D’après les données historiques, aux États-Unis comme dans la zone euro, la relation est étroite entre, d’une part, l’indicateur des pressions sur les prix, basé sur les enquêtes relatives aux délais de livraison et aux prix des intrants dans l’industrie manufacturière et, d’autre part, l’inflation sous-jacente. Au regard des récents indices « flash » des directeurs d’achat, les pressions sur les prix pourraient atteindre un pic, ce qui laisse espérer que l’inflation leur emboîtera le pas d’ici quelques mois. L’attention se concentrera dès lors sur la vitesse de décélération de l’inflation. Un processus très lent nécessiterait une hausse plus nette des taux d'intérêt, alimentant des craintes de récession
La hausse spectaculaire des prix de l’énergie depuis avril 2021 constitue le principal levier de la flambée actuelle de l’inflation en zone euro. Cette hausse s’est accentuée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier, entraînant la composante « énergie » de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui a crû de 44,4% a/a en mars 2022. Les gouvernements des quatre principales économies de la zone euro se sont mobilisés pour tenter d’amortir le choc pour les acteurs économiques, en particulier sur le pouvoir d’achat des ménages, via différentes mesures : subventions directes, baisses de taxes, réglementation des prix ou revalorisation des revenus
La hausse de l’inflation semble être, de prime abord, une bonne chose pour les gouvernements. Après tout, l’inflation induit une érosion de la valeur réelle de la dette et abaisse le ratio de dette publique sur PIB, la valeur nominale de ce dernier augmentant. Cependant, l’impact de l’inflation sur les finances publiques dépend de l’anticipation de sa hausse par les marchés financiers et de sa persistance attendue. Ces deux facteurs influenceraient le coût de l’emprunt et, par conséquent, la dynamique du ratio de dette via la différence entre ce coût et la croissance nominale du PIB
L’inflation continue de se diffuser aux différents postes de l’indice des prix à la consommation. La composante « énergie » a légèrement reflué en avril (-2,5% m/m), après la mise en œuvre de la ristourne gouvernementale sur le carburant, mais cette baisse a été plus que compensée par l’accélération des prix des autres postes de consommation. Les prix alimentaires, singulièrement, ont progressé de 1,4% m/m en avril, une ampleur inédite depuis 20 ans (c’est-à-dire ni en 2007-08 ou en 2011, lors de précédentes vagues de hausse des prix alimentaires). Ce poste est le principal contributeur (0,2 point) à l’inflation mensuelle (+0,4% m/m).
Les derniers chiffres d’inflation offrent un très léger répit au gouvernement espagnol. Après avoir frôlé les 10% en glissement annuel en mars (9,8%), la hausse des prix à la consommation a ralenti en avril (8,4%). Les mesures prises par les autorités afin d’endiguer l’augmentation des prix de l’énergie (principalement via des subventions et des baisses de taxes) ont eu un effet positif. Néanmoins, le renchérissement des produits alimentaires s’intensifie (+10,1% a/a en avril). De plus, leur contribution à l’inflation (1,98 point de pourcentage) atteint désormais le même niveau que les autres postes de dépenses liés à l’énergie (les transports, l’électricité, le gaz et autres combustibles).
