Eco Perspectives

Trois « certitudes » et beaucoup d’incertitudes

15/12/2022

D'un point de vue économique, 2022 restera dans l'histoire comme l'année du retour en force de l’inflation, qui a obligé les principales banques centrales à entamer un cycle de resserrement agressif. Il est fort probable que dans douze mois, nous regarderons 2023 comme une année de récession et de désinflation, une année où les taux d’intérêt officiels auront atteint leur taux final. Comme toujours, la liste des « inconnues connues » est longue. Les prix de l'énergie pourraient encore augmenter après leur récent fléchissement, la désinflation pourrait être plus lente que prévu, les taux directeurs pourraient culminer à un niveau plus élevé que les prix actuels des marchés, la récession pourrait être plus longue et plus profonde. Cependant, nous devons également tenir compte des facteurs de résilience : la rétention de main-d’œuvre des entreprises qui devrait limiter la hausse du chômage, le soutien budgétaire dans de nombreux pays européens, la nécessité d'investir dans le contexte de la transition énergétique.

Les économistes emploient rarement le terme « certitude » lorsqu'ils commentent leurs prévisions. Après tout, l'activité économique est si dynamique et sujette aux imprévus que les projections sont souvent, voire systématiquement, entourées d'un fort degré d'incertitude.

Si l’on regarde 2023, la liste des « inconnues connues » est longue. Néanmoins, concernant les États-Unis et la zone euro, il existe aussi des « certitudes », c’est-à-dire des développements très susceptibles de se produire. La première de ces certitudes est la désinflation, qui désigne une baisse soutenue de l'inflation globale. L’effet de base favorable constitue un élément-clé. Après l'évolution récente et attendue des prix de l'énergie, leur contribution à l'inflation devrait diminuer significativement. Dans ses dernières projections, la BCE prévoit que la contribution de l'énergie à l'inflation annuelle passera de 3,8 points de pourcentage en 2022 à 1,6 points en 2023. En outre, l'allégement des pressions exercées sur les chaînes d'approvisionnement – raccourcissement des délais de livraison, baisse de l'inflation des prix des intrants - et la réduction de la demande, qui pèsera sur le pouvoir de fixation des prix des entreprises, devraient également contribuer à faire baisser l'inflation.

La deuxième « certitude » est que le pic des taux directeurs des banques centrales va être atteint. En 2022, le rythme et l'ampleur des resserrements monétaires ont été plus rapides que lors des cycles précédents. Cela implique aussi que le taux terminal sera atteint plus rapidement. Cette démarche a été motivée par l'explosion de l'inflation - l'écart entre l'inflation observée et la cible - et par la nécessité de maîtriser rapidement les anticipations d'inflation, qui avaient évolué à la hausse.

États-Unis : indice des indicateurs avancés du Conference Board

Enfin, une récession dans la zone euro semble inévitable. Nous tablons sur trois trimestres de croissance trimestrielle négative à partir du quatrième trimestre 2022. Les données d’enquête atteignent déjà un niveau correspondant à une croissance trimestrielle du PIB négative (graphique 1). Aux États-Unis, nous nous attendons à une récession d’une même durée mais à partir du deuxième trimestre 2023 seulement. On le voit dans la baisse des indicateurs avancés américains (graphique 2). Les dernières projections de la BCE entrevoient aussi une récession -de courte durée et peu profonde- mais aux États-Unis, le président de la Réserve fédérale a préféré ne pas se prononcer sur la question lors de sa récente conférence de presse.

Zone euro : croissance du PIB réel et sentiment économique

Ces « certitudes » s’accompagnent d’une multitude d’incertitudes, en premier lieu desquelles l’évolution de la guerre en Ukraine et ses possibles répercussions sur l’économie mondiale. Une autre interrogation concerne l'inflation car les risques continuent d'être orientés à la hausse, ce qui signifie que le rythme de la désinflation serait plus lent que prévu. Même si les prix de l'énergie devaient rester stables, les hausses passées pourraient encore alimenter l'inflation. Ainsi, à mesure que les anciens contrats de fourniture d'énergie à prix fixe arriveront à leur terme, les hausses des coûts que devront supporter les entreprises, au moment de leur renouvellement, pourraient déboucher sur une augmentation des prix de vente. Cela dépendra toutefois de l'élasticité de la demande des clients par rapport aux prix, du moins dans le cas où des solutions alternatives existeraient.

Si la désinflation décevait les attentes, les investisseurs pourraient s'attendre à un taux directeur final plus élevé de la part des banques centrales. Cela pourrait peser sur les marchés financiers -hausse des rendements obligataires, baisse des cours des actions- mais aussi sur la confiance des ménages et des entreprises, et donc sur la demande. Une désinflation trop lente et des taux plus élevés prolongeraient la période de croissance modérée, voire négative, de sorte que la durée et la profondeur de la récession seraient une autre source d'incertitude. Dans la zone euro, l'évolution des prix du gaz sera un autre facteur important car la reconstitution des stocks pour l'hiver prochain pourrait conduire à une flambée des prix.

Pour appréhender les conséquences de ces incertitudes, il est aussi important de garder à l'esprit les facteurs de résilience de l’économie. Aux États-Unis et dans la zone euro, les entreprises ont toujours du mal à recruter. Il est fort probable que, plutôt que de licencier du personnel lorsque la demande faiblira, elles opteront pour une rétention de main d’œuvre afin de disposer du personnel nécessaire lorsque la demande reprendra. L’« excès d’épargne » accumulé pendant la pandémie constitue un autre facteur de soutien, bien qu’il ait été partiellement érodé par l’inflation élevée. En Europe, le soutien budgétaire, décidé dans de nombreux pays pour amortir le choc inflationniste, et la mise en œuvre des plans d'investissement, lancés en réponse à la pandémie, apportent aussi des éléments de résilience. Enfin et surtout, la transition énergétique nécessitera beaucoup d’investissements. Ils constitueront un soutien à la demande globale dans l’économie.

Achevé de rédiger le 15 décembre 2022


William De Vijlder

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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