Eco Perspectives

Royaume-Uni : récession

15/12/2022
PDF

La croissance britannique s’est nettement contractée au T3, marquant l’entrée de l’économie en récession. Au regard des enquêtes de confiance auprès des ménages et des entreprises, le repli de la consommation et celui de l’investissement devraient se poursuivre dans les prochains mois. Face à une inflation persistante qui se diffuse dans les différents secteurs, la Banque d’Angleterre poursuit le resserrement de sa politique monétaire, malgré la contraction de l’économie. Le plan de soutien aux ménages et les mesures de consolidation budgétaire, annoncés simultanément par le nouveau gouvernement de Rishi Sunak, devraient faciliter la lutte contre l’inflation tout en soutenant les ménages les plus modestes.

Croissance et inflation

Contrairement aux grandes économies de la zone euro et aux États-Unis, dont la croissance résiste et a été positive au T3, le Royaume-Uni a enregistré une contraction de son PIB de -0,2% t/t, après un premier semestre positif (+0,7% au T1, +0,2% au T2 après révision).

Cette baisse de l’activité s’explique par une dynamique de déstockage plus importante que prévu et par une contraction de la demande privée (consommation des ménages et investissements des entreprises), alors que la demande publique a soutenu la croissance. La très forte contribution positive du commerce extérieur a permis de limiter la contraction du PIB au T3.

Selon nos prévisions, ce trimestre de baisse marquerait l’entrée en récession de l’économie britannique : le PIB devrait, en effet, continuer de se contracter sur les trois prochains trimestres, au point que la croissance en 2023 en moyenne annuelle serait aussi négative (-0,9%). Ce repli de l’activité serait de nature à ralentir l’inflation, dont le pic est attendu au T4 2022.

Essoufflement de la demande privée

La consommation des ménages s’est contractée au T3 et cette tendance devrait se poursuivre au cours des mois à venir. Leur situation financière reste toujours contrainte par la forte inflation des produits alimentaires (+16,5% a/a) et de l’énergie (+90% a/a), malgré les mesures de soutien mises en place par le gouvernement depuis octobre. La remontée des taux d’intérêt renchérit le coût des prêts hypothécaires et des loyers, ce qui contribue également à réduire le pouvoir d’achat des ménages. Malgré une légère amélioration en novembre, l’indice de confiance des ménages du GfK reste proche de son plus bas historique (-44 points).

La baisse de la consommation des ménages devrait également affecter l’investissement des entreprises. Selon les différentes enquêtes de la Confederation of British Industry (CBI), l’optimisme des entreprises continue de chuter dans l’industrie et les services. Lorsqu’elles sont interrogées sur les freins à l’investissement, les entreprises répondent être plus préoccupées par l’incertitude relative à la demande que par les pénuries de main d’œuvre ou les coûts de financement.

Persistance et force de l’inflation

L’inflation continue de se diffuser dans l’économie, portée par la forte volatilité des prix de l’énergie et de l’alimentation, et par un marché du travail toujours particulièrement tendu en raison de la dynamique des salaires. L’indice des prix à la consommation (CPI) a ainsi encore progressé ainsi d’1 point de pourcentage en octobre pour atteindre 11,1% en glissement annuel (+2% m/m). Le plafonnement des prix de l’électricité et du gaz par le gouvernement pour les ménages et les entreprises a tout de même permis de réduire l’inflation de 2,7 points en octobre, qui aurait dû atteindre 13,8% selon l’ONS. De son côté, l’inflation sous-jacente est restée inchangée en glissement annuel (+6,5%) mais sa variation sur le mois reste élevée (+0,7%). Cela devrait justifier une nouvelle hausse importante des taux directeurs lors de la réunion de décembre du Comité de politique monétaire (MPC), qui devrait être de 50 points de base.

La persistance et la force des pressions inflationnistes contraignent la Banque d’Angleterre (BoE) à poursuivre la remontée de ses taux directeurs et à accroître la réduction de son bilan (quantitative tightening) malgré l’entrée de l’économie en récession. Par ailleurs, les mesures annoncées par le gouvernement devraient, cette fois, contribuer à la lutte contre l’inflation, ce qui permettrait à la BoE d’atteindre son taux directeur final (terminal rate) plus rapidement que prévu.

