La dépréciation du yuan depuis le début de l’année et les sorties d’investissements de portefeuille ont largement résulté des évolutions divergentes des taux d’intérêt chinois et américains. Elles sont aussi le reflet d’une perte de confiance des investisseurs et de la dégradation des perspectives de croissance économique en Chine. La position financière extérieure de la Chine est en revanche toujours très solide.
Le yuan a perdu 11% de sa valeur contre le dollar depuis le début de l’année, soit une dépréciation d’une ampleur quasiment similaire à celle de 2015-2016. Cet affaiblissement est d’abord lié au renforcement général du dollar, qui accompagne le resserrement monétaire américain depuis le mois de mars. La dépréciation du yuan en termes effectifs nominaux a, de fait, été beaucoup plus modérée : l’indice CFETS (calculé par le China Foreign Exchange Trade System sur la base d’un panier de 24 monnaies) n’a baissé que de 5% sur les onze premiers mois de 2022. Toutefois, l’affaiblissement du yuan a également résulté de facteurs internes et de l’évolution de la balance des paiements chinoise.
Alors que les taux d’intérêt américains ont augmenté rapidement en 2022, les autorités chinoises ont au contraire assoupli (modérément) leur politique monétaire afin de stimuler une demande intérieure en berne, en l’absence de pressions inflationnistes fortes. Le différentiel entre les taux d’intérêt américains et chinois s’est alors inversé puis accru, ce qui a considérablement modifié les conditions de financement internationales et les déterminants des flux de capitaux.
Dans ce contexte, la Chine a enregistré d’importantes sorties de capitaux, notamment du fait d’opérations d’arbitrage de taux. Dans la balance des paiements, les sorties nettes d’investissements de portefeuille (IP) ont atteint le niveau record de USD 159 mds au S1 (-1,8% du PIB). Elles ont résulté d’une hausse des sorties nettes de la part des résidents (dont les flux d’IP sont structurellement négatifs) et de ventes de titres chinois (principalement obligataires) par les non-résidents (dont les flux d’IP ont représenté -0,9% du PIB au S1 2022, devenant négatifs pour la première fois depuis le S2 2015). On estime que les sorties nettes totales d’IP se sont poursuivies (en s’atténuant) sur le reste de l’année.
Les entreprises les plus dépendantes aux crédits extérieurs (notamment les promoteurs immobiliers) ont rencontré des difficultés dans ces conditions, mais les conséquences sur la capacité globale de la Chine à couvrir ses besoins de financement extérieur sont faibles. D’abord parce que les autres composantes de la balance des paiements sont mieux orientées. Du côté du compte financier, les flux nets d’investissements directs (ID) ont diminué mais sont restés positifs sur les trois premiers trimestres de 2022 ; et les sorties nettes liées aux flux de dette et aux autres investissements se sont réduites (en partie grâce à la baisse de l’encours des crédits chinois à l’étranger). Le risque d’une fuite massive de capitaux est, de fait, contenu par l’existence de contrôles, renforcés depuis 2015, visant à limiter les sorties de capitaux des résidents notamment. Du côté du compte courant, l’excédent a continué d’augmenter, atteignant le niveau record de USD 310 mds sur les trois premiers trimestres (+2,4% du PIB).
Ensuite, la Chine reste peu dépendante aux financements extérieurs en dépit de son ouverture graduelle aux investisseurs étrangers. Sa balance de base (solde courant + ID) est positive, sa dette extérieure est faible (15% du PIB) et la participation des investisseurs étrangers sur ses marchés financiers reste modeste (ils représentaient 3% du stock total d’obligations locales à fin 2021, mais 11% du stock d’obligations du gouvernement, et moins de 5% de la capitalisation boursière).
Enfin, la Chine est dotée d’une position de liquidité extérieure très solide. Ses réserves de change (USD 3052 mds à fin octobre) suffisent largement à couvrir la dette extérieure et à se protéger des épisodes de sorties de capitaux. Les réserves n’ont que légèrement diminué ces derniers mois, d’autant plus que la banque centrale est peu intervenue sur le marché des changes pour contenir la dépréciation du yuan. Elle a préféré user de mesures prudentielles (telles que la baisse du coefficient de réserves obligatoires sur les dépôts en devises). En outre, les autorités pourraient se satisfaire d’un yuan plus faible pour aider le secteur exportateur.
À court terme, cependant, l’affaiblissement de la demande mondiale continuera de freiner les exportations. L’excédent courant devrait se réduire, générant de nouvelles pressions sur le yuan. L’évolution des flux de capitaux, et donc du taux de change, est plus incertaine. L’écart de taux entre États-Unis et Chine devrait diminuer quand la Réserve fédérale interrompra son cycle de resserrement monétaire (ce qui est attendu au T1 2023) et en supposant que les perspectives de croissance en Chine s’améliorent. Toutefois, les investisseurs devraient rester prudents, leur confiance ayant été affaiblie ces deux dernières années par la politique zero Covid de la Chine, la crise du secteur immobilier, la montée du risque réglementaire et les tensions géopolitiques.
Christine Peltier