Edito

Comment financer le surcroît d’investissement nécessaire dans l’Union européenne ?

26/05/2025
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Les investissements requis pour répondre aux enjeux de la compétitivité, de la transition énergétique et technologique dans l’Union européenne sont gigantesques et leur besoin, imminent (2025-2030). S’y ajoutent désormais les dépenses visant à renforcer les capacités militaires de l'Union européenne. Pour en assurer le financement, l’UE doit bien sûr accélérer sa feuille de route vers l’Union de l’épargne et des investissements. Mais face à l’urgence, elle doit aussi tenir compte de son écosystème financier et s’appuyer sur ses banques. Le report de la FRTB (Fundamental Review of Trading Book) en 2027 et la proposition législative de la Commission européenne relative à la titrisation, attendue en juin, vont dans ce sens.

De quels montants parle-t-on ?

En s’appuyant sur les calculs de la Commission européenne, Mario Draghi estimait, dans son rapport remis à la Présidente de la Commission européenne en septembre 2024, les besoins de financement dans l’UE au titre de la compétitivité, la transition énergétique et technologique à une fourchette de EUR 750 à 800 mds par an. Le plan ReArm/Readiness 2030, approuvé par le Conseil européen le 6 mars dernier, y ajoutera, selon nos calculs, près de EUR 190 mds par an[1]. Cumulés aux besoins de financement de l’économie européenne qu’il faut continuer de couvrir (dont les flux de financements historiques fournissent un ordre de grandeur), ces besoins supplémentaires porteront le besoin global de financement annuel de l’économie de l’UE à plus de EUR 1500 mds jusqu’en 2028, puis à près de EUR 1400 mds jusqu’en 2030, soit plus du double des flux observés entre 2014 et 2024. Certes, une part de ces investissements se substituera à d’autres, préexistants, mais cette proportion, qui devrait être somme toute contenue, ne remet pas en cause le diagnostic global d’un besoin de financement colossal dans l’Union européenne.

La plus forte intégration des marchés de capitaux : une condition nécessaire mais non suffisante

L’« Union de l’épargne et des investissements » concentre la plupart des espoirs. L'idée a été initialement lancée par la Commission européenne en 2014 sous la dénomination d’« Union des marchés de capitaux ». Depuis lors, plusieurs plans d'action et actes législatifs et non législatifs se sont succédé, mais sa concrétisation est encore lointaine. Parmi les principaux obstacles à une plus forte intégration des marchés de capitaux figurent notamment l’hétérogénéité des droits des entreprises en difficulté et des supervisions nationales des marchés financiers. Le 19 mars 2025, la Commission a publié une communication visant à relancer le projet, suivie, le 15 avril 2025, d’une consultation ciblée, ouverte jusqu’au 10 juin. Mario Draghi reconnaît lui-même sans ambages que, pour indispensable qu’elle soit, une plus forte intégration des marchés de capitaux ne permettra pas, à elle seule, de dégager les montants nécessaires.

Au demeurant, la route vers l’Union de l’épargne et de l’investissement est encore longue et, une fois son existence institutionnelle établie, son succès sera subordonné à l’appétit des investisseurs pour les actifs européens à long terme et risqués. Or l’économie européenne se caractérise par des flux d’épargne des ménages, certes abondants (environ EUR 1400 mds), mais aussi et surtout par une forte préférence des épargnants pour les actifs liquides et faiblement risqués. Ces préférences, dictées par des facteurs historiques et culturels, sont profondément ancrées et ne sont malheureusement pas modifiables par enchantement. À moyen terme, elles font partie de l’énoncé, à l’instar de l’intermédiation bancaire prépondérante dans le financement de l’économie, qui leur fait écho.

L’importance de l’intermédiation bancaire comme solution mobilisable à court terme

L’intermédiation bancaire et les marchés de capitaux ne doivent pas être opposés, mais doivent se renforcer mutuellement. Ainsi, l’orientation prioritaire des flux d’épargne risquée vers les segments du private equity et du venture capital permettrait aux entreprises de mieux se doter en fonds propres et d’accroître leur capacité d’emprunt. De même, le développement des marchés de la dette et de la titrisation libèrerait des capacités de prêt bancaire qui, à leur tour, créeraient une nouvelle ressource monétaire (dépôt) susceptible de circuler et de s’investir sur les marchés. Face à l’urgence des besoins et compte tenu de l’écosystème européen, le renforcement significatif du rôle des banques apparaît finalement comme la solution la plus atteignable à court terme. Le rapport Draghi esquisse à cet égard trois pistes pour accroître la capacité du secteur bancaire à financer l’économie : relancer le marché de la titrisation, évaluer la compatibilité de la réglementation prudentielle bancaire (notamment la finalisation de Bâle III) avec la compétitivité du système bancaire à l’échelle internationale et finaliser l’Union bancaire. Revenons brièvement sur ces trois pistes.

