Eco Perspectives

La narration d'une récession

22/09/2022
PDF

L’inflation domine l’actualité économique depuis des mois, mais avec des resserrements monétaires agressifs, cela ne devrait pas durer. Dans le même temps, les craintes de récession s’intensifient. Les banquiers centraux reconnaissent que leur action pourrait provoquer une récession technique, une grande majorité des dirigeants américains s’y attendent et le consensus montre un risque accru de récession aux États-Unis, et encore davantage dans la zone euro. La narration d’une récession devrait mener à de l’attentisme, avec un report des décisions de dépenses et d’embauche. Il devrait aussi créer des interactions négatives, qui se renforceront mutuellement, entre les données concrètes et le sentiment des agents économiques. Pour mettre fin à cette situation, la conviction que les banques centrales auront fait le nécessaire, et pourront se permettre de ne plus remonter les taux, sera essentielle. Son effet sur la confiance dépendra toutefois de la manière dont l’économie et le marché du travail auront réagi aux hausses de taux.

Le thème de l’inflation domine le débat public depuis des mois mais cela ne devrait pas durer. Les enquêtes montrent un relâchement des pressions sur les chaînes d'approvisionnement mondiales et les prix des intrants. Les prix de plusieurs matières premières ont récemment baissé et, bien que la croissance des salaires reste vigoureuse aux États-Unis et devrait s'accélérer davantage dans la zone euro, les resserrements monétaires agressifs devrait être un élément clé de la désinflation progressive.

Parallèlement, les craintes de récession se sont accrues et finiront par devenir le thème dominant des discussions économiques. Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a reconnu que la maîtrise de l’inflation serait douloureuse. Selon une récente enquête du Conference Board, 81 % des dirigeants américains s’attendent à une récession au cours des 12 à 18 prochains mois. À leur avis, elle devrait être brève, peu profonde et aurait des retombées limitées à l’échelle mondiale. Parmi eux, 12 % sont plus pessimistes et s’attendent à une récession profonde avec des répercussions mondiales importantes, tandis que seulement 7 % ne prévoient pas de récession.

États-Unis : probabilité de récession

Les prévisions de croissance ont été revues à la baisse, même si l'enquête des prévisionnistes professionnels de la Réserve fédérale de Philadelphie prévoit toujours une croissance trimestrielle positive aux États-Unis sur l'ensemble de l'horizon prévisionnel, qui s'étend jusqu'au troisième trimestre 2023. Cependant, l’évaluation de la probabilité d'une récession a considérablement augmenté à court terme et se situe à un niveau record à moyen terme (les quatre ou cinq trimestres à venir, ce qui correspond aux deuxième et troisième trimestres 2023) (graphique 1).

Zone euro : distribution des fréquences de prévisions en temps réel

Au sein de la zone euro, le consensus de Bloomberg s’attend à une croissance négative au dernier trimestre 2022 et au premier trimestre de 2023 (graphique 2). De plus, l’économiste en chef de la BCE, Philip Lane, en référence aux hausses de taux, a récemment déclaré « nous n’allons pas prétendre que cela ne sera pas douloureux », ajoutant qu’une récession technique ne peut être exclue.[1]

Les raisons qui sous-tendent l'inflexion à la baisse des perspectives de croissance sont bien connues. L’inflation érode le pouvoir d’achat des ménages et les marges bénéficiaires des entreprises.

En Europe, de plus en plus d’entreprises suspendent temporairement leur production en réaction aux prix élevés du gaz et de l’électricité. Les hausses de taux des banques centrales, ainsi que l’anticipation de nouvelles hausses de taux, ont augmenté le coût de l’emprunt, ce qui pèse sur la demande, en particulier dans le secteur immobilier américain.

Bien que les carnets de commandes du secteur manufacturier restent bien remplis, la tendance est à la baisse, et encore plus pour les nouvelles commandes à l'exportation. La faible croissance économique en Chine joue un rôle décisif à cet égard. Enfin, la guerre en Ukraine a été un facteur important, en grande partie en raison de son impact sur les prix des matières premières.

Le récit d’une récession sème le doute et inquiète les observateurs. Ceux-ci vont non seulement réviser à la baisse leur scénario de base concernant les revenus, les ventes et les bénéfices, mais leur niveau de conviction sur les prévisions baissera également. Les entreprises se montreront de plus en plus attentistes jusqu’à ce qu’une image plus claire de la situation émerge. Les plans d'investissement seront suspendus. Les intentions d'embauche seront réduites - c'est déjà visible dans les données de l'enquête de l'UE -, ce qui devrait se traduire au final par une augmentation des craintes de chômage des ménages. Cela devrait à son tour peser sur les dépenses des consommateurs.

