Les échanges mondiaux de biens sont repartis très fortement à la hausse, même si des divergences existent entre les régions du monde, en raison notamment de situations sanitaires et économiques encore contrastées. Le redressement des exportations de services reste beaucoup plus fragile avec des niveaux encore très faibles dans les transports et le tourisme. Les échanges de services liés aux technologies de l’information et de la communication (TIC) ont été beaucoup plus résilients en 2020. Le Brexit a engendré une hausse marquée du nombre de nouveaux accords commerciaux en 2021. Deux traités importants négociés par l’Union européenne restent en suspens, l’un avec le Mercosur et l’autre avec la Chine. Les négociations entre les États-Unis et la Chine sont également au point mort, à la suite de l’échec des discussions bilatérales qui se sont tenues en Alaska à la mi-mars.
EXPORTATIONS DE BIENS : L’ASIE EST REPARTIE LA PREMIÈRE
Le volume du commerce mondial1 (de biens) est repassé, dès cet hiver, au-dessus du niveau atteint avant la Covid-19, effaçant ainsi en un semestre la chute enregistrée au T1 2020 (cf. graphique 1). Cette reprise en V souligne bien la nature particulière de la crise actuelle, avec un rattrapage important de la demande et un tissu industriel plus résilient que lors des crises précédentes. Pendant la crise financière mondiale de 2007-2008, les échanges mondiaux de marchandises avaient mis trois ans à retrouver leur niveau d’avant-crise.2 De plus, et malgré leur chute brutale au premier semestre 2020, les exportations en volume se sont repliées de 5,0% l’année dernière, soit une chute inférieure à celle enregistrée en 2009 (-12,5%). Depuis le creux atteint en mai 2020, les exportations mondiales ont en effet rebondi de près de 25% (cf. tableau 1) :
Derrière cette remontée importante se cachent néanmoins des écarts assez marqués entre les régions du monde, qui s’expliquent en grande partie par le décalage dans le temps de la propagation de l’épidémie entre les pays. La Chine, qui a confiné sa population puis jugulé l’épidémie plus tôt que le reste du monde, a connu un redémarrage plus précoce à la fois de son activité productive, de ses exportations et de ses importations.
Les exportations et importations européennes restaient en février légèrement en deçà du niveau qu’elles avaient atteint à la fin de l’année 2019. Les exportations américaines accusent encore un retard conséquent (les exportations du pays ont chuté très sévèrement au cours du premier semestre 2020), mais les importations sont repassées au-dessus de leur niveau de 2019.
Cela dit, pour l’Europe et les États-Unis, le volume des échanges commerciaux devrait dès le printemps dépasser son niveau d’avant-crise à mesure que l’épidémie s’atténue et que les restrictions d’activité sont levées. Pour le moment, ce décalage de reprise entre la Chine et les pays « occidentaux » ainsi que l’adaptabilité de l’industrie chinoise à l’évolution de la demande mondiale ont permis à la Chine de consolider ses parts de marché dans les exportations mondiales de biens (cf. graphique 2), au détriment des économies industrialisées3 qui ont vu leurs parts de marché repasser sous la barre des 60%.4
Néanmoins, ce phénomène n’est peut-être que temporaire. Avec la reprise économique qui s’est accélérée cet hiver aux États-Unis, et qui se profile au printemps en Europe, une reconquête des parts de marché par ces pays est possible. Il est en effet intéressant de rappeler que la part des exportations chinoises dans les exportations mondiales avait commencé à fléchir depuis 2015 et jusqu’à l’arrivée de la pandémie mondiale, sous l’effet de facteurs structurels (tels que la hausse des coûts de production).
PERSPECTIVES POUR LA SECONDE MOITIÉ DE 2021
Au niveau mondial, les échanges commerciaux devraient logiquement continuer de se renforcer au cours de l’année 2021, à mesure que les campagnes de vaccination progresseront et que les programmes de soutien aux économies – et en premier lieu le plan de relance massif aux États-Unis – soutiendront l’activité mondiale. Plusieurs indicateurs avancés, et fortement corrélés au commerce international, ont continué de progresser au T1 2021. C’est le cas, par exemple, de l’indice PMI global pour les commandes à l’exportations qui a atteint en avril dernier son niveau le plus élevé depuis mai 2010, à 54,7 (cf. graphique 3).
La tendance est similairement à la hausse lorsqu’on se penche sur l’évolution des nouvelles commandes à l’exportation de Taiwan (cf. graphique 4).
Cette embellie est, par ailleurs, corroborée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui, dans ses dernières projections de mars, anticipe un rebond des échanges mondiaux de 8,0% en 2021, après une chute de 5,3% en 2020.5 Un rééquilibrage à la baisse des exportations mondiales pourrait néanmoins, à terme, s’opérer une fois l’effet de rattrapage de la demande atténué.
