En 2023, l’inflation dans la zone euro devrait très certainement refluer, le PIB se contracter et les taux directeurs de la BCE atteindre leur pic. L’incertitude réside dans l’ampleur de la désinflation et de la récession. Le moment où les taux atteindront leur pic et le niveau de ce pic sont également incertains. Selon nos prévisions, la baisse de l’inflation serait rapide en apparence (l’inflation totale passant d’environ 10% a/a au T4 2022 à 3% au T4 2023) mais elle masquerait une baisse plus lente de l’inflation sous-jacente (qui resterait supérieure à 2% à l’horizon d’1 an, contre 5% aujourd’hui). Face à cette inflation persistante, la BCE porterait son taux de dépôt à 3% d’ici la fin du T1 2023 (+100 pb) et le maintiendrait à ce niveau restrictif tout au long de l’année prochaine, malgré la récession. Celle-ci, que l’on anticipe d’ampleur et de de durée limitées - grâce notamment au soutien budgétaire et à la résistance du marché du travail -, autorise et justifie l’approche restrictive de la BCE.
La récession semble inévitable…
Si la croissance de la zone euro a, de nouveau, favorablement surpris au T3 (+0,3% t/t, relevant l’acquis de croissance à 3,4%), évitant ainsi la contraction attendue de son PIB, la répétition d’une telle performance pour le trimestre en cours, et les deux suivants, paraît difficile. La récession n’est pas certaine mais elle nous semble inévitable. En effet, la confiance des ménages, si elle donne des légers signes de redressement sur les deux derniers mois (octobre et novembre), demeure très déprimée.
La détérioration des enquêtes sur le climat des affaires reste relativement contenue mais elles se situent tout de même en zone de contraction de l’activité (graphique 2). Et nous nous attendons à une poursuite de leur baisse, les pleins effets du choc inflationniste, de la crise énergétique et du resserrement monétaire ne s’étant pas encore fait sentir.
… mais elle pourrait rester d’ampleur et de durée limitées
Le risque d’une récession sévère et prolongée ne peut être écarté compte tenu du cumul et de l’ampleur des chocs susmentionnés. Pour l’heure cependant, le scénario le plus probable est, d’après nous, celui d’une récession qui resterait d’ampleur et de durée limitées. Nous anticipons ainsi une contraction du PIB de 0,4% t/t au T4 2022, puis de -0,5% au T1 2023 et de -0,2% au T2 2023 avant une reprise modérée au second semestre. En moyenne annuelle en 2022, le PIB progresserait de 3,2% avant de reculer de -0,5% en 2023 puis de rebondir de 1,3% en 2024.
Le premier des éléments amortisseurs de la récession attendue sont les importantes mesures de soutien budgétaire engagées aux niveaux nationaux et européen (graphique 3).
À court terme, l’activité devrait également continuer d’être, un peu, soutenue par l’effet de « rattrapage post-Covid » dans les secteurs pouvant encore en bénéficier. L’atténuation des difficultés d’approvisionnement, permettant d’honorer les « arriérés » de commandes, est un autre facteur de maintien de l’activité. Plus globalement, le surcroît d’épargne accumulé par les ménages pendant les confinements et la relativement bonne situation financière des entreprises au début de l’année 2022, constituent des éléments amortisseurs non négligeables. Les ménages et les entreprises ont pu disposer d’une certaine capacité d’absorption des chocs actuels et devraient continuer d’en bénéficier, même si cette capacité a commencé à être entamée par les chocs.
L’importance et l’urgence des besoins d’investissement, dans le numérique et la transition énergétique notamment, représentent un autre facteur de croissance important, même s’il pourrait être tempéré par des contraintes de main d’œuvre et des conditions de financement moins favorables. Cette vague d’investissements verts pourrait aider à un atterrissage en douceur de l’économie à l’instar des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication qui avaient contribué au soft landing américain dans la deuxième moitié des années 90.
La bonne tenue du marché du travail jusqu’ici est encourageante. Nous voyons aussi la persistance des difficultés de recrutement (pour partie le reflet du dynamisme de l’emploi) comme un élément de résistance propre à ce cycle. Ce facteur est important face au ralentissement de l’activité car il est propice à un comportement de rétention de main d’œuvre de la part des entreprises (graphique 3). Nous comptons sur ce comportement pour limiter la hausse prévisible du taux de chômage et les effets d’entraînement de la détérioration du marché du travail sur l’activité. Dans notre scénario, la limitation de la baisse de l’activité et de l’emploi s’auto-entretiendrait.
