflation entre les pays s’expliquent notamment par les différentes dynamiques des sous-indices de la composante « énergie » et par les différences de poids de ces sources dans les dépenses de consommation des ménages. En zone euro, l’électricité se démarque parmi les facteurs de la hausse de l’indice des prix (cf. tableau 1). Les ménages sont doublement frappés : à travers l’effet prix mais aussi compte tenu du poids plus important de l’électricité dans leurs dépenses de consommation. Toutefois, des écarts importants existent entre les pays. Alors que l’électricité portait principalement la hausse des prix en Espagne en mars 2022, il s’agissait plutôt du gaz en Italie, et des carburants en Allemagne. La France se distingue de ses voisins européens par l’augmentation limitée du tarif réglementé de l’électricité.
Face à l’inflation des prix de l’énergie, les gouvernements se mobilisent pour préserver le pouvoir d’achat des ménages et soutenir les entreprises
Pour amortir la hausse spectaculaire des prix de l’énergie et ses conséquences sur l’économie, les gouvernements européens ont déployé, à partir du quatrième trimestre 2021 pour la plupart, d’importantes mesures de soutien aux ménages et aux entreprises (cf. graphique 4). Selon nos estimations (qui tiennent compte des informations disponibles au 7 mai dernier), le montant total des aides gouvernementales atteint EUR 45,9 mds en France, EUR 23,4 mds en Allemagne comme en Italie, et EUR 16,9 mds en Espagne[1]. Mesuré en proportion du PIB, les gouvernements français (1,9% du PIB), espagnol (1,4%) et italien (1,3%) sont les plus actifs par rapport à l’Allemagne (0,7%).
Les gouvernements français, allemand, italien et espagnol ont principalement actionné quatre leviers pour amortir la hausse des prix de l’énergie : les subventions, les réductions de taxes, la règlementation (ou gel des prix de l’énergie), l’indexation des revenus (par une mesure discrétionnaire au-delà des procédures existantes de revalorisation automatique). La majorité d’entre eux a eu recours aux deux premiers instruments, qui ciblaient principalement les ménages modestes et les PME des secteurs les plus impactés par la hausse des prix de l’énergie (transport, pêche, agriculture).
Les gouvernements de notre échantillon de pays ont tous mis en œuvre une remise sur le prix du litre d’essence (18 centimes en France, 25 centimes en Italie, 20 centimes en Espagne, 14 centimes pour l’Allemagne). Ce type de remise a un impact indiscriminé sur l’ensemble des usagers. L’écart entre le montant des mesures en France et celles de l’Italie et de l’Espagne correspond principalement au coût du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité, que la France est la seule à appliquer parmi ses voisins jusqu’à maintenant[1].
Face à la durée et à l’ampleur du choc inflationniste, qui se diffuse, des mesures discrétionnaires de revalorisation des revenus (fonctionnaires, retraites) commencent à être annoncées et deviendront probablement centrales dans la réponse des gouvernements. Ci-après, nous passons en revue les principales mesures annoncées par l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne.
Allemagne
Jusqu’en février 2022, l’action du gouvernement allemand se caractérisait principalement par des subventions allouées aux plus modestes et par la réduction de la taxe sur les énergies renouvelables (EEG). Ces deux mesures totalisaient moins de EUR 10 mds. Mais la flambée des prix de l’énergie, amplifiée par la guerre en Ukraine, a poussé la coalition à redoubler d’efforts dans la préservation du pouvoir d’achat. Ainsi, la réduction du prix des transports en commun, la remise sur le prix du litre à la pompe, la subvention de EUR 300 pour une large part des contribuables et la hausse du montant des allocations sociales aux plus démunis sont incluses dans le programme de EUR 15 mds annoncé le 24 mars 2022 (tableau 2).
France
La France se place parmi les pays les plus actifs en matière de mesures anti-inflationnistes en Europe de l’Ouest. En application depuis octobre 2021, le « bouclier tarifaire » se compose de subventions allouées aux ménages modestes – sous forme de « chèque énergie » et d’une « indemnité inflation » – et du gel des tarifs réglementés du gaz et de la hausse plafonnée à 4% de ceux de l’électricité. Ces mesures de « réglementation des prix » représentent près de la moitié de l’enveloppe budgétaire destinée à la préservation du pouvoir d’achat. La hausse continue des prix de marché et l’extension du gel des tarifs du gaz jusque fin 2022 (au lieu de juin) pourraient alourdir la facture de EUR 10 mds supplémentaires pour cette année, contre EUR 1,2 md initialement budgété[2]. L’annonce de nouvelles mesures, qui seront mises en œuvre avant l’été, élargit encore cet éventail : chèque alimentation, revalorisation du salaire des fonctionnaires ainsi que des retraites (tableau 3).
