Au moment où nous écrivons, s’il est difficile d’en avoir une certitude, une récession de la zone euro à l’horizon des prochains trimestres paraît inévitable. Plus exactement, un tel scénario semble désormais plus probable qu’un scénario sans récession. Après une première moitié d’année meilleure que prévu (portant à 3,2% l’acquis de croissance au T2 2022), la conjonction actuelle inédite des chocs (inflationniste, sanitaire, géopolitique, énergétique, climatique, monétaire) devrait avoir raison de la résistance observée jusqu’ici.
Des signes avant-coureurs sont visibles dans les enquêtes de confiance. La détérioration du climat des affaires n’est pas aussi prononcée que la baisse de la confiance des ménages mais elle commence à atteindre des cotes d’alerte. Le PMI composite dans le secteur manufacturier est passé sous le seuil critique des 50 en juillet et a poursuivi sa baisse en août (49,6).
Celui dans les services n’en était plus qu’à un cheveu selon l’estimation flash d’août (50,2), après quatre mois consécutifs de recul plutôt marqué, et l’estimation finale, révisée en baisse, l’a fait basculer (49,8).
L’indice du sentiment économique de la zone euro (ESI) a également accusé une baisse franche en juillet (généralisée à l’ensemble des secteurs), le faisant descendre sous le seuil de référence 100, puis un nouveau recul en août, de moindre ampleur (concernant seulement l’industrie et les services).
Il faut s’attendre, en outre, à une poursuite de la détérioration de ces enquêtes à l’horizon des prochains mois, voire à une baisse plus marquée. Les économies d’énergie demandées pour faire face à la crise vont peser sur l’activité. Et la dégradation du climat des affaires ne mesure probablement pas encore toute l’étendue des dégâts au regard aussi de la multiplication des exemples d’entreprises et de secteurs en difficulté, du fait de l’accumulation des chocs et de leur propagation dans l’économie.
Pour l’heure, les perspectives d’emploi, d’après les enquêtes, commencent seulement à être un peu moins positives. Par ailleurs, le maintien des créations sur un bon rythme au premier semestre (qui permet à l’emploi de se situer près de 2% au-dessus de son niveau pré-pandémie), la baisse continue depuis un an et demi du taux de chômage (6,6% de la population active en juillet) et les difficultés de recrutement toujours fortes permettent de tempérer quelque peu les inquiétudes.
La récession vers laquelle la zone euro semble se diriger pourrait rester « technique », c’est-à-dire limitée à deux trimestres de baisse modérée du PIB (-0,2% t/t au T3 et -0,3% t/t au T4 2022 selon nos prévisions). La bonne saison touristique et les mesures de soutien budgétaire constituent aussi des éléments amortisseurs importants à court terme (qui pourraient d’ailleurs reporter la récession sur le T4 2022 et le T1 2023). Cette contraction contenue suppose aussi que la crise énergétique reste sous contrôle, ce qui n’est pas acquis. La capacité d’adaptation des entreprises, leur situation financière globalement favorable avant la guerre en Ukraine, le matelas d’épargne dont disposent certains ménages, les besoins d’investissement pour décarboner l’économie sont, en revanche, des soutiens plus fiables.
En 2023, l’atténuation des divers chocs devrait permettre un rebond modéré de la croissance. Nos prévisions de croissance pour 2022 et 2023 sont très proches de la moyenne du consensus de septembre (0,1 point en dessous en 2022, 0,1 point au-dessus en 2023). Mais l’importante dispersion des prévisions en 2023 (+1,3% / -0,8%) illustre l’incertitude et la difficulté à appréhender la situation actuelle et son évolution.
La situation sur le front de l’inflation reste difficile. Certes, certaines pressions inflationnistes en amont diminuent (délais de livraison, prix des intrants et du pétrole). Cependant, l’effet baissier sur l’inflation mettra du temps à se concrétiser, d’autant qu’il est contrebalancé par des pressions inflationnistes qui vont encore crescendo (prix du gaz et de l’électricité, prix alimentaires, diffusion des hausses de prix passées, salaires, euro).
Le niveau élevé et la généralisation de l’inflation l’ont rendue persistante, et donc plus difficile à réduire. D’après nos prévisions, le pic serait proche – l’inflation frôlerait 10% sur un an en septembre – mais elle resterait peu ou prou sur ce rythme jusqu’à la fin de l’année. Par ailleurs, l’incertitude reste grande sur le timing et le niveau du pic. Dans notre scénario, l’inflation commencerait à refluer un peu plus nettement à partir du printemps 2023. Elle s’élèverait toutefois encore à environ 3% a/a fin 2023 et n’atteindrait l’objectif de la BCE que fin 2024.
Face à la poursuite de l’envolée de l’inflation, la BCE est passée à la vitesse supérieure et a procédé à une hausse extraordinaire de 75 points de base (pb) de ses taux directeurs lors de sa réunion du 8 septembre. Ce geste, qui n’est pas appelé à être la norme, devrait toutefois être suivi d’un autre de même ampleur le 27 octobre et de +50 pb le 15 décembre. Le taux de dépôt atteindrait alors 2%, soit le niveau estimé du taux neutre. Nous nous attendons, ensuite, à ce que la BCE en reste là, le temps d’évaluer l’ampleur de la modération de la croissance et de l’inflation (avec le risque toutefois de devoir en faire plus compte tenu de la lenteur attendue de la désinflation).