La désinflation attendue en 2023 représente un autre facteur de soutien, en relâchant la pression baissière sur la confiance des agents, le pouvoir d’achat des ménages et les marges des entreprises. La désinflation marquera également l’arrêt de la hausse des taux courts, ce qui doit aussi jouer favorablement sur les anticipations et les comportements.
Des facteurs de soutien mais des risques baissiers aussi
Notre prévision pour 2022 est similaire à celle de la moyenne du Consensus de décembre mais nettement plus négative pour 2023 (à hauteur de 0,4 point, sachant que la fourchette du Consensus est large, entre la prévision la plus haute, à +1,3%, et la plus basse, à -1,4%). Bien que notre scénario soit déjà relativement négatif, les risques baissiers nous semblent tout de même prédominer. La réaction des entreprises (marges sous pression), du marché du travail, des marchés immobiliers et de la sphère financière aux chocs en cours pourrait être plus négative qu’anticipé, avec un effet de contagion supplémentaire possible venant des États-Unis (la récession attendue outre-Atlantique intervenant plus tard que dans la zone euro, entre le T2 et le T4 2023). L’ampleur de la désinflation reste incertaine. L’épidémie de Covid-19 demeure un facteur de risque important.
Un choc financier, venant s’ajouter aux autres, ne peut être écarté. Les bilans bancaires sont certes plus solides, les ménages et les entreprises de la zone euro ne sont pas plus endettés qu’en 2007[1], avant la crise des subprime, mais les administrations publiques le sont beaucoup plus. En outre, il existe des vulnérabilités importantes du côté des acteurs financiers non régulés, des segments de marché les plus risqués et de ceux où la liquidité pourrait soudainement faire défaut.
En Europe, l’approvisionnement en énergie, et en gaz en particulier, reste une importante épée de Damoclès. Ce risque, qui est propre à la zone, s’ajoute à un effet « prix de l’énergie » déjà sensiblement plus important qu’aux États-Unis par exemple et aussi important qu’au moment des chocs pétroliers des années 1970[2]. La détérioration des termes de l’échange et la perte de revenu réel associée serait même supérieure selon des estimations de l’ESM (European Stability Mechanism). Au 1er trimestre 2022, cette perte a été évaluée à 1,7% du PIB, un chiffre déjà supérieur à celui calculé pour 1974 (-1,3%), et qui n’a pu que grossir depuis étant donné la hausse des prix de l’énergie.
Enfin, les banques centrales doivent gérer un défi de taille : celui de bien calibrer le resserrement monétaire (ni trop, – pour ne pas trop nuire à la croissance – ni trop peu, – pour juguler l’inflation au plus vite). Si dans notre scénario, nous supposons qu’elles relèvent ce défi, le risque d’erreur est non négligeable. Dans son World Economic Outlook d’octobre 2022, le FMI estime à 25% la probabilité que la croissance mondiale en 2023 soit inférieure à 2% (ce qui n’est arrivé que 5 fois depuis 1970 : en 1973, 1981, 1982, 2009 et 2020). Le niveau élevé de cette probabilité illustre l’ampleur des risques baissiers[3].
Résolution de la BCE
En procédant à une hausse de 50 pb lors de sa réunion du 15 décembre (après deux relèvements de +75 pb en septembre et en octobre), la BCE a marqué une première inflexion dans son cycle de resserrement monétaire engagé en juillet. Cette inflexion est fondée sur de premiers signaux encourageants sur le front de la désinflation mais aussi sur des signaux plus défavorables sur le front de la croissance. S’il approche de son terme, le cycle ne serait toutefois pas encore terminé : nous nous attendons à ce que la BCE procède à deux autres hausses de ses taux directeurs en février et mars 2023 (de 50 pb chacune), portant le taux de dépôt à 3% et le taux de refinancement à 3,50%. La BCE les maintiendrait à ce niveau restrictif tout au long de 2023, malgré la récession, faute d’une baisse suffisamment importante de l’inflation sous-jacente, vers l’objectif de 2%, à l’horizon de la fin de l’année prochaine. Pour renforcer son action, la BCE engagera en 2023 un autre tournant monétaire important, celui du resserrement quantitatif (QT) pour commencer à dégonfler son bilan. Cette normalisation, contrairement à celle à marche forcée de ses taux, devrait être faite à pas comptés. La BCE devra aussi manœuvrer entre flexibilité et prévisibilité.
Hélène Baudchon