i/ La titrisation. La titrisation pourrait effectivement stimuler l'investissement en permettant aux banques de transférer les risques à des investisseurs et de libérer ainsi des fonds propres réglementaires pour accorder davantage de prêts aux ménages et aux entreprises, y compris aux PME. Le marché européen ne s’est malheureusement jamais véritablement relevé des conséquences de la crise financière de 2008. Avant cette dernière, il représentait (Royaume-Uni inclus) 75% de celui des États-Unis. En 2024, la proportion s’établissait à environ 15%. Le nouveau cadre de la titrisation introduit dans l'UE en 2019 (qui couvre à la fois les titrisations simples, transparentes et standardisées (STS) et les titrisations non STS) a renforcé la transparence et la sécurité. Il n’a toutefois pas, selon les intervenants[2], autorisé la relance du marché, et la base d’investisseurs demeure étroite. Des mesures de simplification et d’ajustement des exigences, notamment prudentielles et opérationnelles, devraient faire l’objet d’une nouvelle proposition législative de la Commission, attendue en juin 2025. Ces mesures permettraient aux banques européennes d’exploiter plus largement la titrisation en qualité d’outil de gestion des risques et d’instrument de financement.

Ii/ La réglementation. Concernant la deuxième piste – des règles du jeu équitables entre banques de l’UE et leurs concurrentes non-UE –, la Commission européenne fait preuve d’un certain pragmatisme. Une illustration récente en est donnée par le report d’application de la revue fondamentale du portefeuille de négociation (FRTB). Il s’agit de la recommandation de Bâle III relative aux exigences en fonds propres au titre du risque de marché. Des marchés de capitaux efficaces et liquides requièrent des activités de tenue de marché qu’il convient de ne pas pénaliser en les soumettant à des exigences plus contraignantes qu’ailleurs. En juillet 2024, certaines juridictions importantes n'avaient pas encore finalisé leurs règles ou communiqué leur calendrier de mise en œuvre, ce qui avait déjà conduit la Commission à reporter l’application de la FRTB dans l'UE à janvier 2026. Alors que la proposition finale des États-Unis sur Bâle III est au point mort, et sa mise en œuvre peu probable avant 2027 ou 2028, et que le Royaume-Uni et le Canada ont également différé l'adoption de la version finale de Bâle III, la Commission vient de confirmer le report d'une année supplémentaire – au 1er janvier 2027 – de l'application de la FRTB dans l’UE.

Iii/ L’Union bancaire. Enfin, s’agissant de la finalisation de l’Union bancaire, Mario Draghi recommande le décloisonnement de la circulation de la liquidité au sein des groupes bancaires paneuropéens (l’idée sous-jacente étant de la canaliser vers le pays où elle est nécessaire). Il défend également la création d’un dispositif de garantie des dépôts spécifique à ces groupes bancaires « cross-border », dont les cotisations alimenteraient exclusivement ce fonds. Les banques exerçant des activités purement nationales continueraient de relever des dispositifs de garantie nationaux. On pourrait imaginer que la dotation initiale de ce fonds soit partiellement « héritée » des fonds de garanties nationaux, auxquels les groupes bancaires avaient cotisé précédemment. L’idée est séduisante et permettrait peut-être de lever une partie des réticences de certains pays auxquelles se heurte immuablement la mutualisation des fonds de garantie nationaux au sein du système européen de garantie des dépôts (EDIS) qui, dès lors, peine à voir le jour.

Face à des besoins estimés vertigineux au regard des flux de financement historiques, aucune source de financement ne doit être négligée. Si l’objectif premier de l’Union de l’épargne et des investissements est bien de rendre l’allocation de l’épargne plus efficace au sein même de l’UE, les capitaux des non-résidents peuvent également jouer un rôle important pour amorcer la dynamique. Face à la nouvelle donne géopolitique, l’UE pourrait bénéficier de la volonté de certains investisseurs internationaux de diversifier leurs avoirs en dollar et vis-à-vis des États-Unis. Elle doit, pour cela, battre le fer tant qu’il est chaud pour renforcer en conséquence son attractivité et sa compétitivité.


[1] Cf. UE : Réarmement, transitions énergétique et numérique, la mesure de l’effort (G. Derrien et L. Quignon, Graphique de la semaine du 10 avril 2025.

[2] European Commission (2022), “Report of the Commission to the European Parlement on the functioning of the securitization regulation”, October.

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