Le ciel conjoncturel ne cesse de s’assombrir au-dessus de la zone euro. Le bilan des premières données disponibles pour septembre n’est pas bon et cela se voit sur notre baromètre. Au niveau des données d’enquêtes, la zone bleue (relative aux conditions récentes) se rétracte par rapport à la ligne pointillée (relative aux conditions des quatre mois précédents) et même, sur certains indicateurs, par rapport au dodécagone gris (la moyenne de long terme). La situation est inverse pour les données d’inflation. De fait, l’inflation a franchi un nouveau cap, en atteignant 10% en g.a. en septembre selon l’estimation préliminaire d’Eurostat
La conjonction actuelle inédite des chocs - inflationniste, sanitaire, géopolitique, énergétique, climatique, monétaire - devrait avoir raison de la résistance de la zone euro et la plonger en récession à l’horizon des prochains trimestres. La détérioration des enquêtes de confiance cet été en donne des signes avant-coureurs. La récession devrait toutefois rester limitée grâce notamment au soutien budgétaire. Elle serait suivie d’une reprise modérée à la faveur de l’atténuation des chocs. Face à la poursuite de l’envolée de l’inflation, la BCE est passée à la vitesse supérieure. Elle augmenterait encore ses taux de 125 pb d’ici la fin de l’année (portant le taux de dépôt à 2%) et se donnerait ensuite le temps d’évaluer l’ampleur de la modération de la croissance et de l’inflation.
À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. La probabilité est forte que la Banque centrale européenne augmente de 75 points de base ses taux directeurs lors de sa réunion du 8 septembre prochain. La BCE n’a, en effet, guère d’autre choix que de répondre par un geste extraordinaire à la poursuite de l’envolée de l’inflation, et ce malgré l’accentuation du risque de récession. Il s’agit de mettre en pratique les discours hawkish de Jackson Hole et la détermination inconditionnelle affichée à préserver la stabilité des prix.
Au premier semestre 2022, les grandes sociétés non financières de la zone euro ont été plus enclines à contracter de nouveaux prêts bancaires qu’à émettre des titres de dette. Selon les dernières données disponibles, les émissions obligataires sont demeurées à l’étiage aux mois de juillet et d’août. Au début de l’année 2022, les coûts moyens de la dette négociable et des prêts bancaires aux entreprises présentaient des niveaux comparables (pour les entreprises françaises par exemple, 1,1% en janvier 2022 selon les calculs de la Banque de France1). Le coût des prêts bancaires est désormais nettement moindre (1,65%)
En forte accélération depuis le printemps 2021, les encours de crédit au secteur privé ont enregistré, en juin, leur glissement annuel le plus élevé depuis 2009 (+6,1% en juin 2022). Le glissement annuel et l’impulsion du crédit aux sociétés non financières (SNF) atteignaient, pour leurs parts, des niveaux inédits depuis 2006 (+6,8% et +4,9%, respectivement). Selon les banques interrogées par la BCE en juin dans le cadre de sa Bank Lending Survey (publiée le 19 juillet dernier), les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement et le renchérissement des matières premières ont creusé les besoins en fonds de roulement et renforcé la demande de prêts de maturité inférieure à un an.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE a surpris en décidant à la fois d’une hausse de 50 points de base de son taux d’intérêt, d’abandonner la forward guidance et que les données le guideront à l’avenir dans ses décisions de resserrement monétaire. Cela pourrait traduire une appréhension de la banque centrale à propos de la rapidité avec laquelle l’économie de la zone euro pourrait réagir à la remontée des taux et des incertitudes entourant les livraisons de gaz l’hiver prochain. L’autre décision importante de la réunion du 21 juillet a été l’introduction de l’instrument de protection de la transmission (IPT) pour contrer un élargissement injustifié des spreads souverains qui pèserait sur la transmission de la politique monétaire
La réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE de jeudi prochain est très attendue. La décision de relever les taux ayant fait l’objet d’une annonce préalable, la question sera de savoir si le nouvel outil destiné à contrer l’élargissement injustifié des spreads souverains sera dévoilé. Si la justification d’un tel instrument est bien admise, sa conception et son utilisation soulèvent plusieurs questions. La réponse à l’une d’elles est facile. Pour éviter de remettre en cause l’orientation de la politique monétaire, les achats d’obligations par la banque centrale devront être neutralisés. Répondre aux suivantes est plus complexe
L’encours total des découverts, crédits renouvelables, facilités de remboursement et prorogations sur cartes de crédits, accordés par les banques aux sociétés non financières (SNF) de la zone euro, s’établissait en mai 2022 à EUR 535 mds, soit un niveau comparable à celui de mai 2020 après cinq mois de hausses. Depuis son point bas d’août 2021 à EUR 452 mds, l’encours des découverts des SNF a augmenté de 18,3% après une baisse de 35,6% entamée en février 2015.La baisse de l’encours des découverts des SNF s’est accentuée en 2020, probablement en raison des mesures de soutien public mises en place en réponse à la pandémie de Covid-19. Plus particulièrement, les prêts garantis par les États ont permis aux entreprises de bénéficier de ressources à des conditions exceptionnellement attractives
Sur le plan conjoncturel, les mois se suivent et se ressemblent dans la zone euro. Ainsi, l’inflation ne cesse d’augmenter et les enquêtes de confiance de reculer, dans une ampleur qui varie et en ordre dispersé. Si la détérioration de la situation et des perspectives économiques est claire, son importance et sa durée restent incertaines. La probabilité d’une récession s’accroît mais ce n’est pas (encore) une certitude. En effet, d’une part, le niveau d’activité reste élevé et tous les voyants économiques ne sont pas au rouge (notamment ceux concernant le marché du travail) et, d’autre part, la croissance bénéficie de vents porteurs ou, à tout le moins, d’amortisseurs.
Jusqu’ici relativement résistante aux chocs, la croissance de la zone euro devrait plus nettement ralentir dans les prochains mois. Une récession n’est pas à exclure mais ce n’est pas notre scénario central, la croissance disposant aussi de relais importants (rattrapage post-Covid-19, surplus d’épargne, besoins d’investissement, soutiens budgétaires). Notre scénario a certaines apparences de la stagflation mais s’en écarte par une hausse du taux de chômage qui resterait contenue. La BCE s’apprête à amorcer la remontée de ses taux directeurs pour contrer le choc inflationniste. Nous tablons sur une hausse cumulée de 250 points de base du taux de dépôt, ce qui le porterait à 2% à l’automne 2023.
Hier protégé par le « quoi qu’il en coûte », le pouvoir d’achat des Européens est aujourd’hui menacé par l’inflation. À nouveau sollicitées après la pandémie, les politiques publiques s’efforcent de limiter les pertes, sans y parvenir tout à fait. En 2022, le revenu disponible réel des ménages de la zone euro devrait reculer de l’ordre de 2,5%. Si la consommation progresse encore, c’est parce que le taux d’épargne baisse, une tendance qui masque une grande diversité de situations.
Un élargissement injustifié et prolongé des spreads souverains dans la zone euro entraînerait un durcissement excessif des conditions financières et pèserait sur l’activité et la demande. Un tel creusement irait à l’encontre des objectifs de la BCE dans le cadre de la normalisation de sa politique monétaire. Différentes variables fondamentales, directement ou indirectement liées aux questions de viabilité de la dette, influencent les écarts de taux. Or, elles ont tendance à évoluer lentement. Les spreads souverains dépendent également du niveau de l’aversion pour le risque, une variable très fluctuante influencée par des facteurs mondiaux. Tout cela complique l’évaluation du caractère justifié ou non de l’élargissement du spread observé.