Une inflation élevée, si elle n'est pas traitée, peut entraîner une déstabilisation des anticipations, une augmentation des primes de risque, une plus grande distorsion des prix, et donc des coûts à plus long terme pour l'économie. Les banques centrales semblent confrontées à un dilemme : augmenter les taux d'intérêt pour faire baisser l'inflation au risque de provoquer une hausse du chômage, ou se concentrer sur le marché du travail et accepter que l'inflation puisse rester élevée plus longtemps. En réalité, elles doivent choisir entre agir rapidement pour maîtriser l'inflation ou faire face à un défi encore plus grand à l’avenir
Face aux multiples tensions sur les prix, le Royaume-Uni connait une forte poussée inflationniste (+6,2% du CPIH[1] en mars). Du côté des ménages, cette accélération des prix détériore considérablement leur pouvoir d’achat. En effet, en termes réels, c’est-à-dire corrigée de l’inflation, l’évolution des salaires est nettement négative (-1%) en glissement annuel en février 2022. Toutefois, le versement de bonus permet de compenser cette diminution, faisant apparaitre une légère hausse des salaires réels avec primes (+0,4%)
L’inflation élevée s’est généralisée. Cela augmente le risque de nouvelles augmentations de prix car les entreprises peuvent se montrer plus enclines à augmenter les prix quand la plupart des autres font de même. Cela rendrait l’inflation élevée plus persistante et impliquerait qu’il faudrait plus de temps pour que l’inflation revienne à la cible. La persistance d’une inflation élevée pourrait affaiblir la crédibilité de la banque centrale et entraîner un désancrage des anticipations d’inflation à long terme. Pour contrer cette évolution, les autorités monétaires pourraient décider de resserrer leur politique de manière agressive. Les recherches de la Réserve fédérale montrent que l’inflation américaine est devenue plus persistante
L’environnement économique et financier international n’est pas favorable à l’économie indienne. Même si le pays produit et exporte du blé, il sera pénalisé par l’envolée des prix des matières premières. Dans un contexte de ralentissement de la croissance, la consolidation budgétaire annoncée devrait être fragilisée. Le gouvernement sera contraint d’augmenter sensiblement ses subventions sur les engrais s’il veut contenir la hausse des prix alimentaires, lesquels constituent près de 46% du panier de consommation des ménages. Par ailleurs, l’Inde n’échappera pas à une dégradation significative de son déficit courant, induite par la hausse des prix du pétrole et les pressions à la baisse sur la roupie, surtout si les récentes sorties d’investissement de portefeuille se poursuivent
Après avoir enregistré une croissance modeste en 2021, l’activité économique en Malaisie devrait rebondir plus sensiblement en 2022. Elle sera soutenue par le dynamisme de la demande intérieure, une politique budgétaire toujours expansionniste et la réouverture des frontières aux touristes. Exportateur de matières premières (pétrole, huile de palme principalement), le pays devrait profiter de la hausse des prix internationaux sans pour autant être affecté directement par le conflit en Ukraine. Grâce au supplément de revenus généré par la hausse des prix du pétrole, le gouvernement devrait être en mesure de prendre à sa charge en grande partie la hausse des prix, pour ne pas fragiliser les ménages déjà appauvris par la crise de 2020
Le Brésil a terminé l’année 2021 sur des bases plus solides qu’attendu mais le tableau économique reste fragile. L’activité progresse par à-coups, marquée par des freins internes (vague Omicron, aléas climatiques, élections) et un contexte extérieur plus dégradé (guerre en Ukraine, ralentissement des partenaires commerciaux, etc.). Dans le même temps, les pressions inflationnistes se renforcent et laissent craindre un prolongement du resserrement monétaire. Depuis le début de l’année, l’amélioration des termes de l’échange et le différentiel de taux avec les pays développés alimentent le rebond de la Bourse et la forte appréciation du real. Une nouvelle dissonance entre économie réelle et appréciations des marchés financiers.
Les conséquences directes sur l’économie mexicaine du conflit en Ukraine devraient rester limitées, les liens commerciaux avec les deux belligérants étant quasi-inexistants. En revanche, les conséquences indirectes pourraient avoir un effet significatif sur une économie déjà fragilisée par la crise de la Covid-19. La hausse des prix des matières premières accentuera les pressions sur les prix et aggravera le déficit courant (le Mexique est un importateur net d’énergie depuis 2015). En outre, la désorganisation des chaînes de valeur liée au conflit ou à de nouvelles vagues épidémiques pourrait peser sur le secteur exportateur. Les perspectives d’investissement continuent de se détériorer, à mesure qu’avancent les débats sur la réforme du secteur de l’énergie.
