Eco Conjoncture

Chine : la consommation privée, un moteur fragile

22/09/2019
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Le rôle de la consommation privée comme moteur de la croissance économique chinoise s’est accru ces dernières années, mais ce moteur reste fragile. A l’heure où le secteur exportateur subit les effets des mesures protectionnistes américaines et l’affaiblissement de la demande mondiale, la Chine cherche de solides relais de croissance. La consommation privée marque cependant le pas, et pourrait continuer de décevoir à court et moyen terme. Le rattrapage va nécessairement se poursuivre avec l’urbanisation et le vieillissement de la population, ainsi que grâce à l’action du gouvernement, déterminé à réduire les inégalités de revenus, à améliorer l’accès au logement et à renforcer davantage le système de protection sociale. Néanmoins, ces changements structurels prendront du temps. Ensuite, bien que d’importants gains de productivité soient possibles dans certains secteurs, la hausse des salaires pourrait être freinée par les difficultés de l’industrie, dont l’activité est ralentie, et la montée en gamme entravée par les rivalités avec les Etats-Unis. Enfin, l’endettement des ménages, qui a fortement augmenté ces dernières années, pourrait devenir une contrainte pesant sur la consommation.

Le processus de transition de l’économie chinoise vers un modèle de croissance plus modéré et plus équilibré s’est poursuivi lentement depuis 2011, favorisé par le ralentissement des exportations et de l’investissement. Le rôle de la consommation privée comme moteur de la croissance s’est assurément accru et les habitudes de consommation des ménages chinois, notamment les plus aisés, se sont profondément modifiées. Cependant, la hausse de la consommation privée ne constitue pas un moteur de croissance solide, et elle a fortement ralenti au cours des derniers mois. Alors que le secteur manufacturier exportateur subit les effets des hausses des droits de douane américains et que la marge de manœuvre des autorités pour stimuler l’investissement est contrainte par l’excès de dette des entreprises, la consommation des ménages peine donc à prendre le relais.

A court et moyen terme, le rattrapage de la consommation privée restera très progressif. Il dépendra, entre autres choses, de l’évolution des salaires, qui devrait bénéficier de gains de productivité attendus dans certains secteurs, les services notamment, mais aussi être pénalisée par les difficultés rencontrées par l’industrie. L’action du gouvernement sera également déterminante pour favoriser la baisse du taux d’épargne des ménages ainsi qu’une réduction des inégalités de revenus (qui aidera au rattrapage des modes de consommation des ménages les plus pauvres). Les réformes nécessaires sont clairement identifiées, intégrées dans la stratégie de développement des autorités et progressivement mises en œuvre depuis plusieurs années, mais le processus de changement reste lent. Enfin, le crédit aux ménages est devenu un autre facteur déterminant de leurs dépenses. Après une période de forte hausse, le service de la dette pourrait néanmoins commencer à peser sur la consommation privée.

Une lente transition

La croissance économique chinoise est passée de 10,6% en 2010 à 6,2% au premier semestre de 2019, ce ralentissement s’expliquant essentiellement par des facteurs structurels. Leurs effets ont été exacerbés depuis deux ans, d’abord par le durcissement des conditions de crédit, devenu indispensable pour réduire les risques d’instabilité financière, puis par l’affaiblissement de la demande mondiale et les barrières tarifaires américaines. En réponse à la dégradation des performances du secteur exportateur et de la demande interne, les autorités ont progressivement réorienté leur politique économique. La politique monétaire a été assouplie prudemment à partir du deuxième trimestre de 2018 et les mesures de relance budgétaire ont été multipliées. A court terme, alors que les fortes tensions entre Washington et Pékin rendent les perspectives d’exportation très incertaines, la politique accommodante devrait stimuler la demande interne et permettre la poursuite d’un atterrissage en douceur de l’économie.

Ralentissement structurel depuis 2011

Le caractère structurel du ralentissement s’illustre par le déclin du taux de croissance potentielle : selon nos estimations, ce taux est passé de 11,5% en 2006-2007 (plus haut niveau des années 2000) à 6,2% en 2018. Tous les facteurs de la croissance du PIB – accumulation du capital, travail et productivité globale des facteurs – se sont affaiblis dans la période qui a suivi le choc de 2008-2009, pour des raisons le plus souvent interdépendantes (graphique 1).

PIB réel

Le dividende démographique de la Chine a continué de se réduire. La croissance de la population en âge de travailler a fortement ralenti depuis l’introduction de la politique de l’enfant unique au début des années 1980. Elle était déjà à moins de 1% par an dans les années 2000 (contre 3% en 1980), puis est devenue négative (depuis 2012 si l’on prend les individus âgés de 15 à 59 ans). Dans le même temps, la main d’œuvre en provenance des zones rurales et migrant vers le marché du travail urbain s’est réduite. La main d’œuvre en zone urbaine a continué d’augmenter, mais les flux de créations d’emplois sont restés relativement stables (13,6 millions d’emplois créés en 2018).

Ces dynamiques ont, d’une part, conduit à la baisse de la contribution du travail à la croissance du PIB qui, selon nos estimations, serait devenue légèrement négative depuis 2017 et, d’autre part, alimenté des tensions sur les salaires. Or, depuis dix ans, les gains de productivité des facteurs se sont modérés, mettant fin à la période de très forte hausse de 2003-2007.

Cette modération a principalement résulté d’une dégradation de l’allocation du capital (conséquence de taux d’investissement depuis longtemps très élevés), de l’érosion des effets de l’intégration de la Chine aux chaînes de valeur mondiales, et des transformations sectorielles de l’économie. La réallocation du travail de l’agriculture vers l’industrie, où les gains de productivité sont plus élevés, s’est en effet achevée. Par ailleurs, ce sont les créations d’emplois dans les services qui permettent depuis 2013 d’absorber la baisse de l’emploi dans les secteurs primaire et secondaire (graphique 2).

