Eco Perspectives

Un choc énergétique moins important qu’ailleurs

22/09/2022

Avec un risque de pénuries énergétiques relativement contenu, le Portugal enregistrerait cette année une croissance économique parmi les plus importantes de la zone euro. Plusieurs facteurs favorables sont à l’œuvre. L’acquis de croissance par rapport à 2021 est important, et le PIB réel a connu une forte hausse au T1 (+2,4% t/t) avant de se stabiliser au T2. Le rebond du tourisme a, par ailleurs, soutenu l’activité cet été. Malgré les mesures d’aides aux ménages et aux entreprises, estimées par le gouvernement à EUR 4 mds jusqu’ici en 2022, le solde budgétaire primaire devrait enregistrer un léger excédent cette année. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, et malgré les crises successives, le premier ministre António Costa maintient une rigueur budgétaire assumée qui a peu entravé la croissance économique du pays.

Le Portugal n’est pas épargné par le choc inflationniste, qui est sans équivalent récent. Avec une inflation proche des 10% en août (9,3% a/a), les mesures prises par le gouvernement pour endiguer la flambée des prix énergétiques ne suffisent pas. La hausse de ces derniers a ralenti quelque peu – mais reste toujours très forte à +24% a/a en août – grâce notamment à l’impact du bouclier tarifaire sur les prix de l’électricité, instauré au printemps dernier, et au repli du prix du pétrole. Cependant, la diffusion de l’inflation à l’ensemble des postes de consommation s’amplifie : la mesure sous-jacente (hors énergie et produits alimentaires) enregistrait en août sa plus forte progression depuis près de trente ans, à 6,5% a/a. La baisse du pouvoir d’achat due à la hausse de l’inflation, mais aussi à l'effet de l’augmentation des taux d'intérêt sur le service de la dette, détériore significativement la situation financière des ménages portugais. Leur capacité à épargner est, en effet, au plus bas depuis 2008 (d’après une enquête de la Commission européenne).

Portugal : croissance et inflation

Cette baisse du pouvoir d’achat des ménages ne serait néanmoins visible dans les chiffres de la croissance qu’au dernier trimestre de 2022. L’activité au troisième trimestre devrait avoir bénéficié d’une fréquentation touristique revenue à des niveaux très proches de 2019, à défaut d’avoir totalement comblé l’écart : le taux d’occupation dans l’hôtellerie a atteint 70% en juillet dernier, contre 71,1% en juillet 2019 (d’après INE). Par ailleurs, le marché du travail a montré, jusqu’à présent, une bonne résistance aux chocs : le taux de chômage s’inscrivait à 5,9% en juillet, un niveau légèrement inférieur à celui de la fin 2019.

L’évolution du marché immobilier va être scrutée de près en raison du resserrement des conditions de crédit en cours. Pour l’heure, la dynamique des prix a été impressionnante. Mis à part un ralentissement pendant la crise sanitaire, la hausse des prix dans l’immobilier s’est accélérée sans relâche depuis 2015, avec un record à 16% a/a en juillet dernier. Pour juguler la demande, le gouvernement a restreint, début 2022, les zones d’achats résidentiels accessibles aux investisseurs étrangers souhaitant bénéficier du visa doré (Golden Visa), excluant une grande partie des villes du littoral sous tensions. L’impact de cette mesure ne se fait toutefois pas encore ressentir sur les prix, le manque d’offre de logements jouant encore fortement.

Une nouvelle enveloppe budgétaire de EUR 2,4 mds a été débloquée début septembre pour soutenir les ménages face au choc inflationniste. Elle comprend une baisse de la TVA sur l’électricité de 13% à 6%, effective du 1er octobre 2022 au 31 décembre 2023, une revalorisation des pensions, et l’envoi d’un chèque de EUR 125 à près de 5,8 millions de citoyens. Le prix des abonnements dans les transports publics sera gelé en 2023, tandis que l’augmentation des loyers sera plafonnée à 2%. S’ajoutent à ces dépenses des mesures plus structurelles, comme l’assouplissement, pour les ménages et les PME, des conditions légales pour passer du tarif de marché au tarif régulier pour le gaz, une mesure annoncée cet été. Avec ce dernier coup de pouce, l’interventionnisme du gouvernement d’António Costa se situe dans la moyenne des pays de la zone euro, avec EUR 4 milliards budgétisés pour l’ensemble des mesures « anti-inflation » annoncées jusqu’ici en 2022. C’est l’équivalent de 1,9% du PIB national (2019).

Dans son programme de stabilité, le gouvernement tablait sur une réduction progressive de la dette publique, à 100% du PIB d’ici à 2025 contre 121% aujourd’hui (T2 2022). Bien que ces prévisions soient traditionnellement optimistes, et qu’elles ont été faites en amont du dernier paquet budgétaire, l’excédent primaire attendu par le gouvernement (0,3% en 2022, 1,6% en 2023) semble, en l’état actuel, atteignable : en cumulé au cours des sept premiers mois de l’année, la balance primaire du gouvernement général a enregistré un excédent de EUR 4,4 mds. Cela correspond à un niveau très proche de celui de 2019 (EUR 4,87 mds) et bien meilleur qu’à la même période en 2021 (déficit de EUR -2,93 mds). En 2019, la balance primaire a enregistré un excédent de 3,1% du PIB. En dépit de la succession de crises récentes, le premier ministre António Costa poursuit donc une certaine rigueur budgétaire, assumée depuis son arrivée au pouvoir en novembre 2015, qui n’a pas été préjudiciable à l’activité du pays. Depuis cinq ans, la croissance a été supérieure à celle de la zone euro dans son ensemble.

Achevé de rédiger le 19 septembre 2022

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