Lors de sa réunion du 10 mars, la BCE avait ouvert la voie à la remontée du taux de dépôt. Le timing de la première hausse restait néanmoins incertain : septembre apparaissait moins probable comparé à quelques semaines plus tôt, juillet était exclu, restait décembre. La temporisation semblait toujours de mise compte tenu des risques baissiers croissants que le choc inflationniste en cours, la guerre en Ukraine et la stratégie zéro-Covid de la Chine font peser sur la croissance de la zone euro. Les données économiques publiées depuis ainsi que les discours hawkish, prononcés par nombre de membres de la BCE, ont accéléré le tempo.
Du côté des données, c’est la combinaison entre inflation forte, euro faible et croissance du PIB relativement résistante qui fait bouger les lignes. L’inflation continue en effet de se renforcer : 8,1% en glissement annuel en mai selon l’estimation flash d’Eurostat (+0,7 point par rapport à avril) ; inflation sous-jacente à 3,8% (+0,3 point par rapport à avril) ; hausse de 4,2% sur 1 an des prix des produits manufacturés et de 3,5% des prix des services ; environ 50% de l’inflation encore due à la composante « énergie », 20% à la composante « alimentation » ; près de 70% des composantes de l’IPCH avec un glissement annuel supérieur à 2% en avril.
A l’exception notable des Pays-Bas, tous les autres pays de la zone euro sont concernés par l’accélération des prix. S’agissant de l’euro, la devise européenne porte la trace du différentiel de politique monétaire entre les deux rives de l’Atlantique : l’euro a perdu 12% contre le dollar depuis un an qu’il a repris le chemin de la baisse (-5% en taux de change effectif nominal). Vers la mi-mai 2022, la parité semblait en ligne de mire, la monnaie unique s’étant dépréciée jusqu’à 1,04 dollar, un niveau qu’elle n’avait pas atteint depuis la mi-décembre 2016.
Un tel affaiblissement de l’euro, s’il est favorable aux exportations, est aussi et surtout une source inopportune d’inflation importée. Concernant la croissance, la résistance évoquée est celle des enquêtes sur le climat des affaires (dont la baisse reste limitée mais on peut craindre qu’elles sous-estiment l’impact négatif du choc inflationniste) et du marché du travail (taux de chômage stable à 6,8% en avril, pour le troisième mois d’affilée).
Dans ce contexte, le mois de juillet devrait marquer le coup d’envoi de la normalisation monétaire de la BCE. Christine Lagarde a en effet annoncé, chose inédite, dans un billet pour le blog de la BCE daté du 23 mai[1], que la remontée de son taux de dépôt pourrait être amorcée lors de la réunion de juillet et que la BCE serait en position de sortir des taux d’intérêt négatifs à la fin du T3, ce qui suggère une autre hausse en septembre.
On devrait retrouver, dans le nouveau jeu de prévisions que la BCE communiquera lors de sa réunion la semaine prochaine, les conditions de croissance et d’inflation sous-tendant ces propos, c’est-à-dire une inflation nettement plus forte et une croissance moins élevée mais sans qu’il faille s’en alarmer[2].
La première hausse du taux de dépôt suivrait donc de très près l’arrêt de l’APP, annoncé au T3, qui se fera donc tout début juillet (lors de la réunion de la BCE, le 21). Dans ce même billet, la présidente de la BCE plaide pour une approche graduelle, ce que l’on peut traduire par des hausses de taux de 25 pb et non de 50 comme certains le défendent. Maintenant que le calendrier des prochains mois est plus clair, l’ampleur de chaque hausse de taux à venir alimente le débat. S’y ajoute, à l’horizon 2023, la question du rythme (à chaque réunion ou pas) et du niveau final (retour au taux neutre ou au-delà), sans parler de l’efficacité de ce resserrement pour juguler l’inflation sans trop peser sur la croissance.