Aux États-Unis, les conditions financières se sont assouplies ces derniers mois, réduisant ainsi l’efficacité du resserrement monétaire de la Réserve fédérale. Pour autant, Jerome Powell n’a pas semblé trop s’en inquiéter si bien que les marchés ont rebondi et que les conditions financières ont poursuivi leur détente malgré le discours ferme du FOMC. Dans la zone euro, le nouveau relèvement des taux par la BCE et l’engagement de cette dernière en faveur d’une nouvelle hausse en mars ont fait nettement reculer les rendements obligataires, les marchés anticipant le pic cyclique des taux directeurs. Ces évolutions traduisent la crainte de ne pas avoir investi dans la bonne catégorie d’actifs quand les banques centrales changeront leurs discours. Au vu de l'expérience passée, on peut s'attendre à ce que les marchés obligataires et actions montent lorsqu’ils considéreront que le cycle de resserrement sera (presque) terminé. Comme l’on a vu avec le très bon rapport sur le marché du travail américain, ce positionnement présente toutefois aussi le risque d’être pris à contre-pied par les données avec, à la clé, une forte volatilité.
Les marchés financiers sont l’un des principaux canaux de la transmission monétaire. Les variations des taux directeurs ou les anticipations en la matière influencent le niveau des rendements des emprunts d’État, les spreads des obligations d’entreprise, les marchés actions et le taux de change. Ce sont autant d’éléments qui, réunis, illustrent les conditions financières auxquelles sont confrontés les emprunteurs et les investisseurs dont les décisions ont un impact sur l’économie réelle.
C’est la raison pour laquelle les banques centrales et les investisseurs accordent une attention particulière à l’évolution de ces conditions financières. Aux États-Unis, ces dernières se sont assouplies au cours des derniers mois (graphiques 2-5) malgré les relèvements de taux agressifs opérés par la Réserve fédérale. Les rendements des Treasuries, ceux des obligations d’entreprises et les écarts de taux entre ces dernières et les emprunts d’État ont diminué, les marchés actions ont connu une embellie et le dollar s’est déprécié.
Une telle détente des conditions financières réduit l’efficacité des hausses de taux directeurs, ce qui a aiguisé la curiosité des observateurs de la politique monétaire américaine à propos de savoir si Jerome Powell allait s’exprimer sur la question lors de sa dernière conférence de presse. C’est ce qu’il a fait en répondant à la question d’un journaliste[1]. Mais en déclarant que la Fed n’accordait pas une importance particulière aux mouvements de court terme, il a donné l’impression de ne pas être trop inquiet à cet égard. Sans surprise, les marchés ont rebondi et les conditions financières ont poursuivi leur assouplissement (graphique 1). Ce n’est pas exactement ce que la Réserve fédérale avait espéré d’après le ton ferme de son discours.
Le défi est le même pour la BCE, qui doit faire face aux fluctuations des conditions financières et essayer, par sa communication, de les influencer, mais, comme la Réserve fédérale, elle a été prise à contre-pied par les marchés financiers. Même si, après la réunion du 2 février dernier, la déclaration de politique monétaire ainsi que la conférence de presse ont reflété la détermination de la banque centrale à continuer à relever les taux directeurs, les rendements obligataires se sont fortement détendus en réaction à cette annonce : «nous entendons relever de nouveau les taux d’intérêt de 50 points de base lors de la prochaine réunion de politique monétaire, en mars, et évaluerons alors la trajectoire future de notre politique monétaire »[2]. À l’évidence, les marchés y ont vu la probabilité de plus en plus forte d’un ralentissement du rythme de hausses des taux, si tant est qu’il y en ait, au-delà de la réunion de mars — comme aux États-Unis — et le fait que le taux final — le pic cyclique des taux directeurs — n’était plus très loin.
Troisième contre-pied : la publication des données sur le marché du travail en janvier aux États-Unis. La vigueur du rapport a pris les marchés financiers totalement au dépourvu. Les créations d’emplois se sont élevées à 517 000 — contre 187 000 selon les prévisions du consensus —, le taux de chômage a reculé à 3,4% (consensus : 3,6%), les heures hebdomadaires travaillées ont augmenté à 34,7 (consensus : 34,4) et le taux d’activité a progressé à 62,4% (consensus : 62,3%). De plus, un autre rapport a également dépassé les prévisions : l’indice ISM des services a bondi à 55,2, bien au-delà de 50,4, selon les prévisions du consensus. Résultat, le rendement de l’obligation d’État américaine à 10 ans a gagné environ 15 points de base.
Deux leçons peuvent être tirées des évolutions récentes. Premièrement, les investisseurs craignent de « rater le train », autrement dit, de ne pas avoir suffisamment investi dans la classe d’actifs de leur choix lorsque les banques centrales modifieront leurs indications prospectives. Or, au vu de l'expérience passée, on peut s'attendre à ce que les marchés obligataires et actions montent lorsque les banques centrales considéreront que le cycle de resserrement sera (presque) terminé. Deuxièmement, malgré le ralentissement observé dans certains secteurs, l’économie américaine résiste dans l’ensemble et fait montre d’une capacité à surprendre favorablement. De là à une volatilité accrue des marchés, il n’y a qu’un pas.
William de Vijlder