Nouveau paradigme budgétaire

Si la demande publique a soutenu la croissance au T3, la situation risque de s’inverser au regard des récentes mesures annoncées par Jeremy Hunt, le Chancelier de l’Échiquier, lors de son Autumn Statement. Le plan pour « la stabilité, la croissance et les services publics » comprend deux volets dont les objectifs diffèrent. Premièrement, le gouvernement prévoit de poursuivre son soutien ciblé au pouvoir d’achat des ménages (à hauteur de GBP 26 mds), au travers du prolongement de l’Energy Price Guarantee à partir d’avril 2023 et de la hausse des prestations sociales et de retraites (+10,1%). Deuxièmement, le plan prévoit une politique de consolidation budgétaire dont l’objectif est double : lutter contre l’inflation et garantir la soutenabilité des finances publiques en dégageant GBP 55 milliards d’ici 2027-2028. Dans ce cadre, le gouvernement prévoit d’augmenter les recettes fiscales de l’ordre de GBP 25 milliards sur cinq ans, notamment grâce à l’augmentation de l’impôt sur les sociétés (passant de 19% à 25% en avril 2023) mais également en mettant à contribution, sous la forme d’une taxe exceptionnelle, les entreprises pétrolières et gazières. De plus, le gouvernement table sur des économies dans les dépenses publiques (GBP 30 milliards), malgré les annonces de dépenses supplémentaires pour le National Health Service (NHS), l’éducation ainsi que la recherche et le développement.

Achevé de rédiger le 5 décembre 2022

Félix Berte

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Trois « certitudes » et beaucoup d’incertitudes

Trois « certitudes » et beaucoup d’incertitudes

D'un point de vue économique, 2022 restera dans l'histoire comme l'année du retour en force de l’inflation, qui a obligé les principales banques centrales à entamer un cycle de resserrement agressif [...]

LIRE L'ARTICLE
États-Unis
Etats-Unis : la récession attendra

Etats-Unis : la récession attendra

La croissance américaine a nettement rebondi au T3 mais devrait ralentir au T4 selon nos prévisions. Le marché du travail reste tendu, néanmoins les premiers signes de ralentissement émergent [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Chine : yuan sous pression

Chine : yuan sous pression

La dépréciation du yuan depuis le début de l’année et les sorties d’investissements de portefeuille ont largement résulté des évolutions divergentes des taux d’intérêt chinois et américains [...]

LIRE L'ARTICLE
Japon
Japon : à la recherche de la croissance

Japon : à la recherche de la croissance

Avec le Royaume-Uni, le Japon est le pays du G7 où la reprise de l'activité est la moins marquée depuis deux ans. Le PIB réel a même rechuté de 0,3% t/t au T3 2022, freiné par une baisse des investissements résidentiels et des exportations nettes [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
Zone euro : Y aura-t-il une coupure de la croissance cet hiver  ?

Zone euro : Y aura-t-il une coupure de la croissance cet hiver ?

En 2023, l’inflation dans la zone euro devrait très certainement refluer, le PIB se contracter et les taux directeurs de la BCE atteindre leur pic. L’incertitude réside dans l’ampleur de la désinflation et de la récession [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
Allemagne : quelle sera l'intensité de la récession?

Allemagne : quelle sera l'intensité de la récession?

La croissance pour le moins inattendue du PIB allemand, +0,4% t/t au T3, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt [...]

LIRE L'ARTICLE
France
France : année zéro

France : année zéro

Le chiffre zéro devrait marquer la croissance française en 2023 [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
Italie : un scénario plus incertain

Italie : un scénario plus incertain

Durant l’été, l’économie italienne a continué d'afficher une forte résilience face à l’incertitude croissante [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
Espagne : de nouveaux risques à gérer

Espagne : de nouveaux risques à gérer

L’Espagne est désormais le pays de la zone euro avec le taux d’inflation le moins élevé : 6,7% en novembre en glissement annuel [...]

LIRE L'ARTICLE
Belgique
Belgique : ciel couvert

Belgique : ciel couvert

Le PIB belge a évité la contraction au troisième trimestre, mais le 4e trimestre pourrait être plus négatif d’après nos prévisions actuelles. Une récession courte et d’ampleur limitée semble probable [...]

LIRE L'ARTICLE
Autriche
Autriche : bientôt à l'arrêt ?

Autriche : bientôt à l'arrêt ?

Après une période d’activité dynamique sur les six premiers mois de l’année, la croissance autrichienne a très fortement ralenti au 3e trimestre 2022, sous l’effet d’une dégradation de la conjoncture à la fois nationale et internationale [...]

LIRE L'ARTICLE
Grèce
 Grèce : une dynamique toujours positive

Grèce : une dynamique toujours positive

Malgré la hausse conséquente des pressions inflationnistes, l’économie grecque a continué de croître à un rythme soutenu au cours du premier semestre 2022, progressant de 4,1% sur la période [...]

LIRE L'ARTICLE
Danemark
Danemark : la fin d'une belle épopée ?

Danemark : la fin d'une belle épopée ?

Jusqu’ici l’économie danoise n’a cessé d’impressionner. Un puissant rebond post-Covid a propulsé le PIB bien au-delà de son niveau d’avant-crise. L’avenir semble désormais moins radieux [...]

LIRE L'ARTICLE