Eco Perspectives

France : année zéro

15/12/2022

Le chiffre zéro devrait marquer la croissance française en 2023. L’acquis de croissance serait nul, une performance négative au 4e trimestre 2022 (imputable en partie à une nouvelle baisse de la consommation des ménages) annulant vraisemblablement la performance positive observée au 3e trimestre. La dynamique de croissance trimestrielle attendue en 2023 ne devrait pas apporter davantage. Une contraction du PIB est anticipée au 1er trimestre, principalement en raison d’une nouvelle hausse de l’inflation et d’un déstockage attendu de la part des entreprises. Le rebond, qui devrait intervenir à partir du 2e trimestre, ne ferait que compenser la baisse enregistrée au 1er trimestre. Une croissance annuelle moyenne à zéro donc, avec une période de récession atypique au tournant de l’année. Les entreprises françaises continueront de subir des contraintes d’offre prédominantes, ce qui devraient les inciter à continuer à investir.

Une activité élevée au 3e trimestre 2022

Croissance et inflation

Au 3e trimestre, la croissance française a bénéficié, à la fois, d’effets de rattrapage post-Covid et de l’anticipation de la production en prévision d’un hiver difficile, qui lui ont permis de continuer à s’élever au-delà de ce que les conditions laissaient prévoir (0,2% t/t au 3e trimestre, après déjà +0,5% t/t au 2e trimestre).

Les effets de rattrapage soutiennent la production de services depuis le 2e trimestre, en particulier ceux associés aux dépenses de tourisme et de loisirs des ménages. Ces dépenses ont été faites au détriment d’autres dépenses en raison de contraintes de pouvoir d’achat. Ces effets de rattrapage ont également entraîné, grâce à la réduction des difficultés d’approvisionnement, une hausse de la production automobile ainsi que des machines et équipements, permettant un rebond de l’investissement des entreprises (+3,1%t/t).

Le phénomène d’anticipation de la production (dans l’industrie et le bâtiment) et des approvisionnements (en énergie) a, quant à lui, entraîné un accroissement des stocks (contribution de 0,3pp, supérieure à la croissance du PIB au 3e trimestre).

Un premier bilan de la croissance en 2022

Contributions à la croissance en 2022 : décomposition entre l'acquis et la dynamique

Selon nos prévisions, sur l’ensemble de l’année 2022, les stocks auront constitué la principale dynamique de la croissance, avec, en second lieu, l’investissement des entreprises (cf. graphique 2[1]). Le restockage estimé en 2022 compense intégralement la contribution négative des variations de stocks en 2020 et en 2021.

Les autres postes, singulièrement la consommation des ménages et la consommation publique, ont surtout apporté à la croissance du PIB leur acquis de croissance. En d’autres termes, si la consommation des ménages a été supérieure en 2022 à celle de 2021, c’est essentiellement en raison des restrictions sanitaires qui ont pénalisé cette dernière au printemps 2021, tandis que sa dynamique propre a été négative en 2022. Cela s’explique essentiellement par le choc sur le pouvoir d’achat subi au 1er semestre 2022 et qui n’aura pas été contrebalancé par le rebond de celui-ci au 3e trimestre (la consommation des ménages a été stable au 3e trimestre). Un autre élément expliquant la mauvaise tenue de la consommation tient dans le fait qu’une partie est restée contrainte par des problématiques d’offre, notamment la consommation automobile.

Récession technique

Nous anticipons une récession, c’est-à-dire deux trimestres consécutifs de croissance négative, au 4e trimestre 2022 et au 1er trimestre 2023. Cette anticipation est tout d’abord fondée sur la diffusion progressive d’un nouveau choc inflationniste (cf. graphique 3). Ce dernier a deux causes : la sécheresse de l’été 2022, et ses conséquences sur l’inflation alimentaire, et une nouvelle hausse des prix de l’énergie.

Prix à la consommation : évolutions cumulées entre 2021 et 2023

La hausse des prix alimentaires est très conséquente (+12,2% en novembre a/a) et se reflète dans l’évolution de la consommation des ménages en biens au mois d’octobre, très négative (-2,8% m/m). Mesurée par habitant, la consommation alimentaire est ainsi la plus faible depuis 1988. La baisse de la consommation d’énergie contribue également à la nette baisse de la consommation en biens en octobre et semble s’être poursuivie en novembre selon les données de RTE. Ces deux éléments devraient rapprocher l’économie française d’une contraction du PIB au 4e trimestre.

La hausse annoncée des prix réglementés du gaz et du pétrole, de 15% début 2023, et le retrait de la ristourne généralisée sur le carburant devraient engendrer un nouvel accroissement de l’inflation énergétique. En parallèle, la hausse du prix de gros de l’électricité que subissent les entreprises devrait conduire les prix des biens manufacturés et des services à la hausse, en particulier ceux qui sont ajustés de façon calendaire au 1er janvier (les transports notamment) ou au terme des négociations annuelles sur les prix dans la grande distribution.

