L’Espagne est désormais le pays de la zone euro avec le taux d’inflation le moins élevé : 6,7% en novembre en glissement annuel. Les mesures gouvernementales visant à juguler l’augmentation des prix énergétiques portent leurs fruits, même si l’IPC sous-jacent progresse toujours significativement. Le reflux de l’inflation devrait se poursuivre en 2023, mais le gouvernement ne relâchera pas la pédale budgétaire pour autant. Le budget 2023, en débat au Parlement, prolonge la plupart des mesures de soutien jusqu’à la fin de l’année prochaine. Face à la remontée des taux immobiliers, Madrid a assoupli les conditions de remboursement des ménages en facilitant la restructuration des prêts et en autorisant un gel temporaire des mensualités. En plus de la crise énergétique, le gouvernement doit en effet gérer le risque de crédit dans un pays encore marqué par la crise bancaire et immobilière de la décennie passée. Les ménages, dans leur ensemble, sont toutefois moins endettés que par le passé.
Après avoir atteint un pic à 10,7% en juillet, l’inflation des prix à la consommation a nettement reflué pour retomber à 6,7% en novembre.
L'économie espagnole, qui a subi la hausse des prix énergétiques et, en conséquence, une poussée de l’inflation plus précoce que ses voisins européens – la barre des 2% avait été franchie dès le mois d’avril 2021, trois mois avant la zone euro – enregistrait en novembre le taux le plus faible de l’Union monétaire.
L’« exception ibérique », en place depuis le printemps 2022, qui consiste à limiter le prix du gaz – afin que le prix de l'électricité ne dépende pas de cette énergie qui est la plus onéreuse – a porté ses fruits. Le plafonnement de la hausse des prix réglementés du gaz et le recul du cours mondial des matières premières énergétiques ont aussi offert un peu d’air.
Par ailleurs, le gouvernement a prolongé, jusqu’à la fin 2023, le plafonnement de la hausse des tarifs réglementés du gaz à 5% pour les ménages et les collectivités publiques éligibles au tarif dit de dernier recours du gaz (TUR). La majorité des consommateurs y est éligible. Les autorités ont également renforcé, jusqu’à la fin de l’année prochaine, le bonus social qui permet de réduire la facture d’électricité jusqu’à 80% pour les ménages les plus modestes. Conjugué à des effets de base importants, les prix énergétiques pourraient chuter en déflation cet hiver. Cela dit, les pressions inflationnistes sous-jacentes restent élevées et ne faiblissaient pas jusqu’en octobre (6,2% a/a). Les enquêtes de confiance des entreprises, notamment les PMI pour les services, n’indiquent pas encore de retournement des dynamiques de prix de vente, qui se maintiennent à un niveau historiquement élevé (l’indice PMI des prix de vente pour les services est même remonté à 60 en novembre).
Sous l’effet du choc inflationniste et de la crise énergétique, nous prévoyons désormais une contraction de l’activité en Espagne au cours des deux prochains trimestres. Le PIB réel a légèrement progressé au troisième trimestre (+0,2% t/t) mais reste toujours 2% en dessous de son niveau de fin 2019. La consommation, principal moteur de la croissance du pays, montre peu de signes de reprise tangibles.
Malgré le déficit de croissance de l’activité, le marché du travail fait mieux que résister. Selon l’agence pour l’emploi espagnole (SEPE), après une stabilisation depuis le début de l’année, le chômage a chuté significativement en octobre et novembre (-166 500 demandeurs d’emploi sur les deux mois) pour s’inscrire à son plus bas niveau depuis 14 ans. Le nombre de personnes en emploi progressait en novembre (+79 000 postes, chiffres corrigés des variations saisonnières), pour le dix-septième mois consécutif. Si le volume d’emplois reste inchangé en décembre, les embauches clôtureront l’année 2022 en hausse de 2,4%, un chiffre très solide compte tenu du choc économique subi par les économies européennes cette année.