Le rattrapage de la demande pourrait, par ailleurs, pousser pour quelques temps encore les prix des matières premières à la hausse et maintenir les chaînes d’approvisionnement mondiales sous tension, entraînant des pénuries. L’exemple le plus frappant aujourd’hui est celui des semi-conducteurs, dont la pénurie semble s’étendre à de plus en plus de secteurs.6
Les prix de nombreux biens primaires industriels (cuivre, minerai de fer et aluminium, notamment) et alimentaires (maïs, blés, soja) ont augmenté significativement, bien au-dessus de leurs niveaux d’avant-crise (cf. graphique 5). Les coûts de transport subissent également de fortes pressions à la hausse : l’indice pour le coût du fret de containers en provenance de Chine (China Containerized Freight index) est en augmentation de plus de 140% par rapport à la fin de l’année 2019.
LES ÉCHANGES DE SERVICES TOUJOURS FRAGILES ET EN MUTATION
Du côté des services, la dynamique reste beaucoup plus fragile en ce début d’année. Les restrictions d’activité, mises en place pour freiner l’épidémie, ont eu un impact particulièrement néfaste sur ce secteur, et en premier lieu sur le tourisme et le transport, qui représentaient, avant l’arrivée de l’épidémie, près de 40% des exportations mondiales totales de services.7 Ces deux catégories ont enregistré des chutes record en 2020 (cf. graphique 6), tout comme les services liés à la maintenance et la réparation de biens qui se sont fortement repliés. La catégorie « autres services » a chuté bien plus modestement.8
À noter que ces « autres services » regroupent principalement des services en relation étroite avec le secteur technologique (finance, télécommunication, droits intellectuels, recherche et développement, consulting/management). Le reste, dont le poids dans les exportations de services est relativement faible, est lié à la construction et aux activités culturelles et de loisir.9 Ces « autres services » représentent une part croissante des exportations de services – un phénomène qui s’observe depuis une dizaine d’années déjà10, et qui s’est amplifié en 2020 pour atteindre 55,9%. Cette progression s’est principalement concentrée sur les exportations de services dans les technologies de l’information et de la communication (TIC). Celles-ci pourraient s’amplifier encore, compte tenu des changements structurels importants engendrés par la crise de la Covid-19 (hausse du télétravail et du commerce en ligne notamment).
LES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE SE MULTIPLIENT
Le départ effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2021 a conduit à un rebond significatif du nombre d’accords régionaux (cf. graphique 7). Sur les 38 nouveaux accords entrés en vigueur depuis le début de l’année 2021 11 (et notifiés à l’OMC), 35 intègrent le Royaume-Uni. Cette augmentation fait néanmoins suite à un léger ralentissement depuis 2016. Au total, 348 accords de libre-échange répertoriés par l’OMC s’appliquent actuellement dans le monde.12
L’Europe reste au centre des attentions avec deux traités de libre-échange importants actuellement bloqués :
• Le premier concerne l’accord passé entre l’UE et les quatre grands pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Officiellement approuvé en juillet 2019, ce traité nécessite encore la signature des gouvernements nationaux et du Parlement européen. Cet accord permettrait d’éliminer progressivement les barrières tarifaires sur de nombreux produits (automobiles, textiles, machinerie). Mais plusieurs pays européens, dont la France et l’Irlande, opposent désormais des réserves à ce traité en l’état actuel, et souhaitent y intégrer davantage de critères environnementaux et sanitaires.
• Le second blocage porte sur l’accord global d’investissements (AGI) entre l’UE et la Chine, dont les principes ont été officialisés le 30 décembre 2020.
Les États membres de l’UE et le Parlement européen ne souhaitent pas pour l’heure ratifier cet accord. Les tensions diplomatiques entre les deux parties se sont accrues depuis la fin d’année dernière, notamment par rapport à la question du respect des droits de l’homme en Chine. Cet accord permettrait aux entreprises européennes d’investir plus facilement en Chine dans de nombreux secteurs (finance, production, construction, télécommunications). En contrepartie, la Chine obtiendrait un accès au marché européen de l’énergie, avec la possibilité d’investir dans les énergies renouvelables notamment.
L’autre dossier sensible porte sur les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine. La rencontre bilatérale entre les représentants de l’administration Biden et leurs homologues chinois, qui s’est tenue dans l’Alaska le 18 et 19 mars dernier, s’est soldée par un échec. Par ailleurs, des discussions au Sénat américain sont en cours sur l’élaboration du Strategic Competition Act. Ce dernier, qui ciblerait davantage la Chine comme adversaire stratégique, pourrait contribuer à accentuer les tensions diplomatiques et économiques entre les deux pays.