Tous ces éléments devraient se cumuler pour porter l’inflation au-delà de 7% en début d’année 2023 (6,2% a/a en novembre 2022 selon l’estimation préliminaire). En résulteront des replis du pouvoir d’achat (-0,6% t/t au 1er trimestre et -0,4% au 2e après +1% t/t au 4e trimestre 2022 selon notre scénario) et de la consommation des ménages (-0,4% t/t au 4e trimestre, puis -0,2% t/t au 1er trimestre 2023), dans un contexte de hausse du taux d’épargne (17,2% en moyenne en 2023, contre 16,7% en 2022).

La production que les entreprises semblent avoir anticipée au 3e trimestre pourrait engendrer un ajustement ultérieur à la baisse et donc la poursuite d’une croissance négative au 1er trimestre 2023. En effet, les stocks apparaissent nettement supérieurs à leur niveau moyen dans les dernières enquêtes de conjoncture menées par l’Insee dans l’industrie. L’indicateur de cette enquête qui concerne la production récente s’est détérioré au mois de novembre, quoique dans une ampleur modérée.

De fait, le timing précis du contrecoup attendu sur la production dépend largement de la vitesse avec laquelle les stocks se résorberont, ainsi que de la capacité des entreprises à poursuivre leur production dans de bonnes conditions plus longtemps que prévu (dans la mesure où l’automne a été plus doux qu’anticipé et qu’il n’a donc pas engendré de tension sur l’offre d’énergie), des conditions clémentes qui ont bénéficié à plein au secteur de la construction.

En parallèle, le secteur de l’automobile a vu ses difficultés d’approvisionnement se réduire nettement. Cela a permis à la production de combler une partie de son retard sur la demande (qui se reflétait dans des carnets de commande et des délais de livraison élevés), notamment en amont du Black Friday. Au-delà de ces fluctuations de court terme, les indicateurs de demande (opportunité de faire des achats importants dans l’enquête ménages, carnets de commande dans le climat des affaires dans l’industrie) restent depuis plusieurs mois sur un étiage plus bas qu’en début d’année 2022.

Ces éléments étayent notre hypothèse centrale d’un ajustement à la baisse de la production industrielle au cœur de l’hiver.

Une « drôle de récession »

Une récession technique au tournant de 2022-2023 est donc notre scénario central. Au-delà, en 2023 l’économie française devrait être pénalisée par des freins notables à la croissance, notamment la remontée des taux d’intérêt et ses effets retardés sur l’activité, qui nous amène à anticiper une croissance nulle en moyenne sur l’année.

La récession que nous anticipons devrait être différente des précédentes. Elle se caractérisera par la nette prédominance des difficultés d’offre dans l’industrie et le niveau très bas des problématiques de demande (cf. graphique 4) ; une tendance déjà présente dans l’économie française avant le choc de la pandémie de Covid-19 mais que le choc récessif, causé par cette dernière, a renforcé.

Industrie : difficultés rencontrées par les entreprises

La récession qui vient ne devrait pas modifier fondamentalement les caractéristiques de l’économie française : les différents défis, notamment la transition écologique ou le plein emploi, ont en commun de mettre en lumière la nécessité pour l’offre de se transformer. Ainsi, l’année 2023 devrait rester, comme la précédente, celle d’un investissement des entreprises particulièrement élevé (avec un taux d’investissement de 26% selon nos prévisions, proche du niveau record de 26,3% atteint au 3e trimestre 2022).

Par ailleurs, nous nous attendons à ce que le marché du travail reste relativement tendu. L’emploi devrait s’éroder sous l’effet du ralentissement conjoncturel (impact prévisible dans la construction et sur le travail intérimaire notamment) et de l’affaiblissement progressif de la dynamique de création d’emplois post-Covid (notamment dans la restauration ou les loisirs). Toutefois, le maintien de difficultés de recrutement élevées milite pour une rétention des emplois, y compris dans l’hypothèse d’une récession. Cet élément devrait se conjuguer avec les négociations salariales en cours pour favoriser une croissance des salaires plus rapide en 2023 (5% contre 3,4% en 2022). Une progression plus dynamique des salaires devrait contribuer à retarder la désinflation, tandis que la croissance nominale (3,9% en 2023) devrait être soutenue par cette inflation.

Achevé de rédiger le 5 décembre 2022


Stéphane Colliac

[1]L’acquis de croissance est calculé en considérant que les chiffres observés sur chaque poste de demande et sur les stocks au 4e trimestre 2021 se seraient maintenus tout au long de l’année 2022.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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