Dans le même temps, le nombre de contrats à durée indéterminée (temps partiel et complet réunis) augmente de 103 000 en novembre et représente désormais plus de 70% des emplois totaux. Cette part n’était que de 62% à la fin de l’année 2021, quelques semaines avant l’entrée en vigueur, en février 2022, de la nouvelle loi Travail, dont la principale mesure visait à durcir les conditions de recours aux contrats précaires pour encourager les embauches en CDI. Il semble que cette loi porte ses fruits.
Le versement plus important de fonds du Plan de relance et de résilience national (PRR) constituera un autre soutien à l’activité en 2023. Le volume des financements pour ce programme s’est déjà accru sensiblement en 2022, avec EUR 19 mds débloqués au cours des neuf premiers mois de l’année, soit EUR 7 mds de plus qu’à la même époque l’année précédente. Ces fonds sont en totalité financés par les subventions européennes provenant du plan « Facilité pour la reprise et la résilience », dont les versements (EUR 69 mds au total) auront lieu majoritairement en 2022 et 2023. La ministre de l’Économie, Nadia Calviño, a officialisé fin novembre la requête de l’Espagne visant à obtenir une nouvelle tranche de subventions, la troisième, de EUR 6 mds, qui devrait être versée avant la fin de l’année.
Le secteur immobilier, nouvelle source de fragilité
Avec la hausse des taux de refinancement en zone euro, les conditions et les coûts d’emprunts immobiliers en Espagne se sont renchéris, passant d’un taux moyen de 1,5% en fin d’année 2021 à 2,4% en septembre 2022.
Cette hausse, modeste mais qui est vouée à s’amplifier à mesure que la BCE poursuit le relèvement de ses taux directeurs, a déjà conduit à un recul des nouveaux crédits bancaires (-0,4% entre août et octobre, plus forte baisse en trois mois depuis juin 2020). Conséquence d’un marché tendu par des contraintes d’offre, la progression des prix immobiliers dans le pays ne fléchit pas : ils ont bondi de 1,7% m/m et de 9,1% a/a en octobre, soit le rythme annuel le plus élevé depuis plus de 15 ans (graphique 2).
Si une baisse du volume d’activité immobilière est attendue en 2023, l’évolution des prix, qui dépend de l’équilibre entre offre et demande, reste plus difficile à évaluer.
Outre la question énergétique, les ménages sont donc confrontés au renchérissement de leurs crédits. Certes, les prêts immobiliers ont connu depuis quelques années un profond changement de structure, avec un basculement important des emprunts à taux variables vers les taux fixes. Ces derniers, qui représentaient moins de 5% des nouveaux crédits immobiliers en 2011, comptent désormais pour deux tiers des originations en septembre 2022 (cette tendance a toutefois commencé à s’inverser à nouveau avec la hausse des coûts du crédit, redonnant de l’attractivité aux prêts à taux révisables).
Pour les ménages qui ont profité de la période de taux bas pour obtenir et pérenniser des conditions d’emprunt plus avantageuses et stables, le durcissement des conditions de crédit aura un impact logiquement faible.
Toutefois, la part des taux variables dans le total des encours de crédit reste minoritaire. Les difficultés de paiement devraient donc s’amplifier en 2023, même si l’amélioration du marché de l’emploi limite quelque peu ces risques. De plus, l’endettement des ménages espagnols reste bien en dessous de ce qu’il était au seuil de la crise financière de 2008. Rapporté au revenu disponible brut, l’endettement des ménages se situait à 89,3% au T2 2022, contre 136% au pic enregistré au T2 2008 (graphique 3).
Soucieux néanmoins de l’impact de cette hausse des taux sur la situation financière des ménages propriétaires les moins aisés, le gouvernement a intégré dans le budget 2023 des mesures de protection ciblées : facilité de restructuration des prêts immobiliers, gel des mensualités pendant 12 mois et rallongement possible de la durée du prêt (jusqu'à sept années supplémentaires). En parallèle, la mesure de plafonnement de la hausse des loyers à 2% en annuel, introduite pour la première fois en mars 2022, a été prolongée en 2023.
Côté entreprises, la hausse des coûts de refinancement devrait être plus rude en Espagne qu’en France ou en Allemagne notamment, du fait du recours à davantage de prêts à taux variables et à échéance plus courte[1].
Guillaume Derrien