Les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’économie serbe devraient rester modérées. Elles auront néanmoins un effet négatif sur l’ensemble des indicateurs macroéconomiques. Les perspectives de croissance ont été revues à la baisse en raison de la forte hausse de l’inflation, de l’exposition commerciale à la Russie et d’une conjoncture européenne moins porteuse. Envisageant une poussée inflationniste de courte durée, la banque centrale a durci modérément sa politique monétaire pour le moment. Les comptes extérieurs devraient se détériorer en raison du creusement du déficit courant et d’un possible ralentissement des flux d’investissements directs étrangers, mais la banque centrale devrait conserver les moyens de défendre la stabilité du dinar
L’inflation a atteint 4,5% a/a au mois de mars en France selon l’estimation finale de l’Insee, principalement en raison d’une nouvelle hausse du coût de l’énergie (+9% sur le seul mois de mars, +29,2% a/a). En parallèle, l’impact de cette inflation semble commencer à se faire sentir sur les dépenses de consommation des ménages : après avoir nettement baissé en janvier (-2% m/m), leur rebond en février est resté limité (+0,8% m/m). Et la dernière enquête de l’Insee sur la confiance des ménages n’augure pas d’un rebond à court terme, au contraire. Le moral de ces derniers a considérablement chuté notamment parce qu’ils craignent de nouvelles hausses de prix : la balance d’opinion sur les perspectives de prix a augmenté de 50 points pour atteindre un record historique.
L’inflation en Italie a atteint 6,7% a/a en mars, le niveau le plus élevé depuis juillet 1991. À la hausse spectaculaire de 50,9% sur un an des prix de l’énergie (électricité, gaz, carburant) s’ajoutent désormais les augmentations importantes des prix des produits alimentaires (+5,8% a/a), de l’ameublement (+8% a/a), ainsi que de l’hôtellerie-restauration (+4,6% a/a). Deux postes de consommation restent encore en terrain déflationniste : l’éducation (-0,5% a/a) et les services de communication (-2,9% a/a). Le plus dur est néanmoins à venir : la dernière enquête PMI pour le mois de mars montre une augmentation encore une fois très nette des prix des intrants, la plus forte jamais enregistrée (+6,7 points à 81,5)
De multiples chocs mettent à l’épreuve la résilience de l’économie mondiale : la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 en Chine, la guerre en Ukraine, l’envolée des prix de plusieurs matières premières, la perspective d’un resserrement monétaire agressif aux États-Unis. Côté positif, l’acquis de croissance important hérité de l’année dernière est un élément de soutien de la croissance en 2022. En outre, les moteurs de la demande finale étaient bien orientés en début d’année et le sont encore dans de nombreux cas. L’inflation élevée pèse sur la confiance des consommateurs américains et européens mais heureusement, pour l’heure, les intentions d’embauche des entreprises dans la zone euro restent à un niveau élevé et, aux États-Unis, le marché du travail reste très dynamique
L’inflation a continué de croître début 2022 jusqu’à peser très fortement sur la confiance des ménages français à partir de mars. Cette problématique de pouvoir d’achat augure d’un repli de la consommation. Le soutien budgétaire a permis de limiter la hausse de l’inflation (de près de 2 points de pourcentage en avril), autorisant le maintien d’une croissance légèrement positive (0,3% pour le T1 et 0,1% pour le T2 selon nos prévisions).
La Suède a beaucoup misé sur les énergies renouvelables, une stratégie qui se révèle aujourd’hui payante face à la flambée des prix du pétrole et du gaz. Si l’inflation accélère dans le royaume, elle reste, à un peu plus de 4%, l’une des plus basses d’Europe. Pour les Suédois, les pertes consécutives de pouvoir d’achat, en partie compensées par le gouvernement, sont limitées. Mais l’inquiétude est ailleurs : en envahissant l’Ukraine, la Russie, pays géographiquement proche, a bouleversé l’opinion, et relancé le débat sur l’adhésion à l’OTAN.