Répartition sectorielle de l'emploi

La moindre augmentation de la productivité du travail a pesé sur les salaires, mais cet effet a été partiellement compensé par les pressions haussières liées aux dynamiques démographiques. Au final, la croissance des salaires réels a ralenti depuis 2009 (jusqu’à un rebond en 2017-2018), mais dans une moindre mesure que celle de la productivité. Ceci a à la fois pesé sur la croissance des revenus des ménages et contribué à la perte de compétitivité-coût de l’économie chinoise (graphique 3).

Salaires et productivité

Dans ce contexte, la Chine a souffert de l’épuisement de ses vieux moteurs de croissance, à savoir les exportations, puis l’investissement. La progression des exportations de marchandises a nettement reculé depuis le choc de 2008-2009, passant de +26% par an en volume en moyenne en 2003-2007 à +5% en 2011-2018. Les difficultés du secteur manufacturier exportateur se sont multipliées : perte de compétitivité (à la moindre compétitivité-coût se sont ajoutés les effets de l’appréciation du yuan), ralentissement de la demande externe et affaiblissement durable des chaînes de valeur mondiales. Après une période de rebond des exportations en 2017, le nouveau coup de froid sur le commerce mondial et les mesures protectionnistes américaines ont sérieusement aggravé la situation depuis 2018. La croissance de l’investissement a, quant à elle, reculé dans une majorité de secteurs et en particulier dans l’industrie manufacturière, le secteur minier et l’immobilier.

Le vaste plan de relance introduit par les autorités à la suite du choc externe de 2008-2009 avait permis de soutenir l’investissement (public) dans un premier temps, mais aussi accéléré la dégradation de l’allocation du capital et aggravé les déséquilibres de l’économie (en particulier les capacités de production excédentaires dans l’industrie, les distorsions sur le marché immobilier et l’excès de dette des entreprises publiques). A partir de 2011, l’action des autorités pour réduire ces déséquilibres (cf. infra) et l’essoufflement des exportations ont conduit au ralentissement de l’investissement (graphique 4).

Exportations et investissement

Se heurtant aux limites de son ancien modèle de développement, l’économie chinoise a donc lentement avancé dans sa transition vers un « nouveau » régime de croissance. Celui-ci est plus modéré et se doit de devenir plus inclusif et plus équilibré, c’est-à-dire moins dépendant de l’investissement et du crédit, de l’industrie et des exportations de biens manufacturés, et reposant davantage sur la consommation privée et les services. Or, si ce rééquilibrage des sources de la croissance a progressé depuis 2011, notamment encouragé par les réformes structurelles, les avancées restent insuffisantes. La consommation intérieure n’est pas encore assez solide pour prendre véritablement le relais de l’investissement et des exportations comme principal moteur de la croissance.

Un rééquilibrage encore fragile

La décomposition du PIB donne une idée du rééquilibrage qui a accompagné le ralentissement de la croissance depuis 2011. D’une part, l’importance de l’investissement et de l’industrie a diminué, mais reste élevée. D’autre part, la consommation des ménages et les services ont apporté une contribution de plus en plus importante à la croissance du PIB. Mais certains facteurs sous-jacents à ces transformations demeurent fragiles.

Entre 2011 et 2018, la part de l’investissement dans le PIB s’est réduite, passant de 47,8% à un taux encore très élevé de 44,1%. Celle de la consommation des ménages s’est accrue de 36,2% à 38,7%. Depuis 2015, la consommation privée est restée le plus gros contributeur à la croissance du PIB réel (graphique 5).

Composantes de la croissance du PIB

Parallèlement, le rééquilibrage se note aussi à la légère baisse du taux d’épargne nationale en pourcentage du PIB, de 49,6% en 2011 à 44,4% en 2018, et à l’érosion de l’excédent courant (0,4% du PIB en 2018). Du point de vue sectoriel, la part de l’industrie dans le PIB nominal a chuté de 46,5% en 2011 à 40,7% en 2018 (dont construction : 7%) et celle des services a augmenté de 44,3% à 52,2% sur la même période (graphique 6).

Décomposition du PIB par secteur

Ces transformations découlent à la fois des divergences entre taux de croissance réels et d’effets-prix liés à la longue période de déflation dans l’industrie de 2012 à 2016. L’ajustement dans l’industrie et de l’investissement a été déclenché par l’affaiblissement de la demande mondiale après des années de surinvestissement et de boom du crédit. Au cours des dernières années, il est aussi allé de pair avec des changements structurels, encouragés par les autorités et qui devraient participer à un processus durable de rééquilibrage. Ainsi, l’industrie a réduit ses capacités de production excédentaires (dans près d’une vingtaine de secteurs, et plus particulièrement dans les secteurs du charbon, de l’acier, du ciment et du verre plat) et fermé certaines des usines les plus polluantes. Des efforts de rationalisation des entreprises publiques ont également accompagné la politique de durcissement du crédit depuis la fin de 2016, permettant ainsi de freiner la progression de leur dette en 2017-2018. Néanmoins, le processus de restructuration de l’industrie et de désendettement des entreprises est loin d’être achevé (leur dette reste ainsi excessivement élevée et le taux d’utilisation des capacités de production de l’industrie bas, à 76% fin 2018), et sa poursuite pourrait s’avérer compliquée à court terme étant donné la détérioration de l’environnement international. En particulier, les autorités ont redéfini la direction de leur politique économique depuis plusieurs mois, donnant la priorité à court terme aux mesures contra-cycliques. Le désendettement des entreprises devrait donc être interrompu en 2019, en conséquence de l’assouplissement monétaire.