À un moment donné, cette interaction négative renforcée entre les données objectives (activité, demande, etc.) et les données subjectives (confiance) devrait cesser. Une condition essentielle à cela est la conviction croissante que les banques centrales auront fait le nécessaire et pourront se permettre d'arrêter de resserrer leurs taux d'intérêt. Cela implique que les hausses de taux, malgré leur agressivité, apportent une lueur d’espoir : le pic cyclique du taux directeur arrivera plus tôt que dans le cadre d'une approche graduelle. L’ampleur de l’effet sur la confiance dépendra de la manière dont l’économie et le marché du travail auront réagi aux hausses de taux.

Achevé de rédiger le 22 septembre 2022

[1] Source : ECB to inflict pain as it hikes rates into next year, economist says, Reuters, 17 septembre 2022.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

États-Unis
Proches du pic d’inflation ?

Proches du pic d’inflation ?

Après une deuxième contraction de son PIB au T2, les perspectives de l’économie américaine sont pour le moins incertaines. Les pressions inflationnistes donnent des signes de détente mais le rythme de désinflation pourrait être plus lent que prévu [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Malaise

Malaise

Le redressement de l’activité économique depuis la fin des confinements imposés à Shanghai au printemps a été très progressif [...]

LIRE L'ARTICLE
Japon
La Banque du Japon garde le cap

La Banque du Japon garde le cap

Le yen a continué de plonger cet été, atteignant son plus bas niveau face au dollar en 24 ans [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
En route vers la récession  ?

En route vers la récession ?

La conjonction actuelle inédite des chocs - inflationniste, sanitaire, géopolitique, énergétique, climatique, monétaire - devrait avoir raison de la résistance de la zone euro et la plonger en récession à l’horizon des prochains trimestres [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
De l'eau dans le gaz

De l'eau dans le gaz

La question n’est plus désormais de savoir si l’Allemagne tombera ou non en récession, mais plutôt de savoir quand et dans quelle ampleur [...]

LIRE L'ARTICLE
France
Une récession à venir  ?

Une récession à venir ?

La croissance française a surpris à la hausse au 2e trimestre (+0,5% t/t), soutenue par l’impact positif de la levée des restrictions liées à la Covid-19 sur le tourisme et les loisirs [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
D’une reprise solide à des perspectives incertaines

D’une reprise solide à des perspectives incertaines

Au cours du premier semestre 2022, l’économie italienne a progressivement gagné en vigueur. Au deuxième trimestre 2022, le PIB réel était 1,1% plus élevé qu’au quatrième trimestre 2019. L’acquis de croissance pour 2022 est de 3,5% [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
Le choc inflationniste est rude

Le choc inflationniste est rude

L’hiver s’annonce difficile. Bien que son l’Espagne soit structurellement moins vulnérable aux ruptures énergétiques, le choc inflationniste est violent et il ne fléchit pas, avec une inflation à plus de 10% en août [...]

LIRE L'ARTICLE
Belgique
La tension monte

La tension monte

Le PIB belge a progressé de 0,2 % au deuxième trimestre 2022. La consommation privée a poursuivi sa trajectoire à la hausse au cours du premier semestre, mais devrait ralentir puisque l’inflation reste à son plus haut niveau historique [...]

LIRE L'ARTICLE
Portugal
Un choc énergétique moins important qu’ailleurs

Un choc énergétique moins important qu’ailleurs

Avec un risque de pénuries énergétiques relativement contenu, le Portugal enregistrerait cette année une croissance économique parmi les plus importantes de la zone euro. Plusieurs facteurs favorables sont à l’œuvre [...]

LIRE L'ARTICLE
Finlande
Politique du logement : histoire d’une grande réussite

Politique du logement : histoire d’une grande réussite

La Finlande, à l’instar des autres pays nordiques, s’est montrée particulièrement résistante jusqu’ici aux chocs actuels, mais le ciel s’assombrit sur le « pays du soleil de minuit » [...]

LIRE L'ARTICLE
Royaume-Uni
Un soutien budgétaire essentiel

Un soutien budgétaire essentiel

La croissance britannique s’est légèrement contractée au T2 mais l’économie ne devrait pas entrer en récession avant le T4 [...]

LIRE L'ARTICLE
Suède
Blocage institutionnel en perspective

Blocage institutionnel en perspective

Après huit années passées dans l’opposition, les conservateurs ont repris les rênes du pouvoir en Suède dans un contexte peu favorable. Si l’activité économique a bien résisté jusqu’ici, elle montre des signes nets de ralentissement [...]

LIRE L'ARTICLE
Suisse
Franc suisse : bouclier indéfectible contre l’inflation

Franc suisse : bouclier indéfectible contre l’inflation

Le pays helvétique se démarque des autres pays européens par des pressions inflationnistes nettement moindres [...]

LIRE L'ARTICLE