Avec le Royaume-Uni, le Japon est le pays du G7 où la reprise de l'activité est la moins marquée depuis deux ans. Le PIB réel a même rechuté de 0,3% t/t au T3 2022, freiné par une baisse des investissements résidentiels et des exportations nettes. La consommation privée, si elle a progressé au troisième trimestre (+0,2% t/t), reste bien inférieure à son niveau de 2019. La fin des restrictions liées à la Covid-19 – effective depuis octobre – apportera un supplément de croissance au dernier trimestre de l’année mais la hausse du PIB pour 2022 sera globalement peu vigoureuse (+0,9%). Nous prévoyons que l’activité ralentisse encore en 2023 (+0,3%), et un retour aux niveaux d’avant pandémie au plus tôt en 2024.
Le scénario économique actuel, déjà peu flatteur, reste vulnérable à différents facteurs exogènes, en premier lieu l’évolution de la situation sanitaire en Chine. Bien que les autorités chinoises aient commencé à desserrer certaines restrictions, celles-ci restent contraignantes. Les contaminations à la Covid-19 sont reparties en flèche dans certaines régions. Cela perturbe une nouvelle fois le fonctionnement des chaînes de production industrielle du pays, dont dépendent fortement les entreprises japonaises, notamment celles du secteur de l’automobile. La guerre en Ukraine et ses conséquences, encore incertaines, sur le marché énergétique mondial pourrait à nouveau contraindre l’activité, le Japon important une grande partie de ses ressources énergétiques.
Le marché du travail a toutefois poursuivi son rétablissement. Le niveau de la population active ainsi que l’emploi sont revenus à un niveau très proche de 2019. Cependant, l’inflation a accéléré cet automne (3,5% a/a en octobre pour la mesure nationale et 3,6% a/a pour la mesure avancée de Tokyo en novembre) et réduit davantage le pouvoir d’achat des ménages, qui a baissé de 2,2% t/t au T3 2022 (enquête Family income & expenditure). Cela contraint mécaniquement certains ménages à réduire la consommation de biens non essentiels. Selon l’enquête menée par le Cabinet Office, les intentions d’achats de biens durables des ménages japonais étaient les plus faibles jamais enregistrées en novembre, le sondage ayant tout de même débuté en 1982.
La croissance des salaires au Japon se maintient à un niveau historiquement faible, mais la hausse de l'inflation et l’aggravation des problèmes de recrutement, toujours très importants, forment une combinaison sans précédent qui pourrait alimenter une hausse plus importante des rémunérations. Les négociations salariales du printemps prochain constitueront, à ce titre, un événement majeur : Rengo, la première Confédération syndicale du pays, demande une augmentation des salaires d'environ 5 %, ce qui serait la plus forte hausse depuis 28 ans.
Pour amortir le choc énergétique, un second budget rectificatif pour l’année fiscale 2022 (qui court du 1er avril au 31 mars) a été introduit début novembre et consacre Y29,1 trillions supplémentaires de dépenses publiques. Cette hausse renforce très significativement le premier budget rectificatif présenté en mai dernier, qui s’élevait à Y2,7 trillions. Elle sera majoritairement financée (à hauteur de 80%) par de la dette, laquelle sera en grande partie absorbée par la Banque du Japon (BoJ). Depuis le début du programme de Facilité monétaire quantitative et qualitative (QQE) en avril 2013, qui coïncide avec le lancement du programme Abenomics, la BoJ a ainsi acheté plus de Y400 trillion (USD 2940 mds) de titres souverains japonais. Sa part de détention dans le total de la dette publique a quadruplé, passant de 10% au début de l’année 2013 à 43% en septembre 2022.
La chute du yen gonfle les profits
Selon les chiffres du ministère des Finances japonais, les profits des entreprises japonaises ont nettement chuté au T3 (-5,3% t/t). Néanmoins, cette baisse doit être analysée avec du recul. Les profits avaient atteint un record au trimestre précédent et restaient encore cet automne à un niveau historiquement élevé, à Y 23,3 trillions, soit 17% du PIB. Par ailleurs, la baisse au T3 a été concentrée sur le secteur des services (-13,1% t/t), qui pâtit plus fortement du faible rebond de la consommation domestique que les entreprises industrielles exportatrices. Ces dernières sont en effet parvenues à dégager des profits records au T3, en hausse de 6,9% t/t, grâce à la baisse du yen, qui permet de gonfler les profits rapatriés depuis les filiales basées à l’étranger. Ces filiales représentent, en effet, une part de plus en plus importante des entreprises industrielles japonaises.[1]
L’effet du taux de change devrait néanmoins fortement se dissiper en 2023. Le ralentissement actuel de l’inflation aux États-Unis et les anticipations, selon lesquelles la Réserve fédérale américaine remontera moins significativement ses taux directeurs que prévu, ont déjà permis au yen de regagner du terrain face au dollar. Même si les taux d’intérêt des obligations japonaises restent ancrés à la limite fixée par la BoJ (0,25% sur les obligations à 10 ans), la pression sur la banque centrale japonaise pour la pousser à modifier sa politique de contrôle des taux d’intérêt – en place depuis septembre 2016 – est quelque peu retombée. Néanmoins, l’arrivée attendue, en avril 2023, d’un nouveau gouverneur à la tête de la BoJ, en lieu et place de Haruhiko Kuroda, constituera un moment charnière. La politique monétaire devrait rester très accommodante. En effet, il est peu probable que ce remplacement donne lieu à un véritable changement de direction.
Guillaume Derrien