Ces dernières semaines, la perspective de plusieurs relèvements de taux par la BCE a provoqué une hausse des rendements des obligations d’État allemandes et de certains spreads souverains de la zone euro. Au-delà d’un certain point, l’augmentation des spreads ne se justifie pas. Dans ces circonstances, la banque centrale pourrait décider d’intervenir pour éviter que cela n’entrave la transmission de la politique monétaire. Or, il est difficile de déterminer quand une hausse de spread souverain est trop forte. Historiquement, la relation (bêta) entre le spread BTP-Bund et les rendements du Bund, calculée sur une fenêtre mobile de 20 semaines, fluctue beaucoup. Il est donc nécessaire de considérer une perspective plus longue
Lors de sa réunion du 10 mars, la BCE avait ouvert la voie à la remontée du taux de dépôt. Le timing de la première hausse restait néanmoins incertain : septembre apparaissait moins probable comparé à quelques semaines plus tôt, juillet était exclu, restait décembre. La temporisation semblait toujours de mise compte tenu des risques baissiers croissants que le choc inflationniste en cours, la guerre en Ukraine et la stratégie zéro-Covid de la Chine font peser sur la croissance de la zone euro. Les données économiques publiées depuis ainsi que les discours hawkish, prononcés par nombre de membres de la BCE, ont accéléré le tempo.
La hausse spectaculaire des prix de l’énergie depuis avril 2021 constitue le principal levier de la flambée actuelle de l’inflation en zone euro. Cette hausse s’est accentuée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier, entraînant la composante « énergie » de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui a crû de 44,4% a/a en mars 2022. Les gouvernements des quatre principales économies de la zone euro se sont mobilisés pour tenter d’amortir le choc pour les acteurs économiques, en particulier sur le pouvoir d’achat des ménages, via différentes mesures : subventions directes, baisses de taxes, réglementation des prix ou revalorisation des revenus
La hausse de l’inflation semble être, de prime abord, une bonne chose pour les gouvernements. Après tout, l’inflation induit une érosion de la valeur réelle de la dette et abaisse le ratio de dette publique sur PIB, la valeur nominale de ce dernier augmentant. Cependant, l’impact de l’inflation sur les finances publiques dépend de l’anticipation de sa hausse par les marchés financiers et de sa persistance attendue. Ces deux facteurs influenceraient le coût de l’emprunt et, par conséquent, la dynamique du ratio de dette via la différence entre ce coût et la croissance nominale du PIB
En l’espace de quelques mois, les perspectives de croissance de la zone euro se sont fortement détériorées, au point de craindre désormais une récession dans le courant de l’année. Entre notre prévision de début 2021 – moment où elle a été la plus élevée (5,5%) – et notre scénario actuel établi mi-mars 2022, la croissance attendue a été divisée par deux environ : nous tablons désormais sur 2,8%. En novembre 2021, nous prévoyions encore 4,2%. Ce chiffre de 2,8% est certes très élevé en apparence, bien supérieur à son rythme tendanciel (1,6% en moyenne par an entre 1996 et 2019), mais il s’appuie sur un acquis de croissance exceptionnellement important de 2,1% au T1 2022 et, pour les trimestres suivants, sur une croissance peu élevée mais positive
De prime abord, la forte dépréciation de l’euro semble être une aubaine pour la Banque centrale européenne. Par son effet mécanique sur les prix à l’importation, elle dissiperait les derniers doutes quant à la nécessité de relever le taux de rémunération des dépôts dans la zone euro. Cependant, on peut craindre que l’affaiblissement de la monnaie européenne n’entame la croissance du fait de son impact sur l’inflation et, par conséquent, sur le pouvoir d’achat des ménages. La prudence s’impose donc en matière de resserrement monétaire. Si une hausse du taux de rémunération des dépôts au second semestre semble acquise, le sujet central est celui de l’ampleur et du calendrier des hausses ultérieures. L’évolution des perspectives d’inflation sera à cet égard déterminante.
En mars 2022, les encours de prêts aux SNF ont décéléré pour la première fois depuis septembre 2021. En raison d’un important effet de base (entre mars et août 2021, la quasi-interruption des souscriptions de prêts garantis par les SNF et les premiers remboursements avaient freiné la progression des encours de crédits), l’impulsion des prêts aux SNF (qui reflète la variation, sur un an, de la croissance annuelle de l’encours) a continué de se redresser – tout en demeurant négative - pour s’établir à -1,0% en mars 2022 (contre -2,6% en février).