L’expansion du secteur des services et de la consommation privée a également été soutenue par des réformes qui devraient contribuer à la poursuite du rééquilibrage. Des mesures fiscales et l’élimination de barrières à l’entrée dans certains secteurs, notamment, ont stimulé la croissance des services, et le renforcement du système de protection sociale a pu encourager la consommation des ménages (cf. infra). Cependant, la croissance des services a été tirée par les secteurs du commerce, mais aussi par ceux de la finance et de l’immobilier (qui représentaient respectivement 9,4%, 7,7% et 6,7% du PIB en 2018). Or, l’expansion du secteur financier n’était pas soutenable, car elle s’est accompagnée d’une forte montée des risques d’instabilité ; elle a d’ailleurs ralenti et sa part dans le PIB a diminué depuis 2016. De même, les autorités ont resserré les règles prudentielles encadrant l’activité du secteur immobilier, afin de contenir la hausse des prix et améliorer l’accessibilité du logement aux ménages. Surtout, les ressorts de la consommation privée, sur laquelle repose largement le développement des services, s’affaiblissent.

Le manque d’élan de la consommation des ménages s’est récemment aggravé

Le rôle de la consommation privée comme moteur de la croissance économique s’est assurément accru au cours de la dernière décennie. L’augmentation de sa contribution au PIB en atteste, et les modes de consommation des Chinois se sont profondément modifiés, notamment dans les zones urbaines et pour les ménages les plus aisés. Ainsi, la part moyenne du budget des ménages allouée aux achats discrétionnaires (transports et communications, éducation et loisirs, produits de luxe, etc.) a augmenté depuis dix ans, et la part moyenne des dépenses en biens de première nécessité a diminué.

Celle-ci devrait continuer à baisser, puisqu’elle reste élevée (l’alimentation et les vêtements absorbent encore 35% du budget des ménages en moyenne en 2018, auxquels s’ajoutent 23% alloués aux dépenses pour le logement). Surtout, les disparités régionales et entre les différentes catégories de revenus demeurent très importantes, et sont donc a priori amenées à se réduire (graphique 7). Cependant, la consommation privée n’est pas un moteur très solide. Elle représente toujours moins de 40% du PIB nominal, et sa croissance a ralenti depuis son pic de 2011 : de 15% en termes réels, elle est passée à un palier de 8% par an en moyenne en 2013-2016, puis à 7% en 2017-2018 (estimations à partir des données du NBS et de la Banque Mondiale). Plus inquiétant, le ralentissement s’est accentué sur la période récente.

Décomposition de la consommation des ménages

La progression des volumes de ventes au détail a ralenti de 12% en 2011 pour atteindre un point bas à 6,7% (en glissement annuel, ou g.a.) au S1 2019 (graphique 8). La contraction des ventes automobiles (de 3% en 2018 et de 12% en g.a. au S1 2019) a lourdement pesé sur la performance globale (elles représentent environ 10% du total des ventes au détail), conséquence d’un ralentissement structurel du secteur et de la fin des incitations fiscales à l’achat, mises en œuvre de fin 2015 à début 2018. D’autres secteurs ont vu leurs ventes ralentir, notamment celui des biens d’équipement (en lien avec la modération des ventes de logements) et les biens culturels et de loisirs. Les ventes de produits par internet se sont quelque peu modérées mais restent très dynamiques (+22% en g.a. au S1 2019), de même que la consommation de services (qui représente actuellement plus de 40% des dépenses totales de consommation).

L’essoufflement de la consommation s’explique notamment par : les effets des difficultés de l’industrie sur le marché du travail et la confiance des ménages ; le regain d’inflation tiré par les prix alimentaires (graphique 9) ; et la modération du crédit à la consommation, suite au resserrement réglementaire dans le secteur financier et aux mesures de répression prises à l’encontre les plateformes P2P (peer-to-peer) de prêts entre particuliers.

Inflation

Parallèlement, la hausse de la dette des ménages de ces dernières années commence à peser sur leurs dépenses de consommation (cf. infra). L’activité du secteur immobilier est un autre facteur-clé, dont les effets sont mixtes : le recul des transactions immobilières, observé depuis l’an dernier, a freiné les achats de biens durables. Dans le même temps, la hausse rapide des prix des logements depuis 2016 a pu accroître l’incitation à épargner des ménages, mais aussi induire des effets de richesse positifs favorables à la consommation (graphique 10).

Ventes au détail et e-commerce

Marché immobilier

Augmenter les revenus et abaisser l’épargne : des défis complexes

Le récent ralentissement de la consommation privée répond à de fortes contraintes structurelles. D’une part, la croissance des revenus réels est sur une tendance baissière depuis 2011 – mais s’est néanmoins stabilisée en 2017-2018. D’autre part, les ménages continuent d’épargner une portion élevée de leurs revenus. Leur taux d’épargne était encore de 36% du revenu disponible en 2018[1]. A court et moyen terme, les autorités devront agir sur les leviers les plus à même de soutenir les revenus des ménages et de rehausser leur propension à consommer.

Dynamique multiforme des gains de productivité

Depuis 2011, le revenu disponible par tête a augmenté de près de 8% par an en moyenne en termes réels. La hausse a progressivement perdu en vigueur, atteignant 6,5% en 2018 (graphique 11). La croissance des salaires réels, principale composante des revenus des ménages, a ralenti sous l’effet de la modération des gains de productivité et de l’affaiblissement de l’activité et des profits dans le secteur industriel. Elle est ainsi passée d’environ 9% par an en 2010-2012 à 6% en 2016-2018. Au final, la part des salaires dans le PIB a peu augmenté, passant de 57% en 2011 à 59% en 2018. L’inflation des prix à la consommation est quant à elle restée sur une pente légèrement haussière depuis 2016, ne participant plus à une amélioration du pouvoir d’achat des ménages mais demeurant néanmoins modérée (à 2% par an en moyenne).