Italie
Fortement pénalisés par la hausse des prix du gaz par rapport aux autres pays européens, ce sont les ménages et les entreprises utilisateurs de cette énergie qui bénéficient le plus des mesures gouvernementales. Baisse de la TVA sur le gaz, suppression du système de charge et « bonus social » concentraient, jusqu’à la fin du T1 2022, l’essentiel du soutien budgétaire en place depuis octobre 2021. De l’enveloppe totale de EUR 23,4 mds, EUR 11 mds ont été dépensés entre janvier et mars 2022. Toutefois, le financement de ces mesures « devrait être couvert par des réductions d'autres dépenses et par une augmentation des recettes, y compris celles liées à une taxe extraordinaire sur les fournisseurs d’énergie », indiquait la Banque d’Italie en avril 2022.[3] (tableau 4)
Espagne
Le gouvernement espagnol a été le premier à réagir à la hausse des prix de l’énergie parmi ses voisins européens. Dès juin 2021, son action s’est manifestée par la réduction de deux taxes majeures sur l’électricité, dont le taux de TVA. Ces mesures s’adressent en particulier aux consommateurs dont la facture d’électricité a doublé en mars 2022 (hausse de 108% de la composante « électricité » soit près de 60 points de plus que la hausse moyenne de la zone euro). Depuis le début de la guerre en Ukraine, les nouvelles mesures annoncées ciblent principalement les carburants (remise sur le litre à la pompe, aides aux secteurs agricole et transport routier), en réponse notamment aux mouvements de protestation massifs qui ont émaillé une grande partie du pays au cours des dernières semaines. La facture pourrait s’alourdir davantage à la suite du projet de réglementation du prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité, qui a été validé le 26 avril 2022 par la Commission européenne (tableau 5).
L’action des gouvernements devrait atténuer la baisse du pouvoir d’achat, sans pour autant l’éviter en 2022
L’action des gouvernements est-elle suffisante pour préserver le pouvoir d’achat des ménages ? L’imparfaite indexation des salaires sur l’inflation conduit ceux-ci à croître moins vite que les prix, ce qui aboutit à une perte nette de pouvoir d’achat des salaires et le plus probablement aussi, par extension, du revenu disponible. Les mesures gouvernementales peuvent amortir cette perte en influençant les deux paramètres de l’équation : le revenu, à la hausse, via les subventions, les baisses des taxes et les mesures diverses de revalorisation et l’inflation, à la baisse, via les mesures réglementaires sur les prix de l’énergie et les ristournes à la pompe L’évolution du pouvoir d’achat des ménages permettra alors de mesurer l’efficacité des mesures gouvernementales.
En s’appuyant sur les prévisions de croissance du revenu disponible brut (RDB) de la Commission européenne (AMECO) de novembre 2021[1] et d’inflation de BNP Paribas pour 2022[2], nous avons quantifié l’impact des différentes mesures de soutien aux ménages sur la croissance de leur pouvoir d’achat en 2022. L’indice des prix retenu est l’indice harmonisé afin de rendre les résultats comparables, mais un calcul utilisant l’indice des prix de l’Insee est également effectué pour la France. Et pour ce pays, contrairement aux autres, nous utilisons les prévisions de BNP Paribas pour le revenu disponible des ménages pour 2022 et non celles de la Commission européenne.
De cet exercice, nous concluons que l’action des gouvernements pourrait globalement atténuer la baisse du pouvoir d’achat, sans pour autant l’éviter en 2022 (cf. graphiques 5 et 6). Dans les quatre pays étudiés, le pouvoir d’achat devrait effectivement baisser en 2022 par rapport à 2021 mais dans une ampleur limitée par les mesures. Les ménages espagnols subiraient une perte de leur pouvoir d’achat à hauteur de 4,2% en 2022, alors qu’il avait stagné en 2021 En Italie, la baisse du pouvoir d'achat atteindrait, selon nos estimations, 2,8% en 2022, une détérioration qui apparaît d'autant plus importante qu'elle intervient après un gain de 2,9% en 2021. La contraction serait plus limitée en Allemagne (-2,4%), et surtout en France (-0,8%).
Si la baisse de pouvoir d’achat reste importante, elle aurait été plus douloureuse encore sans l’action des gouvernements. En place depuis l’automne 2021 pour la majorité d’entre elles et souvent étendues sur l’ensemble de l’année 2022, ces mesures auraient permis, en cumul sur les deux années, d’amortir la détérioration du pouvoir d’achat de 0,5 point de pourcentage en Allemagne à 2,7 points en France (cf. graphique 6). Ce large écart entre la France et les autres pays étudiés témoigne de l’efficacité du « bouclier tarifaire » et de la réduction des prix du carburant, sans lesquelles l’inflation totale française aurait atteint en moyenne 6,7% en 2022, contre 5,3% attendus[1] selon l’indice harmonisé.