L’encours des prêts et avances qui font toujours l’objet de mesures de soutien bancaire, en réponse à la pandémie de COVID-19[1], poursuit sa baisse dans la zone euro. Il s’établit à EUR 444 mds au quatrième trimestre 2021, soit 3,1% du total des prêts contre EUR 494 mds et 3,5% au troisième trimestre 2021. Ces baisses concernent presque exclusivement les prêts soumis à des moratoires conformes aux lignes directrices de l’Autorité bancaire européenne[2] dont le traitement prudentiel préférentiel a pris fin le 31 décembre 2021. L’encours des prêts assortis d’une garantie d’État et des prêts renégociés s’est quasiment stabilisé au quatrième trimestre 2021 à EUR 438 mds
La guerre en Ukraine complique la tâche de la Banque centrale européenne qui doit arbitrer entre lutter contre le risque inflationniste et soutenir la croissance. Lors de sa réunion du 10 mars dernier, les préoccupations concernant l’inflation ont dominé et la fin probable au T3 des achats nets d’actifs dans le cadre du programme APP a été annoncée. La voie est ouverte pour amorcer la remontée du taux de dépôt mais le timing reste très incertain. Le choc inflationniste s’amplifie et la croissance de la zone euro est de plus en plus menacée. La dynamique conjoncturelle préexistante, l’excès d’épargne, les besoins d’investissement et les mesures de soutien budgétaire permettent toutefois de tempérer le risque de stagflation.
Un nombre exceptionnellement élevé d’entreprises de la zone euro envisage d’augmenter les prix de vente. Il est peu probable, au stade actuel, que la croissance des coûts unitaires de main-d’œuvre en soit la principale raison. La hausse des coûts des intrants joue un rôle crucial, de même que la robustesse de la demande. Il est, en effet, plus facile de relever les prix lorsque les carnets de commandes sont remplis. Or, les anticipations de prix de vente sont étonnamment élevées au vu de leur relation historique avec les prix des intrants et les niveaux des carnets de commandes. Il semble que plus le nombre de sociétés augmentant leurs prix est élevé, plus les autres ont tendance à leur emboîter le pas
Une hausse de l’inflation et des anticipations d’inflation, qui reflète une croissance robuste de la demande et de l’activité économique, devrait a priori stimuler les dépenses des ménages via une baisse des taux d’intérêt réels. Il en va tout autrement aujourd’hui. Dans de nombreuses économies avancées, l’inflation est particulièrement élevée et en très grande partie due à des chocs d’offre. Dans l’Union européenne et la zone euro, la confiance des ménages a fortement chuté en mars, malgré les bonnes anticipations du chômage, en raison principalement de l’inflation forte qui se poursuit. Mesurer la confiance des consommateurs de la zone euro permet d’anticiper leurs dépenses dans les trois prochains trimestres
Selon l’estimation flash d’Eurostat, l’inflation dans la zone euro s’est élevée à 7,5% a/a en mars, marquant une nouvelle hausse très importante (+1,6 point par rapport à février). L’inflation reste en grande partie énergétique – la composante « énergie » contribue à hauteur de 4,9 points de pourcentage à ce chiffre, soit 65% du total – mais les autres composantes (alimentation, produits manufacturés, services) se renforcent également et contribuent chacune à hauteur d’environ 1 point. L’inflation se généralise donc et tous les pays de la zone euro sont concernés par le mouvement récent d’accélération, bien qu’à des degrés divers.
Depuis son lancement, le programme d’achat d’actifs de la Banque centrale européenne a eu un impact significatif sur les marchés financiers, l’activité économique et l’inflation, à travers divers canaux de transmission. Ces derniers mois, les doutes concernant les effets positifs d’achats d’actifs supplémentaires et les inquiétudes au sujet de possibles conséquences négatives grandissent. Dans ce contexte, la BCE a décidé de rompre le lien entre la fin des achats et la remontée des taux directeurs, une décision qui permet d’accroître l’optionalité de la politique du Conseil des gouverneurs. Les dernières projections macroéconomiques de la zone euro nous rappelle la forte incertitude actuelle. Par conséquent, la politique monétaire ne peut être que dépendante aux données.