Revenu disponible des ménages

La progression des salaires réels devrait être pénalisée à court terme par les difficultés de l’industrie manufacturière, qui subit l’affaiblissement de la demande externe et la multiplication des mesures protectionnistes américaines. Les gains de productivité resteront contraints à court et moyen terme par les conséquences de la confrontation commerciale et technologique entre la Chine et les Etats-Unis – qui pourrait entraver le développement des secteurs les plus à même de monter en gamme rapidement. En outre, la réallocation des facteurs de production de l’industrie vers les services, en œuvre depuis 2013, va se poursuivre[2], continuant d’exercer des pressions à la baisse sur le niveau moyen de la productivité de l’économie.

Les politiques publiques ont un rôle crucial à jouer dans ce contexte. De manière générale, un regain de réformes structurelles permettant l’amélioration de l’allocation des facteurs, le renforcement de l’innovation et l’augmentation continue des niveaux de qualification de la main d’œuvre sont nécessaires à une accélération des gains de productivité. Ceci doit permettre à la fois de faciliter le développement des secteurs à fortes compétences et haute valeur ajoutée et de compenser les effets de la perte de compétitivité dans les secteurs intensifs en main d’œuvre, et ainsi éviter à la Chine le « piège du revenu intermédiaire ». Ces objectifs sont déjà intégrés dans la stratégie de développement des autorités[3], mais sa mise en œuvre reste progressive et risque d’être gênée à court-moyen terme par la dégradation de l’environnement externe.

D’importants gains de productivité intra-sectoriels restent cependant attendus, aidant à compenser les effets négatifs des changements intersectoriels. Chaque secteur doit en effet pouvoir enregistrer des gains de productivité spécifiques. Dans l’industrie, ces gains sont notamment encouragés par le déploiement du plan « Made in China 2025 », même si les objectifs quantitatifs doivent être revus à la baisse en raison des tensions avec les Etats-Unis. Ce programme, lancé en 2015, vise à accélérer la montée en gamme technologique dans dix secteurs stratégiques[4], qui bénéficient du soutien du gouvernement pour financer rénovation et innovation, et dans lesquels la Chine doit devenir leader mondial. Il est accompagné en amont d’efforts de dépenses en recherche et développement (qui devraient représenter 2,5% du PIB en 2020, contre 2,1% du PIB en 2015, soit un taux supérieur à la moyenne de 2,3% des pays OCDE).

Dans les services, les gains de productivité ont été favorisés sur la période récente par des réformes structurelles (mesures de libéralisation, ouverture aux entreprises privées). Ils ont été fortement tirés par des secteurs à forte valeur ajoutée tels que les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Ces évolutions devraient continuer d’accompagner le développement des services (digitalisation des services traditionnels, émergence de nouveaux secteurs à forte valeur ajoutée…)[5].

Ces dynamiques intra-sectorielles expliquent que le ralentissement des gains de productivité du travail dans l’ensemble de l’économie ait pu se stabiliser en 2017-2018 (à un taux estimé de 6,7%, contre 9% environ en 2011). En particulier, la hausse de la productivité du travail s’est améliorée dans le secteur des services depuis 2015, et la progression des salaires réels s’y est d’ailleurs redressée, dépassant celle du secteur manufacturier (graphique 12).

Evolution des salaires moyens, estimations par secteur

Aussi, dans notre scénario central à moyen terme, le ralentissement des gains de productivité resterait-il sur une pente douce, permettant de contenir le ralentissement de la hausse des salaires réels. Ce dernier va néanmoins se poursuivre. De plus, une période de difficultés est d’abord attendue à court terme, et nos prévisions sont exposées à d’importants risques baissiers, liés à d’éventuels retards dans le processus de réformes structurelles ainsi qu’au conflit avec les Etats-Unis. Au final, le soutien de la progression des salaires réels à l’expansion de la consommation privée devrait rester modeste à court-moyen terme.

La réduction de l’épargne et des inégalités : un processus lent, mais à large portée

Dans un contexte de ralentissement des salaires réels, la diminution du taux d’épargne et la réduction des inégalités, qui doit permettre le rattrapage des habitudes de consommation des ménages les plus pauvres vis-à-vis des plus aisés, deviennent essentielles à l’expansion de la consommation privée. Les réformes nécessaires sont, là encore, bien identifiées par les autorités, et mises en œuvre progressivement depuis plusieurs années. Elles doivent, entre autres choses, favoriser une croissance plus inclusive via le renforcement du système de protection sociale, la réduction des inégalités de revenus entre résidents des zones rurales, migrants et résidents urbains, et une meilleure accessibilité au logement.

La baisse du taux d’épargne a récemment calé

Une large part de l’épargne des ménages chinois est une épargne de précaution, rendue indispensable par le coût élevé des dépenses de retraite et de santé, d’éducation et du logement (prix élevés de l’immobilier, marchés de la location insuffisamment développés). Des progrès ont été enregistrés au cours de la dernière décennie pour abaisser l’ensemble de ces coûts. Les réformes ont notamment étendu l’accès aux services publics (santé, éducation) et aux systèmes d’assurance maladie et vieillesse pour les résidents urbains et ruraux. Le processus de libéralisation financière a également contribué à une réduction des besoins d’épargne des ménages, en permettant une meilleure rémunération des produits d’épargne (suppression des plafonds sur les taux sur les dépôts, multiplication des possibilités de placement dans le secteur non bancaire) et un assouplissement des conditions de crédit aux ménages.

