Eco Perspectives

Allemagne : quelle sera l'intensité de la récession?

15/12/2022
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La croissance pour le moins inattendue du PIB allemand, +0,4% t/t au T3, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Si la puissance des derniers effets de rattrapage a surpris le consensus, qui ne s’attendait pas à un tel dynamisme de l’activité au T3, nul doute que les moteurs de la croissance allemande sont en train de caler un à un. La conjoncture est en effet extrêmement défavorable : inflation record, crise énergétique, chute de la demande mondiale, etc. Après un baroud d’honneur au T3, il semble donc peu probable que L’Allemagne puisse continuer d’afficher une croissance positive sur les trois derniers mois de l’année. Si l’entrée en récession est quasiment entérinée, la question de son intensité est beaucoup plus ouverte.

Croissance et inflation

Au 3e trimestre, le PIB allemand a pleinement profité de la fin des effets de rattrapage pour afficher une croissance inespérée de +0,4% (t/t) après +0,1% au 2e trimestre.

Cette hausse de l’activité a été permise par le redressement des postes de la demande qui opéraient encore nettement en dessous de leur niveau d’avant-Covid. C’est le cas de la consommation privée, soutenue en particulier par les dépenses dans l’hébergement-restauration, qui a progressé de +1% au 3e trimestre (t/t). Mais cela concerne aussi les investissements en machines et équipements, qui partaient d’un niveau très dégradé et qui ont progressé de 2,7% (t/t) sans toutefois retrouver leur niveau de la fin 2019 (-2,5%).

Un climat conjoncturel très dégradé qui pèse sur les moteurs de la croissance

Ces effets de rebond, presque mécaniques, ne doivent pas faire oublier le contexte extrêmement défavorable dans lequel se trouve l’Allemagne. Les entreprises et les ménages témoignent de leur forte inquiétude dans les enquêtes de conjoncture. D’après l’enquête menée par l’institut IFO, le sentiment sur la situation actuelle des chefs d’entreprises a atteint un plus bas niveau en novembre depuis le début de l’année. Dans chaque secteur de l’économie, le climat se situe bien en deçà de sa moyenne de long terme : services (-23 points), commerce de détail (-20 points), commerce de gros (-20 points), industrie (-16 points), construction (-6 points). Et la confiance des consommateurs est ressortie très dégradée pour le mois de décembre (-44 points sous sa moyenne de long terme).

Si le message radical envoyé par les enquêtes ne se retrouve pas pleinement dans les données dures, la baisse de nombreux indicateurs est déjà visible depuis le début de l’année. La production industrielle est en recul de 2,3% et ne donne aucun signe d’amélioration, car la demande adressée à l’industrie dévisse avec des nouvelles commandes qui ont diminué de 12% depuis le début de l’année. Le corollaire de cet affaiblissement de la production industrielle est la perte de dynamisme des exportations allemandes. Hormis une exception au 1er trimestre 2022, les échanges extérieurs contribuent négativement à la croissance depuis la mi-2021. La détérioration de la balance commerciale est massive puisque début 2022, l’Allemagne dégageait encore plus de EUR 10 mds d’excédent par mois alors qu’en septembre ce surplus ne représentait plus que EUR 4 mds.

Du côté des moteurs de la demande intérieure, la consommation des ménages est freinée par une inflation à deux chiffres qui érode le pouvoir d’achat. Cela est notamment visible dans la consommation de biens avec des ventes au détail en baisse de 5% depuis le début de l’année. Pour ce qui est de l’investissement, les entreprises se montrent frileuses dans la réalisation de leurs projets d’investissement tant l’incertitude sur l’activité à venir est grande. Cette prudence conduit l’investissement à évoluer toujours sous son niveau d’avant-Covid.

Le pivot de l'inflation

L’inflation outre-Rhin reste à des niveaux historiquement hauts (+10% sur un an au mois de novembre). Il faut remonter au lendemain de la 2nd Guerre mondiale pour retrouver de tels chiffres, où l’inflation avait atteint +11,4% en octobre 1951 à la suite d’une violente déflation sur l’ensemble de l’année 1950. Toutefois, cette inflation n’a pas vocation à durer dans le temps et les premiers signaux d’inflexion apparaissent. Tout d’abord, l’inflation s’est légèrement repliée entre octobre et novembre (de +10,4% a/a à +10% a/a), signe peut-être d’un pivot sur le 10e mois de l’année 2022. Ensuite, les prix à la production dans l’industrie, qui sont en amont des prix à la consommation, ont enregistré une forte baisse, passant de +45,9% de hausse sur un an en septembre à +34,6% en octobre.

Comme cette inflation ne s’accompagne pas d’une revalorisation aussi importante des salaires, le pouvoir d’achat des ménages en pâtit. En effet, le salaire horaire par travailleur (incluant les primes) a nettement ralenti au 3e trimestre à +2,2% sur un an (après +5,4% au 2e trimestre). L’OCDE, dans ses dernières perspectives économiques, calcule ainsi que les salaires réels par tête ont diminué de plus de 4% (a/a) au 3e trimestre en Allemagne. À titre de comparaison, ils reculent de moins de 1% en France sur la même période.

