Pourtant, la croissance de la consommation privée a ralenti en 2017. L’effet de soutien direct des nouveaux crédits a été, d’une part, largement compensé par les facteurs baissiers déjà évoqués et, d’autre part, atténué par le fait qu’une portion des nouveaux prêts à la consommation a en réalité été utilisée pour l’achat de biens immobiliers. En Chine, la frontière est parfois floue entre les différents types de crédits aux ménages. Ce phénomène a probablement pris de l’ampleur en 2017 en réponse au renforcement des restrictions imposées sur le crédit-logement. En excluant cette portion de prêts sur la base d’estimations du Conference Board[14], les nouveaux prêts exclusivement dédiés à l’achat de biens de consommation représenteraient plutôt 5% et 6% de la consommation privée totale en 2017 – ce qui reste élevé. En 2018, la contribution du crédit à la consommation a amorcé une baisse, avec des conséquences sur certains types d’achats des ménages (automobiles et autres biens durables notamment).
... mais la dynamique s’inverse
Le resserrement des règles prudentielles a été étendu aux activités de crédit à la consommation depuis 2018 (la hausse des encours de prêts sur cartes de crédit a ainsi ralenti de 37% en g.a. fin 2017 à 16% mi-2019). Les autorités ont en effet répondu progressivement à la montée des nouveaux risques que représente l’augmentation de la dette des ménages pour le secteur financier.
Jusqu’à présent, la qualité des portefeuilles de prêts au logement des banques commerciales est restée satisfaisante, notamment grâce à l’existence de normes prudentielles relativement conservatrices (par exemple, le montant des crédits-logement octroyés en 2018 ne dépassait pas 30% de la valeur des biens immobiliers financés). En revanche, la hausse rapide des prêts à la consommation s’est accompagnée d’une gestion des risques moins rigoureuse et de taux de défaillance plus élevés (mais encore modérés). En 2017, les ratios de créances douteuses s’élevaient à 0,3% pour les prêts au logement et 1,6% pour les prêts sur cartes de crédit. Par ailleurs, comme les entreprises, les ménages ont profité de l’expansion des activités de shadow banking de la dernière décennie. Les banques et institutions financières non bancaires leur ont proposé de nouveaux produits d’épargne et de financement permettant de contourner les réglementations existantes. Certains crédits se sont donc développés dans un cadre réglementaire flou propice à la prise de risques. Notamment, les plateformes P2P de prêts entre particuliers se sont multipliées rapidement entre 2014 et 2017 : plus de 6600 plateformes ont été créées. L’encours total de ce type de prêts ne représente qu’une portion modeste de la dette des ménages (3% au pic de début 2018), mais les pratiques des plateformes P2P sont parfois frauduleuses et les taux de défaut sont élevés.
Le resserrement de la politique monétaire entre la fin 2016 et le T2 2018, le maintien depuis trois ans de règles relativement strictes pour encadrer les prêts et l’activité dans le secteur immobilier[15], puis la multiplication des mesures visant à réduire les financements P2P et autres activités du shadow banking, ont ralenti la progression de la dette des ménages (passée de 24% en g.a. au T2 2017 en termes nominaux à 17% au T2 2019). La très grande majorité des plateformes P2P ont été mises sous surveillance ou fermées, et leur encours de prêts s’est contracté rapidement depuis juillet 2018, pour atteindre RMB687 mds mi-2019, soit 1,3% de la dette des ménages (graphique 16 page 9).
Bien qu’il soit indispensable pour contenir les risques de crédit dans le secteur financier, le ralentissement de prêts aux ménages a de toute évidence pesé sur la consommation en 2018 et au S1 2019. De plus, les ménages devraient également commencer à ressentir la hausse du poids du service de la dette.
La dette des ménages, nouvelle menace
Le service de la dette des ménages s’est fortement alourdi depuis 2016. Outre un effet négatif direct sur la consommation, son poids rend les ménages plus sensibles aux hausses de taux d’intérêt et au resserrement de la politique de distribution de crédit par les banques, et contraint leur capacité à s’endetter davantage à moyen terme.
Selon les calculs du Conference Board14, le service de la dette des ménages (prêts au logement + prêts à la consommation) représentait entre 8% et 11% du revenu disponible en 2017, contre 6%-8% en 2015 (et 5%-7% en 2011). Les estimations plus récentes de l’Institute of International Finance situaient le service de la dette à 11% du revenu disponible en 2018 contre 8% en 2015[16]. Ces ratios sont considérés comme modérément élevés, et la situation financière moyenne des ménages reste satisfaisante, notamment confortée par une épargne solide, investie en actifs immobiliers et financiers (les dépôts bancaires et autres actifs financiers représentent plus de deux fois l’encours de la dette des ménages).
Toutefois, la situation est très hétérogène entre les ménages. Ainsi, la part de la dette totale détenue par des ménages surendettés (c’est-à-dire dont la dette dépasse 4 années de revenu) était déjà passée d’environ 25% en 2010 à près de 50% en 2016, selon les estimations du FMI[17]. Ensuite, le poids de la dette en pourcentage du revenu s’est bien plus fortement aggravé pour les ménages aux revenus les plus bas. Or, les inégalités aggravent les effets d’un resserrement du crédit sur la consommation : les ménages les plus pauvres, dont l’endettement est le plus élevé et l’épargne la plus faible, sont aussi les plus vulnérables aux chocs sur le revenu, et ajusteront leur consommation à la baisse plus fortement en cas de diminution des nouveaux crédits. A l’inverse, un assouplissement des conditions de crédit pour les ménages devrait avoir des effets d’autant plus limités sur la consommation que le service de la dette est déjà significatif et très inégalement réparti entre les différentes catégories de revenus.
De fait, l’effet favorable du crédit sur les dépenses des ménages tend à s’atténuer dans le temps et au fur et à mesure que la dette augmente. Selon une étude de la BRI[18], la hausse de la dette des ménages a un effet positif sur la croissance de la consommation privée et du PIB à court terme (horizon d’un an), mais l’effet devient négatif à moyen terme – notamment parce que les ménages doivent allouer une partie croissante de leurs revenus au service de la dette. L’effet négatif sur la consommation à moyen terme est significatif si le ratio de dette sur PIB dépasse 60% (effet de seuil), niveau que la Chine n’a certes pas encore atteint mais dont elle s’approche rapidement (le seuil de 60% devrait être franchi en 2020 dans notre scénario central).
L’ajustement attendu du marché immobilier à moyen terme (développement plus équilibré, hausse des prix du logement plus modérée, mesures de lutte contre la spéculation) pourrait conduire au ralentissement des crédits immobiliers aux ménages, et laisser un peu d’espace aux prêts à la consommation. La marge de manœuvre du recours au crédit pour soutenir la consommation est toutefois étroite.
A court terme, en cas de ralentissement de la croissance plus prononcé qu’attendu, les autorités pourraient assouplir à nouveau leur politique de crédit aux ménages pour stimuler la demande interne et contrer les effets de l’affaiblissement des exportations. Cependant, même dans un environnement réglementaire assaini, la dynamique de hausse de la dette pourrait avoir des effets positifs limités à court terme sur la consommation privée, et des effets négatifs importants à moyen terme (hausse du service de la dette et des risques de crédit pour les banques). De plus, la capacité des ménages à s’endetter davantage est désormais réduite. Il ne faut donc pas s’attendre à un boom de la consommation tiré par le crédit dans les prochaines années.