Enfin, les dynamiques démographiques de vieillissement et de réduction de la main d’œuvre ont joué un rôle prépondérant. L’augmentation du taux de dépendance, qui a débuté en Chine en 2011, constitue un facteur structurel de baisse du taux d’épargne moyen. La hausse de la consommation privée en pourcentage du PIB a de fait été très corrélée à celle du taux de dépendance[6] conformément à la théorie du cycle de vie, et ce facteur démographique devrait persister à moyen terme. Toutefois, le lien entre les deux variables s’est distendu en 2017-2018, attestant de la montée de freins puissants pesant sur la consommation (graphique 13 page 9).

D’une manière générale, la baisse du taux d’épargne est restée lente, et semble même s’être interrompue sur la période récente. Ainsi, le taux d’épargne des ménages a diminué de 41% du revenu disponible en 2011 à 36,1% en 2016, puis se serait stabilisé autour de ce niveau en 2017-2018 selon nos estimations (graphique 14).

Les inégalités de revenu restent fortes

Vieillissement de la population et consommation privée
Taux d'épargne des ménages

La couverture sociale reste insuffisante (les prestations sociales représentent seulement 10% du PIB environ), et les inégalités de revenu demeurent très importantes[7] en dépit des mesures prises par les autorités (efforts pour soutenir les revenus des travailleurs ruraux et migrants, augmentation des salaires minimaux de 14% par an en moyenne en 2012-2018, contre 9% pour le salaire national nominal). Le rapport entre le revenu disponible par tête des ménages urbains et celui des ménages ruraux a légèrement diminué depuis une décennie, mais reste important (2,7 en 2018 contre 3,3 en 2008). De même, les inégalités de répartition de la richesse et des revenus se sont juste stabilisées entre 2011 et 2015 (les adultes avec les 10% des revenus les plus élevés absorbaient 42,9% du revenu national avant impôt en 2015, contre 41,4% en 2011, et la part des 50% des revenus les plus bas était de 14,8% en 2015 contre 14,5% en 2011[8]).

La concentration des revenus semble même s’être accentuée depuis 2016, le revenu moyen des ménages les plus aisés ayant augmenté plus rapidement que celui des ménages les plus pauvres ; cette dynamique pourrait s’expliquer par la montée en gamme technologique dans certains secteurs, qui amplifie l’écart de revenus entre les travailleurs des zones en bénéficiant le moins et ceux des secteurs et régions les plus avancés. Les disparités entre les habitudes de consommation restent donc particulièrement importantes en Chine. La part des dépenses discrétionnaires dans le budget des ménages aisés est élevée alors que celle des ménages à bas revenu reste extrêmement réduite, et la taille du marché de certains biens ou services est limitée aux grandes villes des régions les plus développées[9]. Dans ce contexte, le développement de la consommation privée et l’émergence de nouveaux marchés dans les régions les moins avancées reposent largement sur l’augmentation des dépenses des ménages les moins aisés et la réduction des inégalités.

L’amélioration de l’accès aux services publics et à la protection sociale reste lente, mais indispensable

L’urbanisation et, surtout, l’assouplissement du système de hukou (enregistrement des résidents) peuvent avoir un effet significatif sur les inégalités et la qualité de la couverture sociale. Les résidents urbains jouissent en effet d’un meilleur accès aux services publics et d’une meilleure protection sociale que les résidents ruraux et les « migrants » (travailleurs en zones urbaines mais conservant le statut résidentiel de ruraux), et dépensent davantage. Sur la période 2016-2020, les autorités envisagent de faire passer le taux d’urbanisation de 56,1% de la population à 60% (il était déjà à 59 ,6% en 2018), d’accorder le statut de résident urbain à 100 millions de migrants supplémentaires et de déplacer 100 millions d’individus des zones rurales vers les zones urbaines. Sur la base d’une étude de l’OCDE[10], la hausse de la consommation découlant de ces deux derniers changements pourrait atteindre 11%. Surtout, l’effet du changement de statut résidentiel serait plus fort que celui du déplacement de travailleurs ruraux vers les villes, soulignant bien l’importance du renforcement de l’accès aux services publics et du système de protection sociale. Les changements du système de hukou sont pourtant restés limités jusqu’à maintenant, notamment en raison de barrières qu’imposent certaines grandes villes aux candidats souhaitant devenir résidents (telles que des critères contraignants en termes d’éducation ou d’expérience professionnelle). Les autorités auraient donc tout intérêt à accélérer le processus de réforme, ainsi qu’à poursuivre activement l’amélioration des services publics et de protection sociale offerts à l’ensemble de la population.

Le rôle de la politique fiscale doit s’accroître, la marge de manœuvre de la politique de crédit est dorénavant réduite

Avec la poursuite des réformes structurelles et le vieillissement de la population, la réduction du taux d’épargne moyen des ménages devrait se poursuivre à moyen terme, mais le processus sera lent. Pour donner une impulsion au développement de la consommation privée à court terme, les autorités utilisent la politique fiscale. Le système fiscal s’est révélé peu efficace pour atténuer les inégalités au cours de la dernière décennie, et la marge de manœuvre pour accroître leur rôle distributif et soutenir la consommation des ménages semble importante.