Par ailleurs, les dernières renégociations salariales obtenues par le puissant syndicat IG Metall ne permettront pas un rattrapage des prix par les salaires. Les accords conclus pour les travailleurs de l'électrométallurgie prévoient une hausse des salaires de 5,2% en juin 2023, suivie d’une augmentation de 3,3% au 1er mai 2024. Ces revalorisations seront accompagnées d’une prime de EUR 3000 qui sera divisée en deux tranches, l’une en mars 2023 et la seconde en 2024. D’après nos estimations, ces accords devraient conduire à une augmentation globale des revenus de l’ordre de 5,6% en 2023, puis de 4,6% en 2023 pour près de 4 millions de salariés. Mais ce calcul ne tient pas compte des entreprises qui vont s’extraire des accords collectifs du fait de leur situation financière trop dégradée. Or, il est possible qu’une part plus importante qu’à l’accoutumée d’entreprises se retire des accords de branche puisque la flambée des coûts de production met à rude épreuve leurs marges et leur rentabilité.

Un marché du travail en trompe-l'œil

Emploi et heures travaillées en Allemagne

Comme dans les autres pays européens, le marché du travail allemand a bien résisté jusqu’ici aux multiples chocs qui frappent l’économie. Le taux de chômage au sens du BIT se situe à son niveau d’avant-Covid, autour de 3%, et le nombre de personnes en emploi en septembre dépasse de 0,4% son niveau de fin 2019. Cependant, cette bonne dynamique s’est arrêtée en mai dernier puisque depuis lors les créations nettes d’emplois atteignent 0%. De plus, une spécificité du marché allemand réside dans le fait que le nombre d’heures travaillées reste en deçà de son niveau pré-Covid (-0,4%, graphique 2). Autrement dit, le nombre de personnes en emploi a augmenté mais une part des contrats proposés s’est précarisée avec une hausse des contrats à temps partiel contraint.

La crise a également accéléré les divergences sectorielles. Si certains secteurs ont massivement embauché de la main d’œuvre depuis la fin 2019, comme l’information-communication (+8,4%) ou le secteur public (+4,6%), d’autres en revanche ont détruit de l’emploi comme le secteur manufacturier (-3,1%) ou le commerce et l’hébergement/restauration (-1,7%).

En parallèle, les difficultés de recrutement se sont considérablement accentuées. Au 4e trimestre 2022, les entreprises industrielles sont 41% (contre 16% au T4 2019) à mentionner le manque de main d’œuvre comme facteur limitant leur production dans l’enquête de la Commission européenne. Ce taux atteint 38% dans le secteur de la construction et 41% dans le secteur des services (contre respectivement 13% et 27% au T4 2019). Et ce, dans un contexte où le taux d’emplois vacants est à un niveau record (4,8% au T3 2022 contre 3,4% au T4 2019). Cela témoigne d’une dégradation de la qualité d’appariement sur le marché du travail.

Un soutien gouvernemental historique

Malgré une réponse publique plus tardive que dans les autres pays européens, le gouvernement allemand a décidé d’intervenir massivement pour soutenir son économie. Cela devrait permettre au pays de ne connaître qu’une contraction modérée et limitée dans le temps de l’activité.

Le 4 septembre dernier, Olaf Scholz annonçait un nouveau paquet de mesures[1] pour un montant de EUR 65 mds, suivi le 29 septembre d’un « bouclier de défense » de EUR 200 mds[2]. Cette enveloppe financera, d’une part, le maintien d’un taux de TVA réduit sur l’énergie à 7% jusqu’au printemps 2024 et le plafonnement des prix du gaz et de l’électricité pour les ménages et les entreprises. Le gouvernement subventionnera 70 % de la consommation normale de gaz et d’électricité des entreprises (basée sur la consommation de l’an passé) et subventionnera 80% de celle des ménages. Concernant la tarification, le plafonnement des prix du gaz pour les entreprises sera fixé à 7 centimes par kilowattheure (kWh) contre 12 centimes par kWh pour les ménages (sauf pour le chauffage : 9,5 centimes par kWh). Concernant l’électricité, le mécanisme prévoit un plafonnement à 40 centimes par kWh pour les ménages et à 13 centimes par kWh pour les entreprises de grande taille. Toutes ces mesures doivent entrer en vigueur au 1er janvier 2023 hormis le plafonnement des prix du gaz pour les ménages, qui devait entrer en vigueur le 1er mars 2023, mais qui pourrait finalement être avancé au 1er janvier d’après les dernières informations du gouvernement.

Pour rappel, la facture moyenne de gaz annuelle pour un foyer allemand a augmenté d’environ 250% en octobre sur un an, d’après les données du comparateur des prix énergétiques Check24. À titre d’exemple et sur la base des prix du mois d’octobre, où le prix du kWh est ressorti à EUR 0,186, la mise en place du plafonnement des prix permettra d’économiser un peu plus de EUR 1 000 pour un ménage moyen ayant une consommation de 20 000 kWh par an. Le ministère de l'Économie estime, à ce stade, que le dispositif devrait coûter EUR 54 mds à l'État fédéral d'ici fin avril 2024, dont EUR 21 mds seront à destination des entreprises.

Ce soutien public massif va permettre de soulager significativement les coûts de production des entreprises. La grande crainte du gouvernement allemand n’est autre que la perspective de voir son tissu industriel se déliter ou être délocalisé aux États-Unis. De plus, les transferts aux particuliers vont aider à soutenir le pouvoir d’achat des ménages en 2023 afin de préserver au mieux la consommation.

L’Allemagne ne devrait donc pas pouvoir échapper à une récession économique, mais elle devrait être relativement courte et peu profonde. C’est le scénario le plus plausible.

Achevé de rédiger le 5 décembre 2022

Anthony Morlet-Lavidalie


[1] Cf l’EcoWeek du 19 septembre pour le détail des mesures

[2]Cf l’EcoWeek du 17 octobre

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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