A l’inverse de nombreuses banques centrales dans le monde, les autorités monétaires marocaines ont décidé de maintenir leur taux directeur à 1,5%. Pourtant, l’inflation accélère mais la poussée est récente et encore contenue. En 2021, la hausse des prix à la consommation a atteint seulement 1,4% en moyenne annuelle. Elle est de 3,6% en glissement sur un an en février 2022 et la situation va s’aggraver compte tenu des tensions sur les marchés mondiaux des matières premières et de la chute de la production agricole nationale. Les trois quarts de l’accélération de l’inflation ces derniers mois résultent en effet de la hausse des prix des produits alimentaires (+5,5% en février 2022) et des transports (+6%) dont l’origine est essentiellement externe
Un nombre exceptionnellement élevé d’entreprises de la zone euro envisage d’augmenter les prix de vente. Il est peu probable, au stade actuel, que la croissance des coûts unitaires de main-d’œuvre en soit la principale raison. La hausse des coûts des intrants joue un rôle crucial, de même que la robustesse de la demande. Il est, en effet, plus facile de relever les prix lorsque les carnets de commandes sont remplis. Or, les anticipations de prix de vente sont étonnamment élevées au vu de leur relation historique avec les prix des intrants et les niveaux des carnets de commandes. Il semble que plus le nombre de sociétés augmentant leurs prix est élevé, plus les autres ont tendance à leur emboîter le pas
La hausse de l’inflation plombe la confiance des ménages espagnols qui a enregistré en mars la plus forte chute de son histoire (les statistiques de la Commission européenne débutent en juillet 1986). La confiance des entreprises résiste mieux pour l’instant tant du point de vue de l’enquête PMI que de celui de la Commission européenne. Les signaux d’un prochain ralentissement de l’activité sont néanmoins manifestes : l’indice PMI relatif à l’évolution des nouvelles commandes décroche, en raison d’une détérioration marquée de la demande extérieure
Une hausse de l’inflation et des anticipations d’inflation, qui reflète une croissance robuste de la demande et de l’activité économique, devrait a priori stimuler les dépenses des ménages via une baisse des taux d’intérêt réels. Il en va tout autrement aujourd’hui. Dans de nombreuses économies avancées, l’inflation est particulièrement élevée et en très grande partie due à des chocs d’offre. Dans l’Union européenne et la zone euro, la confiance des ménages a fortement chuté en mars, malgré les bonnes anticipations du chômage, en raison principalement de l’inflation forte qui se poursuit. Mesurer la confiance des consommateurs de la zone euro permet d’anticiper leurs dépenses dans les trois prochains trimestres
Selon l’estimation flash d’Eurostat, l’inflation dans la zone euro s’est élevée à 7,5% a/a en mars, marquant une nouvelle hausse très importante (+1,6 point par rapport à février). L’inflation reste en grande partie énergétique – la composante « énergie » contribue à hauteur de 4,9 points de pourcentage à ce chiffre, soit 65% du total – mais les autres composantes (alimentation, produits manufacturés, services) se renforcent également et contribuent chacune à hauteur d’environ 1 point. L’inflation se généralise donc et tous les pays de la zone euro sont concernés par le mouvement récent d’accélération, bien qu’à des degrés divers.
Les pays européens limitrophes de la Russie et de l’Ukraine sont plus exposés que ceux situés à l’Ouest. Parmi ces derniers, des divergences existent entre l’Allemagne et l’Italie, plus dépendantes du gaz russe, et la France, l’Espagne et le Portugal, moins exposés. Les pays qui importent le plus de Russie sont également très dépendants des importations provenant d’Ukraine. L’exposition des pays européens à la Russie et l’Ukraine et leur vulnérabilité aux répercussions économiques du conflit entre les deux pays découlent principalement du poids important dans leurs importations des approvisionnements en produits énergétiques russes et en produits alimentaires et agricoles ukrainiens
En dépit des ombres que la guerre en Ukraine fait planer sur l’économie mondiale, la Réserve fédérale des États-Unis annonce une normalisation à marche forcée de sa politique monétaire. L’envolée de l’inflation autant que sa diffusion à de nombreux postes, le retour au plein emploi - et les tensions sur les salaires qui en découlent - sont les principaux arguments mis en avant par l’Institution pour agir. Alors que le caractère auto-entretenu de la hausse des prix fait encore débat, le coup de frein projeté surprend tout de même par son ampleur. Dans une conjoncture accoutumée au faible coût du crédit, il n’est pas sans risque pour la bonne marche des affaires.