Les mesures de relance fiscale ont été multipliées en 2018-2019. Celles dédiées aux ménages visent à stimuler leurs dépenses en apportant un soutien direct au revenu disponible, et profitent davantage aux ménages aux revenus les plus modérés, et donc la propension marginale à consommer la plus élevée. Les changements introduits depuis l’an dernier comprennent, par exemple, une hausse des seuils des tranches d’impôt sur le revenu les plus basses[11]. Les autorités estimaient que les mesures d’allégement apporteront un gain atteignant jusqu’à RMB 660 milliards au revenu disponible total. Ceci pourrait accroître la consommation privée totale de 1,2 point de pourcentage. En outre, en réduisant les inégalités de revenu, les réformes pourraient avoir des effets positifs sur la demande des ménages au-delà du court terme.

La marge de manœuvre de la politique de crédit est plus limitée. D’une part, la progression de la dette des ménages doit ralentir (cf. section suivante). D’autre part, assainir le marché immobilier et garantir une inflation modérée des prix du logement sont des objectifs clés du président Xi Jinping. Les programmes de rénovation des habitats précaires et de construction de logements à loyers modérés se sont multipliés ces dernières années, et les règles prudentielles encadrant les prêts et les transactions dans le secteur immobilier ont été progressivement resserrées depuis l’été 2016.

Malgré cela, l’inflation du prix moyen des logements (des 70 villes principales) est restée élevée (+6,6% en g.a. en moyenne depuis mi-2016, contre 0,8% sur les trois années précédentes), et l’indice d’accessibilité au logement s’est détérioré entre 2016 et 2018 après plusieurs années d’amélioration[12] (graphique 10 page 6). Les efforts pour contenir les hausses de prix doivent être maintenus, et les autorités ont conservé une politique prudente dans le secteur immobilier malgré l’assouplissement de la politique de crédit adopté depuis mi-2018. Cependant, cette attitude pourrait être de plus en plus difficile à maintenir en cas de ralentissement prolongé de la croissance économique dans les mois à venir.

La consommation tirée par le crédit : des fragilités apparaissent

Dans un contexte d’expansion forte du crédit bancaire et non bancaire à l’ensemble des acteurs économiques, la dette des ménages a rapidement augmenté depuis dix ans, atteignant 55% du PIB à la mi-2019. Certes, l’excès de dette et la hausse des risques de crédit dans le secteur financier chinois sont principalement concentrés dans le secteur des entreprises, mais ils commencent à concerner également les ménages[13]. Surtout, la dette des ménages, dont la hausse a soutenu leurs dépenses ces dernières années, pourrait finir par peser sur l’expansion de la consommation privée.

L’essor du crédit a soutenu les dépenses des ménages…

La dette des ménages est passée de 17,9% du PIB en 2008 à 52,6% en 2018 et 54,6% à la mi-2019. L’encours de la dette (RMB 51000 milliards fin juin 2019) a augmenté de 20% par an en moyenne depuis 2011. D’abord dans une phase de rattrapage, l’endettement des ménages mesuré en pourcentage du PIB n’est pas particulièrement élevé, et il est maintenant considéré comme légèrement supérieur à ce qui serait conforme au niveau de développement de la Chine (graphique 15). Cependant, le poids de la dette des ménages ressort plus important lorsqu’il est mesuré en part du revenu disponible : nous l’estimons à environ 90% en 2018, contre 31% en 2008 (soit un niveau proche de ceux de pays au revenu par tête plus élevé). En outre, les ratios officiels de dette des ménages sont légèrement sous-estimés puisqu’ils excluent les prêts des institutions non bancaires du shadow banking (qui restent modérés mais ont néanmoins rapidement augmenté depuis cinq ans).

L’augmentation de la dette des ménages a été principalement tirée par les crédits au logement, qui représentaient près de 60% de la dette en 2018. Mais les prêts à la consommation se sont également fortement accrus. En particulier, les encours de prêts sur cartes de crédit, apparus il y a une dizaine d’années, ont augmenté de 57% par an en moyenne de 2011 à 2015, puis de 27% par an depuis 2016. Ils constituaient 15% de la dette des ménages en 2018. Les prêts automobiles représentaient quant à eux 3% de la dette (graphique 16).

La croissance de la consommation a ainsi été soutenue grâce à un effet direct des prêts à la consommation sur les dépenses et à un effet indirect via le soutien du crédit-logement au marché immobilier. Le premier effet semble avoir été important et s’être même accru en 2017 : la hausse des prêts à la consommation s’est accélérée et les nouveaux prêts correspondants ont représenté près de 8% de la consommation privée totale – alors que leur part s’était située autour de 4% au cours des années précédentes (graphique 17).

Dynamique de la dette des ménages
Consommation des ménages et crédits

Pourtant, la croissance de la consommation privée a ralenti en 2017. L’effet de soutien direct des nouveaux crédits a été, d’une part, largement compensé par les facteurs baissiers déjà évoqués et, d’autre part, atténué par le fait qu’une portion des nouveaux prêts à la consommation a en réalité été utilisée pour l’achat de biens immobiliers. En Chine, la frontière est parfois floue entre les différents types de crédits aux ménages. Ce phénomène a probablement pris de l’ampleur en 2017 en réponse au renforcement des restrictions imposées sur le crédit-logement. En excluant cette portion de prêts sur la base d’estimations du Conference Board[14], les nouveaux prêts exclusivement dédiés à l’achat de biens de consommation représenteraient plutôt 5% et 6% de la consommation privée totale en 2017 – ce qui reste élevé. En 2018, la contribution du crédit à la consommation a amorcé une baisse, avec des conséquences sur certains types d’achats des ménages (automobiles et autres biens durables notamment).

... mais la dynamique s’inverse

Le resserrement des règles prudentielles a été étendu aux activités de crédit à la consommation depuis 2018 (la hausse des encours de prêts sur cartes de crédit a ainsi ralenti de 37% en g.a. fin 2017 à 16% mi-2019). Les autorités ont en effet répondu progressivement à la montée des nouveaux risques que représente l’augmentation de la dette des ménages pour le secteur financier.

Jusqu’à présent, la qualité des portefeuilles de prêts au logement des banques commerciales est restée satisfaisante, notamment grâce à l’existence de normes prudentielles relativement conservatrices (par exemple, le montant des crédits-logement octroyés en 2018 ne dépassait pas 30% de la valeur des biens immobiliers financés). En revanche, la hausse rapide des prêts à la consommation s’est accompagnée d’une gestion des risques moins rigoureuse et de taux de défaillance plus élevés (mais encore modérés). En 2017, les ratios de créances douteuses s’élevaient à 0,3% pour les prêts au logement et 1,6% pour les prêts sur cartes de crédit. Par ailleurs, comme les entreprises, les ménages ont profité de l’expansion des activités de shadow banking de la dernière décennie. Les banques et institutions financières non bancaires leur ont proposé de nouveaux produits d’épargne et de financement permettant de contourner les réglementations existantes. Certains crédits se sont donc développés dans un cadre réglementaire flou propice à la prise de risques. Notamment, les plateformes P2P de prêts entre particuliers se sont multipliées rapidement entre 2014 et 2017 : plus de 6600 plateformes ont été créées. L’encours total de ce type de prêts ne représente qu’une portion modeste de la dette des ménages (3% au pic de début 2018), mais les pratiques des plateformes P2P sont parfois frauduleuses et les taux de défaut sont élevés.

Le resserrement de la politique monétaire entre la fin 2016 et le T2 2018, le maintien depuis trois ans de règles relativement strictes pour encadrer les prêts et l’activité dans le secteur immobilier[15], puis la multiplication des mesures visant à réduire les financements P2P et autres activités du shadow banking, ont ralenti la progression de la dette des ménages (passée de 24% en g.a. au T2 2017 en termes nominaux à 17% au T2 2019). La très grande majorité des plateformes P2P ont été mises sous surveillance ou fermées, et leur encours de prêts s’est contracté rapidement depuis juillet 2018, pour atteindre RMB687 mds mi-2019, soit 1,3% de la dette des ménages (graphique 16 page 9).

Bien qu’il soit indispensable pour contenir les risques de crédit dans le secteur financier, le ralentissement de prêts aux ménages a de toute évidence pesé sur la consommation en 2018 et au S1 2019. De plus, les ménages devraient également commencer à ressentir la hausse du poids du service de la dette.

La dette des ménages, nouvelle menace

Le service de la dette des ménages s’est fortement alourdi depuis 2016. Outre un effet négatif direct sur la consommation, son poids rend les ménages plus sensibles aux hausses de taux d’intérêt et au resserrement de la politique de distribution de crédit par les banques, et contraint leur capacité à s’endetter davantage à moyen terme.

Selon les calculs du Conference Board14, le service de la dette des ménages (prêts au logement + prêts à la consommation) représentait entre 8% et 11% du revenu disponible en 2017, contre 6%-8% en 2015 (et 5%-7% en 2011). Les estimations plus récentes de l’Institute of International Finance situaient le service de la dette à 11% du revenu disponible en 2018 contre 8% en 2015[16]. Ces ratios sont considérés comme modérément élevés, et la situation financière moyenne des ménages reste satisfaisante, notamment confortée par une épargne solide, investie en actifs immobiliers et financiers (les dépôts bancaires et autres actifs financiers représentent plus de deux fois l’encours de la dette des ménages).

Toutefois, la situation est très hétérogène entre les ménages. Ainsi, la part de la dette totale détenue par des ménages surendettés (c’est-à-dire dont la dette dépasse 4 années de revenu) était déjà passée d’environ 25% en 2010 à près de 50% en 2016, selon les estimations du FMI[17]. Ensuite, le poids de la dette en pourcentage du revenu s’est bien plus fortement aggravé pour les ménages aux revenus les plus bas. Or, les inégalités aggravent les effets d’un resserrement du crédit sur la consommation : les ménages les plus pauvres, dont l’endettement est le plus élevé et l’épargne la plus faible, sont aussi les plus vulnérables aux chocs sur le revenu, et ajusteront leur consommation à la baisse plus fortement en cas de diminution des nouveaux crédits. A l’inverse, un assouplissement des conditions de crédit pour les ménages devrait avoir des effets d’autant plus limités sur la consommation que le service de la dette est déjà significatif et très inégalement réparti entre les différentes catégories de revenus.

De fait, l’effet favorable du crédit sur les dépenses des ménages tend à s’atténuer dans le temps et au fur et à mesure que la dette augmente. Selon une étude de la BRI[18], la hausse de la dette des ménages a un effet positif sur la croissance de la consommation privée et du PIB à court terme (horizon d’un an), mais l’effet devient négatif à moyen terme – notamment parce que les ménages doivent allouer une partie croissante de leurs revenus au service de la dette. L’effet négatif sur la consommation à moyen terme est significatif si le ratio de dette sur PIB dépasse 60% (effet de seuil), niveau que la Chine n’a certes pas encore atteint mais dont elle s’approche rapidement (le seuil de 60% devrait être franchi en 2020 dans notre scénario central).

L’ajustement attendu du marché immobilier à moyen terme (développement plus équilibré, hausse des prix du logement plus modérée, mesures de lutte contre la spéculation) pourrait conduire au ralentissement des crédits immobiliers aux ménages, et laisser un peu d’espace aux prêts à la consommation. La marge de manœuvre du recours au crédit pour soutenir la consommation est toutefois étroite.

A court terme, en cas de ralentissement de la croissance plus prononcé qu’attendu, les autorités pourraient assouplir à nouveau leur politique de crédit aux ménages pour stimuler la demande interne et contrer les effets de l’affaiblissement des exportations. Cependant, même dans un environnement réglementaire assaini, la dynamique de hausse de la dette pourrait avoir des effets positifs limités à court terme sur la consommation privée, et des effets négatifs importants à moyen terme (hausse du service de la dette et des risques de crédit pour les banques). De plus, la capacité des ménages à s’endetter davantage est désormais réduite. Il ne faut donc pas s’attendre à un boom de la consommation tiré par le crédit dans les prochaines années.

Le rééquilibrage des sources de la croissance chinoise reste un processus complexe. La croissance de la consommation des ménages a marqué le pas, et pourrait continuer de décevoir à court et moyen terme. Dans notre scénario central, elle se maintient proche de 7% en 2019 (notamment aidée par les mesures d’allégement fiscal récemment introduites), puis elle ralentit très progressivement pour atteindre 6,5% en 2023. Le rôle de la consommation privée comme moteur de la croissance économique ne va augmenter que modérément : sa contribution à la croissance du PIB réel, de 40% environ en 2017-2018, devrait s’établir à 46% en moyenne en 2019-2023 (graphique 18).

Le rattrapage de la consommation privée restera très progressif

Le développement de la consommation privée restera soutenu par des changements structurels (vieillissement de la population, urbanisation, réformes) et la baisse de l’épargne des ménages (qui atteint 33% du revenu disponible en 2023 dans notre scénario central). Les réformes structurelles visant à accroître les gains de productivité dans tous les secteurs économiques, à améliorer l’accessibilité au logement, à renforcer le système de protection sociale et à réduire les inégalités de revenu, ont un rôle essentiel à jouer. Cependant, le processus de changement devrait rester lent, d’autant plus que la capacité des autorités à le mener à bien est menacée à court terme par la dégradation de l’environnement externe. Les conséquences des tensions sino-américaines sur l’activité du secteur manufacturier exportateur et le marché du travail ajoutent également aux contraintes pesant sur la consommation privée. Enfin, l’augmentation du crédit aux ménages, qui a soutenu leurs dépenses depuis quelques années, devient au contraire porteuse de risques, le service de la dette pesant de plus en plus lourd et réduisant le budget de consommation des ménages. Dans le contexte actuel de ralentissement de la croissance économique, les autorités ne doivent pas encourager le crédit aux ménages, mais au contraire le ralentir et privilégier les mesures fiscales pour soutenir le revenu disponible, notamment celui des ménages les moins aisés.

[1]Les ménages comptent pour la moitié de l’épargne nationale, qui représente 45% du PIB, soit un taux exceptionnellement élevé. Il est à comparer, par exemple, au taux moyen de 31% dans les pays de l’Asean, 36% en Corée du Sud, 29% en Inde et 20% en Pologne (données 2017).

[2]Les services devraient absorber 48% de l’emploi en 2020, contre 46% en 2018 et 42% en 2015.

[3]Les objectifs de la stratégie de développement économique sont notamment définis dans le 13e Plan quinquennal, adopté par l’Assemblée nationale populaire en mars 2016 pour la période 2016-2020.

[4]Informatique, robotique, aérospatial, véhicules propres, matériel électrique, équipement agricole, nouveaux matériaux, ingénierie navale, équipement ferroviaire, biotechnologies.

[5]Le secteur des TIC représentait 6% du PIB chinois en 2017 et « l’économie digitale » au sens large environ 30%. Cette part pourrait monter à 50% d’ici 2025. Cf. FMI : China’s digital economy: opportunities and risks, : Working Paper, jan. 2019.

[6]Nombre d’individus de moins de 15 ans et de plus de 64 ans, en pourcentage de la population en âge de travailler.

[7]Le coefficient de Gini est très élevé, à 0,467 en 2017.

[8]Source: World Inequality Database

[9]Par exemple, 40 villes représentent plus de la moitié des ventes au détail et concentrent les achats d’e-commerce (source: The Conference Board).

[10] Molnar M., Chalaux T. et Ren Q. : Urbanisation and household consumption in China, OCDE Working Paper 1434, nov. 2017.

[11]Les tranches ont été relevées de [RMB0-1500] mensuels à [RMB0-3000] pour le taux d’imposition à 3%, de [RMB1500-4500] à [RMB3000-12000] pour le taux à 10% et de [RMB4500-9000] à [RMB12000-25000] pour le taux à 20%.

[12]En 2017, l’achat d’un appartement de 100 m2 représentait 20 ans de revenu disponible pour un ménage gagnant le revenu national moyen. Source : OCDE, Economic Surveys: China 2019 (avril 2019).

[13]La dette totale du secteur non-financier chinois est estimée à environ 250% du PIB à fin 2018, dont 130% détenus par les entreprises, 50% par les collectivités locales et leurs véhicules de financement, 17% par le gouvernement central et 53% par les ménages.

[14] The Conference Board : Rising household debt, Implications for Chinese consumption, août 2018.

[15]Le taux moyen sur les prêts au logement a augmenté plus fortement (de 4,5% fin 2017 à 5,7% fin 2018) que le taux moyen sur l’ensemble des prêts (qui est passé de 5,2% fin 2016 à 5,9% en sept. 2018, puis est redescendu à 5,6% à fin 2018).

[16] Institute of International Finance: Household debt no longer a growth stimulus, août 2019.

[17] IMF Global Financial Stability Report, Oct. 2017 & IMF Selected Issues, People’s Republic of China, août 2019.

[18] Lombardi M., Mohanty M. et Shim I.: The real effects of household debt in the short and long run, BIS Working Paper 607, jan. 2017.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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